Dr. Rose LANGER
Chef de Département au Ministère du Travail et des Affaires sociales (Allemagne)
PERSPECTIVES DÉMOGRAPHIQUES DE L’ALLEMAGNE ET MARCHÉ DU TRAVAIL
La population allemande va décroître jusqu’en 2060, de façon significative ou modérée, selon les données du recensement mené par le bureau statistique de la République fédérale d’Allemagne en 2013.
En outre, la population va devenir de plus en plus âgée. En France, les prévisions de l’INSEE sont bien différentes : la population française va croître jusqu’en 2070 en raison de taux de fertilité très élevés. Mais, de plus récentes données d’Eurostat (février 2017) montrent qu’en raison de l’arrivée des réfugiés, la population allemande sera au même niveau en 2060 qu’en 2015. Le marché du travail allemand affiche une bonne santé. Les offres d’emplois sont en hausse. Ce qui laisserait croire que l’arrivée des réfugiés en Allemagne pourrait permettre de mettre fin au vieillissement de la population et répondre au manque de travailleurs qualifiés.
Cependant, il n’existe pas de pénurie globale de main d’oeuvre, pas même de travailleurs qualifiés. Certaines régions et certains secteurs, comme la santé ou les branches techniques ont du mal à recruter personnels ou experts. L’Allemagne n’a pas désespérément besoin des réfugiés pour répondre à ses besoins de main d’oeuvre. Si le pays en a accepté un si grand nombre, c’est pour des motifs purement humanitaires. Et aujourd’hui, le but du gouvernement est d’assurer au mieux leur intégration sur le marché du travail allemand.
QUELLES LEÇONS TIRER DE CETTE ARRIVÉE MASSIVE DE MIGRANTS ?
Le succès d’une intégration n’est pas immédiat, d’autant plus que les réfugiés courent le risque de perdre leur travail alors qu’ils optent souvent pour des emplois non qualifiés. C’est ce que l’Allemagne a déjà vécu avec les réfugiés venus d’ex-Yougoslavie dans les années 1990 : au bout d’un an, seuls 15% d’entre eux avaient un emploi. Au bout de 5 ans, 50% d’entre eux et 70% de cette population était en situation d’emploi après 15 ans. Ces pourcentages sont au-dessous des taux des immigrés « réguliers », c’est-à-dire ceux qui sont venus en Allemagne avec l’objectif de trouver un emploi.
Les migrants peuvent intégrer le marché du travail de deux manières : le « chemin rapide » en prenant un emploi non qualifié rémunéré au salaire minimum ou la « voie lente » qui débute par un apprentissage dont la durée est de 2 à 4 ans. Durant cette période, le salaire est beaucoup plus bas que dans un emploi non qualifié, mais une fois le diplôme en poche, s’ouvre la perspective d’une belle carrière et de salaires élevés. Dans le domaine du bâtiment, il est aisé de trouver un emploi non qualifié. Ce secteur offre un salaire minimum plutôt élevé, aux alentours de 2000 euros dès l’embauche. Un apprenti en première année touche trois fois moins. Dans un autre secteur, comme la maintenance automobile, par exemple, le salaire minimum est de 1530 euros par mois. Mais les perspectives d’augmentation sont faibles et la possibilité de perdre son travail grande. En revanche, après quatre années d’apprentissage, le salaire mensuel s’élève à 2650 euros, ou même plus.
Cependant, la « voie lente », diplômante, ne correspond pas forcément aux attentes des réfugiés qui souhaitent toucher un bon salaire le plus vite possible. Il leur faut souvent subvenir aux besoins de leur famille, rembourser leurs dettes, ou gagner rapidement un salaire plus élevé. Notre principale tâche est de convaincre les réfugiés de ne pas choisir un emploi non qualifié, n’offrant pas de perspectives, mais de préférer l’apprentissage plus lent, mais aussi plus prometteur.
