Didier Reynders, Commissaire européen à la Justice
L’Union européenne est avant tout une communauté de droit et de valeurs. Nos valeurs ont toujours été au cœur du projet européen et elles en constituent même le fondement. Parmi ces valeurs, l’État de droit est d’une importance particulière, car il garantit la protection de toutes les autres, y compris le respect des droits fondamentaux et de la démocratie. Sans accès à une justice indépendante, l’effectivité des droits fondamentaux ne peut être assurée. L’État de droit est également essentiel pour garantir une application efficace de la législation de l’UE, la confiance mutuelle et la coopération judiciaire. Il est également un des piliers du bon fonctionnement de notre marché intérieur, pour maintenir sa compétitivité et promouvoir un environnement favorable à l’investissement. Les dernières années ont toutefois démontré que nous ne pouvons pas considérer l’État de droit comme un fait acquis. La situation d’urgence causée par la pandémie n’a fait qu’amplifier ce constat. Au-delà de son impact sanitaire et économique immédiat, elle s’est révélée être un véritable « test de résistance » pour évaluer la résilience de nos systèmes nationaux en temps de crise.
Dans ce contexte, la protection de l’État de droit au sein de l’Union européenne est une des grandes priorités de mon mandat. En tant que gardienne des traités, la Commission a récemment élargi la gamme d’instruments à sa disposition pour assurer cet objectif. Un nouveau mécanisme européen a été développé, dont le pilier central est un rapport annuel sur l’État de droit. La publication du premier rapport en 2020 a permis d’instaurer un cycle innovant pour promouvoir l’État de droit de manière plus proactive. L’objectif est de mieux prévenir les atteintes potentielles à l’État de droit et d’instaurer un dialogue régulier sur ces questions avec les États membres.
Toutefois, la promotion et le respect de l’État de droit ne peuvent être réduits à un processus descendant. C’est pourquoi le rapport sur l’État de droit est fondé sur une approche inclusive. En élaborant le premier rapport, nous avons recueilli les contributions d’un large éventail de parties prenantes, y compris la société civile. Inclure cette dernière est une démarche essentielle en vue d’approfondir notre connaissance de la situation au sein de chaque État membre. Le rapport comporte quatre grands piliers ayant une forte incidence sur l’État de droit : les systèmes de justice nationaux, les cadres de lutte contre la corruption, le pluralisme et la liberté des médias, ainsi que d’autres questions institutionnelles liées à l’équilibre des pouvoirs essentiels à un système efficace de gouvernance démocratique. Sur cette base, l’objectif de la Commission est de nourrir un débat inclusif et promouvoir une véritable culture de l’État de droit dans l’ensemble de l’UE et de l’inscrire dans le temps. Ce rapport devrait également aider l’ensemble des États membres à examiner les moyens de remédier à certaines difficultés, tirer des enseignements de leurs expériences respectives, et mettre en évidence les possibilités de renforcer encore l’État de droit dans le plein respect des systèmes constitutionnels et traditions nationaux.
Enfin, si le respect de l’État de droit dans l’ensemble de l’Union européenne n’est pas garanti, le risque est grand de mettre à mal la confiance mutuelle. Or, cette confiance mutuelle est la condition sine qua non de la construction de l’espace judiciaire européen, et dans les faits la capacité des tribunaux, des notaires, des huissiers et de tous les praticiens à coopérer entre eux, au-delà des frontières. En l’espace d’un peu plus de vingt ans et depuis la déclaration de Tampere, l’Europe s’est dotée d’une législation complète sur la coopération judiciaire, non seulement en matière pénale, mais également en matière civile et commerciale. Grâce à la confiance mutuelle et au degré très élevé de coopération, les citoyens et les entreprises bénéficient d’une grande sécurité juridique lorsqu’ils se déplacent, investissent, ou entreprennent d’un État membre à l’autre. La Commission s’emploie donc activement à faciliter l’application du droit de l’Union au niveau national, en fournissant aux praticiens de nombreux outils et en soutenant en particulier le Réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale (RJECC).
En conclusion, je voudrais rappeler que la Commission reste pleinement déterminée à utiliser tous les instruments dont elle dispose pour défendre et protéger l’État de droit au sein de l’Union. La justice européenne est une construction à long terme et je suis fi er d’avoir participé à poser des jalons complémentaires à cette construction. Cela restera une priorité jusqu’à la fin de mon mandat.