Entretien avec Mechthild Wörsdörfer, Directrice générale adjointe pour l’énergie
A l’occasion d’une rencontre dans les bureaux de la Direction générale de l’énergie, Mechthild Wörsdörfer, Directrice générale adjointe, a accepté de nous éclairer sur les ambitions de la Commission en matière d’hydrogène vert dans le mix énergétique européen. Dans ce cadre, elle nous a présenté les principaux éléments de l’accélérateur hydrogène.
Confrontations Europe : Cet entretien fait suite au lancement de REpowerEU et à la nécessité pour l’UE de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie tout en accélérant sa décarbonisation par le biais de la mise en œuvre du Green Deal européen. C’est dans ce contexte que votre direction a conçu l’accélérateur européen d’hydrogène. Pourriez-vous développer les principaux enjeux de cet accélérateur et comment vous envisagez sa mise en œuvre au sein de la DG ENER ?
Mechthild Wörsdörfer : L’hydrogène fait partie de la politique énergétique de l’UE depuis de nombreuses années. Dès 2020, c’est-à-dire avant l’agression russe contre l’Ukraine, nous avons présenté une stratégie pour l’hydrogène. Dans cette stratégie, nous avons développé un cadre réglementaire et mis en place 20 mesures, allant des investissements pour stimuler la demande, à l’augmentation de la production, la mise en place d’un cadre favorable et la prise en compte de la dimension internationale pour s’approvisionner en hydrogène renouvelable à l’étranger. Nous savons également que presque tous nos États membres disposent désormais de stratégies nationales en matière d’hydrogène.
Nous voyons un rôle pour l’hydrogène propre principalement dans les domaines où nous ne pouvons pas électrifier, dans les industries à forte consommation d’énergie comme l’acier, les produits chimiques, l’aluminium et qui nécessitent, par exemple, des températures extrêmement élevées. Pour l’instant, ces industries utilisent des combustibles fossiles, que nous aimerions remplacer par l’hydrogène. Un autre domaine clef est celui des transports sur de longues distances, de l’aviation et de la navigation, où les technologies de batteries existantes n’offrent pas de solution durable pour les activités sur de grandes distances.
Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, notre plan REPowerEU a mis l’accent sur la transition vers l’énergie propre, sur la diversification, sur l’efficacité énergétique et sur un rôle plus important de l’hydrogène. Nous estimons qu’il est nécessaire d’accélérer la transition vers l’énergie propre et de réduire notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles en général. L’agenda 2050 de l’UE pour la neutralité carbone signifie que nous avons 2030 et 2040 comme référence pour mesurer les progrès réalisés.
Confrontations Europe : En 2023, moins de 0,3 million de tonnes d’hydrogène fabriqué à partir d’électricité seront produites en Europe. Il convient également de noter que la majorité de l’hydrogène actuellement produit provient principalement de sources d’énergie non propres. Comment l’UE peut-elle, en moins de sept ans, décarboner l’hydrogène actuellement produit en Europe et porter sa production à 10 millions de tonnes ?
Mechthild Wörsdörfer : Pour l’instant, l’hydrogène est basé à 98 % sur des combustibles fossiles, de sorte que l’hydrogène renouvelable n’en est encore qu’à ses débuts. Cet hydrogène sera produit par électrolyse en utilisant de l’électricité provenant d’énergies renouvelables, dont la part est en augmentation dans l’UE et continuera de croître. L’UE a récemment convenu d’un objectif contraignant accru de 42,5 % d’énergies renouvelables dans le bouquet énergétique d’ici à 2030.
Il est évident que nous devons disposer d’énergies renouvelables supplémentaires pour produire de l’hydrogène renouvelable, ce qui m’amène à notre premier cadre juridique, à savoir l’acte délégué sur l’additionnalité de l’hydrogène. Celui-ci est basé sur la directive sur les énergies renouvelables de 2018 et offre un certain nombre d’incitations pour produire de l’hydrogène renouvelable à partir de sources supplémentaires d’énergie décarbonée. Il contient certains critères très concrets, qui seront introduits progressivement au fur et à mesure du développement du marché, les règles devenant plus strictes après 2028.
Mechthild Wörsdörfer : Pour l’instant, l’hydrogène est basé à 98 % sur des combustibles. L’acte délégué, qui est entré en vigueur le 10 juillet, a fait l’objet d’un long processus de préparation et de consultation l’année dernière, avec des négociations avec le Parlement, le Conseil et les parties prenantes. En outre, nous sommes également ouverts à l’hydrogène à faible teneur en carbone, conformément au droit des États membres de déterminer leur bouquet énergétique. L’hydrogène à faible teneur en carbone peut ici recouvrir celui issu du nucléaire ou du gaz et du charbon, associé avec des technologies de captage et stockage du dioxyde de carbone avec les technologies (CCS).
