Christophe Béguinet, Conseiller Energie de Confrontations Europe
Nos observations
Aujourd’hui, la politique énergétique européenne vise à assurer la sécurité d’approvisionnement de l’Union, à créer les conditions de prix abordables pour les consommateurs et, plus récemment, à faire évoluer l’Europe vers une économie décarbonée.
Ces ambitions et ces prérogatives étaient auparavant assurées par les seuls États membres. La volonté de faire « remonter » d’un cran ces enjeux de sécurité d’approvisionnement au meilleur coût, tout en incluant l’ambition d’un avenir décarboné, s’est manifestée durant les années 1990, dans une Europe dominée par un « logiciel » libéral. L’UE abandonnait alors les approches planificatrices et concentrait ses efforts sur la construction d’un marché ouvert, qui devait nous permettre d’atteindre ces objectifs politiques.
35 ans après la pose des premières pierres de ce marché européen du gaz et de l’électricité, nous pouvons aisément conclure que la promesse n’a pas été tenue. Non pas que l’idée initiale ait été erronée – l’Europe des 27 peut être extrêmement bénéfique aux systèmes énergétiques européens et nationaux – mais les bases du concept de l’Europe de l’énergie étaient pour l’essentiel adossées à des règles d’un marché ouvert, garantissant la concurrence libre et non faussée en son sein. Or, la première attente des États comme des citoyens, au début des années 2000, concernait principalement la baisse des prix de l’énergie. De ce point de vue, le constat est implacable tant les prix ont été tendanciellement à la hausse dans cette période, du moins en France.
L’Europe n’a pour autant pas réellement failli dans la construction d’un marché européen des énergies en réseau, mais elle n’a pas intégré toutes les dimensions du système électrique, du produit « électricité » et de son caractère non arbitrable, tant l’électricité est devenue un bien de première nécessité.
Comme l’a résumé d’une phrase « IndustriAll », nous sommes en présence « d’un seul marché européen de l’énergie avec 27 mix énergétiques ». On peut ajouter d’ailleurs que certains pays membres s’inscrivent dans le marché européen sans pleinement se préoccuper de leur mix énergétique sous les trois aspects précités : prix, approvisionnement et décarbonation. Ces pays s’en remettent à la communauté des pays membres avec une posture qu’on qualifi e souvent de passager clandestin.
Cependant, l’Europe a largement contribué à développer les interconnexions, les possibilités d’échanges entre États membres et donc les solidarités entre pays qui nous sont très utiles aujourd’hui.
En résumé sur le constat, l’Europe a réalisé des avancées intéressantes et utiles, d’autres imparfaites et sans doute incomplètes mais en tout état de cause, a créé les premières briques d’un système énergétique européen.
Nos recommandations
On l’a compris, l’Union européenne a construit des règles de marché qui n’ont pas permis de pleinement résoudre la problématique dans son ensemble, principalement sur la préparation de l’avenir.
Le marché fixe les règles des échanges et des transactions mais n’a pas permis de sécuriser nos approvisionnements, particulièrement en situation exceptionnelle et imprévisible. La sécurité d’approvisionnement, avec une maîtrise de nos vulnérabilités, n’a pas été, et ne peut probablement pas être, préservée que par le marché. Concrètement, celui-ci a par moments été favorable à des logiques d’achat d’électricité et de gaz sur le court terme, voire sur les marchés « spots », tandis qu’à d’autres moments, il s’est révélé que les approvisionnements sur des contrats de long terme étaient les plus favorables. Ces logiques opportunistes ont été contreproductives par rapport à la construction du marché européen de l’énergie tel qu’il avait été imaginé.
Il y a donc un besoin impératif de planification tant les questions énergétiques sont sur des temps longs. Il y a un besoin de solidarités effectives qui doivent permettre aux citoyens européens de valider un modèle efficace pour eux et pour la communauté. La situation actuelle, pour un citoyen français par exemple, crée une forme d’incompréhension, et parfois de remise en cause, du modèle à 27 dans la mesure où 80 % de l’électricité consommée dans l’hexagone est produite à environ 50 €/MWh et qu’elle est vendue – du fait du fonctionnement du marché européen – à environ 200 €/MWh.
Il faut construire une Europe de l’énergie solidaire et respectueuse des efforts faits par chacun des pays membres, dans l’ambition d’une sécurité d’approvisionnement à coûts maîtrisés et avec une énergie décarbonée.
Cette planification doit s’appuyer sur trois données d’entrée :
- Un marché qui prend en compte la valeur d’usage (puissance pilotable vs puissance aléatoire) des moyens de production et de stockage.
- Un marché qui s’appuie sur une programmation pluriannuelle de l’énergie avec une définition d’un mix énergétique européen qui contribue aux objectifs des 27.
- Une anticipation des besoins en énergie à terme (court/moyen/long) afin de ne pas être en déficit de production avec une exposition à des risques forts sur la sécurité d’approvisionnement, les prix et le caractère décarboné de nos sources d’énergie.
Les exemples de la politique agricole commune comme celui de la Banque centrale européenne nous montrent que, même sur des sujets fondamentaux, nous avons su dépasser les égoïsmes et les particularismes pour être finalement plus forts ensemble. Pour l’énergie, et particulièrement pour l’électricité, n’oublions pas que les systèmes nationaux se sont construits par l’association de systèmes très locaux et cela pour le plus grand bénéfice des consommateurs et des États. Nous pouvons prolonger cette même démarche, largement validée techniquement, en basculant sur l’échelle européenne des marchés du gaz et de l’électricité.