Michel DERDEVET
Secrétaire général, membre du Directoire d’Enedis, professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris et au Collège d’Europe de Bruges
Les consommateurs/citoyens et les décideurs territoriaux ont vocation à devenir acteurs de la transition énergétique.
Mais attention à ne pas négliger les réseaux de proximité ! Un enjeu éminemment politique.
Les débats politiques sur l’énergie, en France mais aussi en Europe, se cantonnent souvent à des affrontements culturels, souvent stériles, sur les choix de production, opposant promoteurs des énergies renouvelables et de l’énergie nucléaire. On néglige souvent les infrastructures qui acheminent ces productions jusqu’au consommateur/citoyen : ces réseaux qui relient entre eux les territoires et les citoyens, par-delà les frontières, raccordent les énergies renouvelables et constituent les plateformes où, demain, la convergence entre la transition énergétique et la révolution numérique va se matérialiser.
Au-delà des grands ouvrages d’interconnexion qui symbolisent les liens entre pays européens, il faut aujourd’hui élargir la réflexion aux enjeux de la distribution, c’est-à-dire à tous ces réseaux de proximité basse et moyenne ¬tension, devenus de formidables réseaux de collecte, accueillant très majoritairement les énergies renouvelables, produites de manière diffuse à travers des centaines de milliers de sites.
Parallèlement, il est désormais nécessaire d’intégrer le volet « demande » pour accompagner le consommateur dans sa recherche de plus d’efficacité et de sobriété, et lui transférer de plus en plus de données intelligentes et intelligibles… Avec l’arrivée des ¬dispositifs de comptage communicants, comme les 35 millions de compteurs Linky en France, les réseaux vont gérer un volume de données considérable, qui doivent d’abord être restituées aux consommateurs et à tous les décideurs territoriaux, qui souhaitent ardemment devenir acteurs de la transition énergétique.
En France, l’un des plus faibles tarifs d’Europe
Ainsi, les réseaux revêtent une dimension profondément politique, au sens noble du terme. En France, les « Saint-simoniens » ont ainsi été les premiers à théoriser cette vision des réseaux, vecteurs de solidarité. Penser les réseaux électriques entre territoires, c’est éviter le repli sur soi, c’est échanger par-dessus son propre espace, à travers ses différences et ses complémentarités. La recherche d’une vraie Union européenne de l’énergie fait partie de cette quête.
Et ce n’est pas qu’une utopie ! Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France a su bâtir une organisation du service public de distribution de l’électricité, originale et unique en Europe, qui a largement fait ses preuves. Les réseaux moyenne et basse tension appartiennent aux communes ou aux syndicats départementaux qui délèguent, pour l’essentiel, leur exploitation à un opérateur national, Enedis, garant de la cohésion territoriale et de l’égalité de traitement de tous les consommateurs sur 95 % du territoire.
Ce modèle a permis de mutualiser les productions et d’optimiser les coûts, avec aujourd’hui un tarif d’acheminement unique, parmi les plus faibles en Europe. Si l’on observe l’Allemagne ou la Suède, le prix du « péage », c’est-à-dire le tarif des coûts d’acheminement de l’électricité sur les réseaux, varie de 40 à 100 % selon son lieu d’habitation, générant des inégalités de traitement flagrantes. Alors qu’en France, la péréquation a garanti jusqu’ici un traitement équitable et homogène entre les territoires, qu’ils soient urbains ou ruraux.
Au moment de l’éclatement de nos territoires et de l’émergence des métropoles, le lien avec les villes et les départements « périphériques » passe à l’évidence par les réseaux, dont les règles économiques et de fonctionnement doivent garantir une approche solidaire. Ainsi la distribution d’électricité a vocation à fournir à tous les plateformes de nouvelles solidarités énergétiques. À travers leur digitalisation et l’essor des smart grids(1), les gestionnaires de réseaux deviendront demain des gestionnaires de systèmes énergétiques locaux, avec un rôle renforcé d’accompagnateurs des collectivités.
Au-delà, il y a en Europe, autour des réseaux, un formidable enjeu industriel, en termes notamment de mutualisation des investissements et de coopération renforcée en matière de recherche. Pour rester compétitifs, en particulier face à la Chine et aux États-Unis, il faut d’urgence prioriser et unifier la R&D européenne autour de quelques chantiers majeurs (le stockage, la mobilité propre, les smart grids…)(2). Une vraie politique industrielle autour des infrastructures énergétiques, au bénéfice de tous les citoyens, est possible. Portons-la, avec détermination et ambition !
1) Ou réseaux « intelligents », c’est-à-dire des réseaux d’électricité qui, grâce à des technologies informatiques, ajustent les flux d’électricité entre fournisseurs et consommateurs.
2) Cf. « Énergie, l’Europe en réseaux », rapport remis au président de la République française le 23 février 2015, la Documentation française.