Confrontations Europe : Dans le cadre du plan « 20 millions de tonnes d’hydrogène pour 2030 », l’UE vise à augmenter sa production d’hydrogène pour atteindre 10 millions de tonnes d’hydrogène en plus des importations du même volume. L’un des principaux défis consiste à accompagner cette augmentation des importations et de la production d’hydrogène d’infrastructures de transport spécifiques qui relieraient les régions à forte production d’hydrogène aux ports, aux zones industrielles ou aux vallées de l’hydrogène. Quelles perspectives la Commission trace-t-elle pour assurer le transport croissant d’hydrogène vert au cours de la prochaine décennie ?
Mechthild Wörsdörfer : Tout d’abord, il est vrai que nous fixons actuellement des objectifs très élevés : 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable produit au niveau national et 10 millions de tonnes importées. Comme je l’ai dit, nous n’en sommes pas à un million de tonnes aujourd’hui. Il y a donc un réel besoin de passer à l’échelle supérieure dans les sept prochaines années. Nous savons également qu’il existe un très grand nombre de projets dans l’UE et que l’intérêt est énorme, mais nous n’en sommes pas encore là.
Il y a donc l’aspect production que nous devons développer, mais nous devons aussi travailler sur l’aspect infrastructure. En ce qui concerne l’infrastructure, nous pouvons, dans une certaine mesure, utiliser l’infrastructure gazière existante avec des améliorations techniques. Nous pensons également que nous avons besoin d’une infrastructure dédiée à l’hydrogène. Il y a deux raisons à cela. La première est liée à la demande. Comme je l’ai expliqué au début, l’hydrogène est principalement utilisé dans l’industrie et dans le secteur des transports. C’est donc légèrement différent de la demande actuelle de gaz naturel qui représente actuellement un tiers de l’énergie utilisée pour le chauffage dans l’UE. Nous ne prévoyons pas de rôle pour l’hydrogène dans le chauffage. La deuxième raison pour laquelle une infrastructure dédiée à l’hydrogène est nécessaire est d’ordre technique. Il est préférable d’avoir un réseau d’hydrogène pur parce qu’il présenterait moins de défauts de fonctionnement et permettrait moins de pertes au cours du processus de transport. Dans ce sens, nous avons adopté il y a plus d’un an la révision du règlement relatif aux réseaux transeuropéens d’énergie (RTE-E), qui se concentre également sur l’hydrogène. Lors du premier cycle d’application des projets européens d’intérêt commun dans le domaine de l’hydrogène, nous avons reçu 180 propositions, tant pour le stockage que pour l’infrastructure. Nous évaluons actuellement la liste afin de la publier d’ici la fin de l’année.
Sur le plan international, nous percevons un potentiel pour l’hydrogène renouvelable dans les pays où il y a déjà un volume important d’énergies renouvelables, comme en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, …), en Ukraine et en mer du Nord, où il y a beaucoup d’énergie éolienne en mer. Ces producteurs potentiels d’hydrogène se trouvent dans notre voisinage immédiat, ce qui réduit également les coûts de transport.
Confrontations Europe : Nous venons d’évoquer défi du transport, concentrons-nous à présent sur le défi du stockage de l’hydrogène. À plusieurs reprises, le rôle du stockage de l’hydrogène a été souligné, car il serait primordial pour faire face à l’intermittence des énergies renouvelables. À cet égard, il est nécessaire de disposer d’une capacité de stockage homogène et bien répartie sur les continents afin de mieux répondre à la demande. Comme cela a également été souligné par plusieurs parties prenantes, quelles sont les solutions qui peuvent être mises en œuvre pour soutenir l’utilisation de cet objectif de 20 millions de tonnes pour la production et l’importation d’hydrogène dans l’UE d’ici à 2030 ?
Mechthild Wörsdörfer : En ce qui concerne le stockage de l’hydrogène, il est un peu similaire à celui du gaz, mais son utilisation est actuellement très limitée. Quatre types de stockage souterrain sont actuellement utilisés pour le gaz naturel et pourraient servir pour l’hydrogène : les cavernes de sel, les gisements de gaz épuisés, les aquifères et les cavités de roches dures revêtues. Le réseau transeuropéen de l’énergie soutiendra le développement du stockage de l’hydrogène par l’intermédiaire de projets d’intérêt commun qui bénéficieront d’un financement. En outre, l’hydrogène peut également contribuer à équilibrer l’intermittence.
Confrontations Europe : Parallèlement à la Banque européenne de l’hydrogène annoncée en septembre dernier par Ursula von der Leyen lors de son discours sur l’état de l’Union, plusieurs mécanismes ont été proposés pour mieux soutenir la montée en puissance de l’hydrogène, tels que les importations basées sur des enchères ou l’octroi d’une plus grande flexibilité en ce qui concerne les aides d’État pour les projets liés à l’hydrogène. Quelles solutions se dégagent du côté de la DG ENER à cet égard ?