QUEL EST LE PROFIL DES RÉFUGIÉS ?
La plupart des réfugiés viennent de Syrie (266 000, soit 37% de l’ensemble des demandeurs d’asile en 2016). Les Syriens sont ceux qui ont le plus de chance d’obtenir l’asile avec les Irakiens, les Iraniens, les Erythréens et les Somaliens.
L’arrivée des réfugiés a suscité d’immenses attentes en Allemagne, parfois excessives. Les journaux évoquaient l’arrivée des « docteurs syriens » qui pourraient compenser le manque de personnel médical, notamment dans les milieux ruraux. Certains secteurs industriels ou l’artisanat s’attendaient aussi à pouvoir recruter la main d’oeuvre qualifiée qui leur manquait. Mais à y regarder de plus près, la réalité est tout autre : certes, les réfugiés sont en moyenne plus qualifiés que la population de leur pays d’origine mais un grand nombre d’entre eux ont quitté leur pays sans avoir terminé leurs études. Et selon leur nationalité, leur niveau de qualification est très inégal : tandis que les Syriens ont un plutôt haut niveau d’éducation universitaire, plus de la moitié des Afghans n’ont pas du tout été à l’école ou n’ont pas dépassé l’école primaire.
Plus de la moitié des réfugiés ont moins de 25 ans et la majeure partie de leur vie active est devant eux. C’est cette catégorie de population qui affiche le plus fort intérêt à suivre un cycle d’éducation, selon les sondages. Ce qui prouve qu’à la fois l’âge et la motivation sont deux facteurs permettant de répondre aux besoins d’un niveau d’éducation élevé du marché du travail allemand.
LES PROCHAINES ÉTAPES
Le facteur-clef d’intégration sur le marché du travail allemand est la parfaite maîtrise de la langue allemande qui demeure la langue de travail dans la plupart des entreprises allemandes. Très peu d’emplois sont accessibles sans une bonne connaissance de l’allemand. En cela, les choses ont changé si on les compare à la situation qu’ont connue les migrants dans les années 50 et 60, ne serait-ce que quant aux règles en matière de santé et de sécurité. Or, nombre de migrants considèrent que l’allemand est une langue difficile à apprendre. Même si ce n’est pas le cas pour l’ensemble des réfugiés, parvenir au niveau de langue exigé par les employeurs allemands prend du temps. Deux instituts de recherche ont mené des études sur les réfugiés arrivés en 2015 (870 000 personnes). Ils souhaitaient un investissement plus élevé dans les domaines des cours de langue à finalités professionnelles et des entretiens de carrières, ainsi que des efforts mis en place dans le cadre de l’intégration sur le marché du travail des 2016. Les résultats sont en tous points remarquables d’autant qu’ils ont été comparés à ce qui aurait pu se produire en cas d’absence d’effort (« status quo ante »). Bien sûr, les effets, sur les deux premières années, sont négatifs en raison des sommes engagées. Cependant, au bout de 7 années, un bénéfice net commence à se faire ressentir. Les réfugiés qui ont appris l’allemand et suivi une formation ont un taux d’emploi plus élevé que la moyenne, des revenus supérieurs (et par là même payent plus d’impôts), ont moins recours aux prestations sociales et contribuent au système de sécurité sociale.
C’est pourquoi, au Ministère du Travail et des Affaires sociales conjointement avec le Ministère de l’Intérieur, nous nous efforçons d’améliorer l’offre de cours de langue en Allemagne. Le gouvernement fédéral a sensiblement accru les fonds destinés aux cours de langue à des fins professionnelles, c’est à dire des cours qui vont au-delà de l’apprentissage des basiques de la langue. Pratiquer l’allemand sur son lieu de travail est aussi une autre approche fort prometteuse. Dès lors, nous attachons une importance particulière à la mise en place d’une meilleure coordination entre ces cours d’intégration et les mesures en faveur de l’emploi.