Michel CRUCIANI
Conseiller Énergie-Climat à Confrontations Europe, chargé de mission à l’Université Paris-Dauphine
Les dossiers concernant l’énergie sont devenus emblématiques de la méthode « Confrontations » par les sujets abordés, par les publics invités et par l’espace européen impliqué. Face à l’urgence climatique, cette méthode reste pertinente pour définir les projets communs.
L’énergie comme projet fédérateur européen
« Le communisme, c’est les Soviets plus l’électricité. » Pour paraphraser Lénine on pourrait dire : « Confrontations, c’est l’Europe plus l’électricité. » L’acte de naissance du think tank se confond en effet avec la publication par la Commission Européenne, en janvier 1992, d’une proposition de réforme du marché du gaz et de l’électricité, visant à libéraliser totalement une industrie organisée jusque-là, partout dans le monde, sur la base de monopoles. Et ce dossier a illustré de façon exemplaire la méthode appliquée par Confrontations : organiser un débat entre des participants qui n’ont pas l’habitude de traiter ensemble d’affaires aussi lourdes. On a donc réuni des représentants de divers pays, des industriels et des syndicalistes, des experts et de simples citoyens, des hauts fonctionnaires et des chercheurs, etc. Grâce à une préparation très en amont de leurs rencontres, aboutissant à sérier finement les sujets et formuler les questions précises, ces discussions ont dégagé des propositions, souvent originales, toujours importantes, que Confrontations a su diffuser largement à travers ses nombreuses publications. Pour ne citer qu’un sujet sur lequel Confrontations a fait évoluer les esprits et les textes, mentionnons la notion de service d’intérêt général : la rédaction finale des trois directives sur l’électricité, de 1996 à 2009, porte incontestablement la marque des réflexions dont Philippe Herzog a nourri le Parlement européen.Dans le quart de siècle écoulé, l’énergie n’a jamais quitté le devant de la scène européenne. Outre les diverses étapes de la libéralisation, toujours discutées ici, les préoccupations relatives au climat ont pris une place croissante dans la législation européenne sur l’énergie, depuis le Protocole de Kyoto (1997) jusqu’à l’Accord de Paris (2015), et donc dans les rencontres organisées par Confrontations. Le think tank a également accordé une grande attention à l’intégration énergétique des nouveaux membres de l’UE, plaidant sans relâche pour un maillage plus étroit des réseaux afin d’atténuer la dépendance des pays d’Europe orientale vis-à-vis de leur fournisseur historique et créer de nouvelles solidarités. Combien de think tanks comptent autant de débats sur l’énergie, menés à Budapest, Prague ou Varsovie ? Combien d’entre eux peuvent affirmer avoir travaillé à Bruxelles avec un panel très large de partenaires sur des sujets couvrant tout le spectre qui va de l’énergie nucléaire aux biocarburants ?
En 2017, l’électricité figure à nouveau au centre de l’actualité. La Commission entrée en fonction en 2014 a fait de l’Union de l’Énergie un axe majeur de son programme, et le 25e anniversaire de Confrontations Europe coïncide avec la publication de huit propositions législatives sur l’énergie. Ces textes présentent une grande complexité, liée à leur technicité intrinsèque et aux interactions entre eux. Le projet politique qui les sous-tend comporte, comme en 1992, à la fois des aspects attirants, avec des perspectives d’énergies modernes et d’intégration économique, et des aspects inquiétants, avec une perte d’autonomie des acteurs nationaux et une vision très libérale d’un marché régi par les seuls prix à court terme.
Comme en 1992, un débat bien structuré peut esquisser les contours des améliorations à apporter à ces textes, mais en 2017, les échanges seront plus difficiles à structurer. En premier lieu parce qu’en 25 ans, la mondialisation a exacerbé la compétition économique, les technologies numériques ont fait des pas de géant, le secteur financier a conquis une position de force : ces facteurs pèsent sur notre avenir énergétique. En second lieu parce qu’en 25 ans, l’état d’esprit a changé : la suspicion à l’égard des institutions communautaires s’est considérablement accrue, poussant certains partis politiques, voire des gouvernements entiers, à camper sur une ligne intransigeante que l’on pourrait résumer par « mes intérêts immédiats d’abord », à l’image de Donald Trump et de son mot d’ordre : « America first ». La responsabilité d’organisations comme Confrontations Europe est donc immense puisqu’il faut expliquer les enjeux contenus dans des textes ardus, mettre en regard les attentes des diverses parties prenantes et formuler des conclusions susceptibles de rendre confiance en un projet commun. À 25 ans, on a l’âge de relever ce défi !