Mechthild Wörsdörfer : Tout d’abord, afin d’accélérer le déploiement de l’hydrogène, nous prévoyons des investissements dans le marché de l’hydrogène de l’ordre de 320 à 460 milliards d’euros d’ici 2030. Comme nous en sommes à un stade précoce, nous devons soutenir les premiers acteurs. C’est l’idée de la banque de l’hydrogène, que la présidente von der Leyen a annoncée en septembre 2022 et qui a ensuite été présentée dans une communication en mars. Nous travaillons conjointement avec la Direction-générale pour le Climat sur cette facilité pour les investissements nationaux dans l’hydrogène renouvelable ainsi que pour les investissements internationaux.
La Banque de l’hydrogène organisera une vente aux enchères pilote cet automne, d’une valeur de 800 millions d’euros, dans le cadre du Fonds pour l’innovation. Cela permettra de constituer une réserve de projets et d’organiser d’autres ventes aux enchères. L’idée est vraiment d’inciter les premiers à se lancer. Cette prime verte diminuera au fil du temps lorsque nous atteindrons 2030. Nous prévoyons ainsi une forte montée en puissance des projets hydrogène jusqu’en 2030, point à partir duquel une sorte de seuil de rentabilité devrait être atteint.
Confrontations Europe : À cet égard, il y a deux ans, en 2021, a été créé le Partenariat pour l’Hydrogène Propre pour un partenariat public-privé conjoint via le système de financement Horizon Europe. Quelle conclusion pouvons-nous tirer de cette initiative alors que la Commission et d’autres acteurs clés se sont engagés il y a quelques mois à intensifier et à accélérer les actions conjointes dans le domaine de la recherche et du développement des valeurs ?
Mechthild Wörsdörfer : Ce Partenariat pour l’hydrogène propre, qui concerne le domaine de la recherche, va de pair avec notre Alliance pour l’hydrogène propre avec l’industrie, dans le cadre de laquelle nous travaillons avec l’ensemble de la chaîne de valeur de l’industrie, à l’instar de l’Alliance pour les batteries. D’autre part, le Partenariat pour l’hydrogène propre est en quelque sorte le successeur de l’entreprise commune pour l’hydrogène qui existe depuis 10 ans. Le Partenariat pour l’hydrogène propre a donc reçu un budget supplémentaire de 2 milliards d’euros pour développer et mettre en œuvre des vallées de l’hydrogène dans toute l’Europe, et 300 millions d’euros sont affectés en 2022 à la recherche et à l’innovation dans le domaine de l’hydrogène pour le Partenariat pour l’hydrogène propre.
En ce qui concerne les enseignements tirés, l’un d’entre eux a été la création de l’Alliance pour l’hydrogène propre, comme je l’ai mentionné. Ensuite, nous nous intéressons également aux utilisateurs finaux et à la destination des fonds : électrolyseurs, mais aussi d’autres aspects de la chaîne de valeur : capacité de stockage, piles à combustible pour les camions et les autobus, applications maritimes.
Confrontations Europe : L’articulation entre le Critical Raw Materials Act et la réalisation d’une énergie propre grâce à l’hydrogène est essentielle. L’hydrogène en général est très lié à notre besoin de produire plus d’énergies renouvelables. Comment pouvez-vous articuler le fait que nous avons besoin, en même temps, de plus d’énergies renouvelables, de plus d’hydrogène et de plus d’autonomie stratégique ? Comment voyez-vous cet échange ou ce dialogue entre le Critical Raw Materials Act et le paquet hydrogène ?
Je pense qu’il y a un lien évident entre les deux, car la stratégie de l’hydrogène et les objectifs de REPowerEU en matière d’hydrogène concernent essentiellement le déploiement. Le Net Zero Industrial Act et le Critical Raw Material Act, qui ont été publiées en mars, concernent réellement la compétitivité et les dépendances, afin de garantir que la production d’hydrogène et le déploiement des infrastructures profitent aux entreprises européennes. En ce qui concerne les minéraux critiques, nous sommes dépendants de pays tiers, et cela ne peut pas changer du jour au lendemain. Mais pour éviter la dépendance que nous avions pour le gaz avec la Russie et que nous avons avec la Chine, nous devons produire nous-mêmes un grand nombre de technologies propres telles que les électrolyseurs et les batteries. C’est pourquoi le Critical Raw Material Act, qui est essentielle pour la fabrication d’électrolyseurs, met l’accent sur l’approvisionnement en Europe. Si cela n’est pas possible, nous devrions nous diversifier en nous appuyant, dans une certaine mesure, sur la Chine, l’Afrique du Sud ou l’Amérique latine.
J’ai travaillé pendant dix ans dans le domaine des politiques énergétiques et climatiques, où l’on a beaucoup œuvré pour les objectifs, le déploiement, les énergies renouvelables. Aujourd’hui, nous devons mettre davantage l’accent sur la nécessité que nos politiques profitent aux consommateurs européens, aux emplois européens, à l’industrie européenne et à l’économie européenne. Par exemple, le Net Zero industrial Actprécise que l’UE doit produire localement 40 % de la technologie nécessaire pour atteindre ses objectifs en matière de climat et d’énergie d’ici 2030.
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