Édouard SIMON
Doctorant en droit à l’Université Paris I, spécialiste des questions d’intégration européenne dans le domaine de la commande publique d’armement
Sur les questions de défense et de sécurité extérieure, l’Union européenne pourrait avoir une véritable valeur ajoutée et permettre d’atteindre une autonomie stratégique face au désengagement américain.
Le débat sur le rôle potentiel de l’Union européenne sur les questions de défense et de sécurité extérieure s’est (trop) souvent et (trop) longtemps articulé autour du paradigme de puissance, c’est-à-dire sur la capacité de l’UE « d’influer sur la marche du monde en dictant ses solutions »(1). Cette vision n’est plus d’actualité. La multiplication des menaces aux frontières de l’Union et, en son sein, questionne plus fondamentalement la capacité des nations européennes à assurer leur sécurité et leur prospérité. L’interview que le président Obama a accordée à la revue The Atlantic(2), il y a quelques semaines, résume, dans des termes peu amènes, le dilemme auquel les Européens font face sur le front de leur sécurité extérieure. Le désengagement américain (relatif mais assumé) de régions périphériques à l’Europe (le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord) n’est pas compatible avec le comportement de « passager clandestin » des Européens sur les questions stratégico-militaires. Cette situation a une composante « investissement » fondamentale. La stagnation du niveau d’investissement des nations européennes dans leurs équipements de défense (investissements stratégiques) et les conséquences du morcellement national de celui-ci (notamment, duplications de ces investissements), déjà problématiques, deviennent très difficilement tenables. Dans ce domaine, l’UE pourrait avoir une véritable valeur ajoutée, et ce, dans le respect des souverainetés nationales. Le secteur spatial offre ainsi des perspectives intéressantes pour ces investissements. Le méconnu programme SST (Space Surveillance and Tracking) est, ainsi, riche d’enseignements.
Favoriser la coopération entre États membres
Institué par la décision 541/2014/UE, le programme de soutien à la surveillance de l’espace et au suivi des objets en orbite a pour objet de favoriser la coopération entre États membres afin de développer une capacité européenne dans ce domaine. Réduite à sa dimension civile de surveillance des débris spatiaux (composants de lanceurs, satellites inactifs, etc.) à l’initiative de l’UE, la capacité SST (composée de trois fonctions : capteur spatial et/ou terrestre ; traitement des données issues de ces capteurs ; fourniture de services) pourrait également avoir des applications militaires stratégiques (détection de satellites espions, défense anti-missile, etc.). Il s’agit donc d’un domaine « sensible ».
Analyse fine des capacités de chaque État membre
Contrairement aux programmes Galileo et Copernicus, il n’est pas ici question de développer une infrastructure possédée en propre par l’UE, mais plutôt de mettre en réseau des capacités nationales qui restent détenues par les États membres. Doté d’un budget relativement modeste (70 millions d’euros d’ici à 2020), le programme finance la mise en réseau des fonctions SST nationales afin d’offrir des services, comme l’évaluation de risques de retour dans l’atmosphère de débris spatiaux, à l’UE et à ses États membres. Le rôle de l’UE est ici de susciter, par le biais d’une incitation, la coopération. L’élaboration du projet a permis une analyse fine des capacités déjà possédées par les États membres. Cette démarche préalable est d’autant plus nécessaire qu’elle permet d’éviter le phénomène de « passager clandestin ». Il n’est, en effet, pas rare de voir des États participer à des programmes en coopération afin de développer des capacités industrielles et/ou technologiques qu’ils ne maîtrisent pas. Or, en fixant un niveau minimum de maîtrise de telles capacités, le programme européen semble préservé de tels comportements. Finalement, le programme de soutien SST de l’UE apparaît comme un exemple intelligent pour susciter et encadrer la coopération entre États membres dans un domaine stratégique, tout en respectant la souveraineté des États membres. Un tel modèle devrait utilement ouvrir des perspectives pour d’autres investissements stratégiques coopératifs.
1) Marcel Gauchet.
2) Jeffrey Goldberg, « The Obama Doctrine », The Atlantic, avril 2016 : www.theatlantic.com/magazine/archive/2016/04/the-obama-doctrine/ 471525. Consulté le 25 mars 2016.