Par Alexandra Huet, Consultante en relations internationales
Le 20 janvier 2025, Donald Trump a été investi en tant que 47ᵉ président des États-Unis, marquant ainsi le début de son second mandat à la Maison-Blanche. Son retour au pouvoir, huit ans après sa première élection en 2016, ne manque pas de susciter de vives interrogations sur les implications pour l’ordre international et, en particulier, pour l’Union européenne. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait profondément remodelé les relations internationales par son approche « America First », posture traduite par une série de décisions marquantes. Parmi celles-ci figurent le retrait des États-Unis des Accords de Paris sur le climat, mais également de l’UNESCO, du Partenariat trans-pacifique (TPP), ainsi que l’abandon de l’accord nucléaire iranien (JCPOA). Ces retraits successifs avaient accentué les tensions avec les partenaires internationaux et remis en question le rôle traditionnel des États-Unis en tant que leader d’un ordre multilatéral. Sur le plan de la sécurité collective, Trump avait adopté une position particulièrement critique vis-à-vis de l’OTAN. Cette rhétorique avait alimenté des incertitudes profondes quant à la fiabilité de l’engagement américain en matière de sécurité transatlantique, fragilisant ainsi les liens historiques entre l’Europe et les États-Unis.
Depuis son dernier mandat, le contexte géopolitique s’est complexifié. L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a sonné le retour de la guerre en Europe, mettant la pression sur l’UE pour consolider son unité politique et militaire. Parallèlement, l’ascension de la Chine remet en question la domination occidentale sur le plan économique et géopolitique. Enfin, l’aggravation du conflit israélo-palestinien, sur fond de normalisations incomplètes au Moyen-Orient, souligne l’urgence pour l’Europe de jouer un rôle plus actif dans la gestion des crises globales.
Dans ce contexte, le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis impose à l’UE une réflexion stratégique approfondie : faut-il voir ce retour comme une menace pour la stabilité des relations transatlantiques et l’ordre mondial, ou bien, une opportunité pour l’Europe de renforcer son autonomie et d’assumer un rôle de leadership plus affirmé ?
Trump et les courants républicains : une politique étrangère d’activisme sélectif
Au sein du Parti républicain, trois courants de pensée se disputent la direction de la politique étrangère de Trump. Le premier, les « restrainers » (1) ou isolationnistes, prône une politique d’auto-centrisme, dans laquelle l’implication des États-Unis dans les affaires mondiales est perçue comme un fardeau qui détourne des priorités domestiques. Le second courant, celui des « primacists », défend une vision interventionniste des États-Unis, aspirant à maintenir une position dominante sur la scène mondiale, non seulement pour protéger leurs intérêts, mais également pour promouvoir un ordre international basé sur des valeurs démocratiques. Enfin, un troisième groupe, les « prioritisers », plaide pour une approche plus sélective, mettant l’accent sur les priorités stratégiques des États-Unis, en particulier face à la montée en puissance de la Chine.
Trump ne peut être qualifié d’isolationniste au sens traditionnel du terme, car son discours et ses actions révèlent un engagement actif lorsqu’il estime que les intérêts américains sont directement menacés. À l’inverse, il ne s’apparente pas non plus à un interventionniste classique, préférant éviter les engagements militaires prolongés et coûteux. Sa politique étrangère semble plutôt osciller entre ces deux pôles en fonction des enjeux et des menaces perçues. Comme l’explique Joseph Nye (2), ancien secrétaire adjoint à la Défense pour les affaires de sécurité internationale aux États-Unis, l’approche de Trump en matière de politique étrangère correspond à ce qu’il qualifie d’activisme sélectif, vision reposant sur l’idée des « prioritisers ». Les États-Unis doivent intervenir uniquement lorsque leurs intérêts vitaux sont en jeu, tout en évitant de s’imposer comme arbitre universel des conflits
mondiaux.
Trump et la défense européenne : entre pression financière et autonomie stratégique
Depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, l’Europe se trouve confrontée à une nouvelle réalité géopolitique. La guerre a mis en lumière la vulnérabilité de l’Europe à assurer sa propre défense.
Avant le déclenchement de ce conflit, aucun des États européens membres de l’OTAN n’atteignait l’objectif de consacrer 2 % de leur PIB à la défense, engagement pris en 2014 (3). Cependant, face à la menace directe représentée par la guerre aux portes de l’Europe, la situation a radicalement changé. Aujourd’hui, 23 des 32 pays membres de l’OTAN respectent cet objectif, certains dépassant largement ce seuil comme la Pologne (4,1 %), l’Estonie (3,4 %) ou la Lettonie (3,1 %), situés en première ligne face à la Russie (4).
Durant sa campagne présidentielle, Donald Trump n’a cessé d’affirmer qu’il pourrait résoudre le conflit entre l’Ukraine et la Russie en seulement 24 heures. Cette déclaration, aussi ambitieuse qu’ambiguë, soulève néanmoins des questions essentielles pour l’Union européenne : à quel prix ? L’enjeu ne se limite pas à mettre un terme à cette guerre qui entre dans sa troisième année, mais également à garantir que la Russie soit tenue responsable de son agression, que l’Ukraine puisse recouvrer ses territoires et qu’elle bénéficie des moyens nécessaires pour assurer sa sécurité future. C’est dans cette
perspective que l’Ukraine cherche à rejoindre l’OTAN et l’Union européenne.
Comme lors de son premier mandat, Trump a également menacé de retirer les États-Unis de l’OTAN, non par opposition à l’existence de l’organisation, mais en raison de sa perception que le fardeau financier repose de manière disproportionnée sur les épaules américaines. Tandis qu’en 2017 il demandait aux membres de porter leur budget de défense à 2 % du PIB, il plaide aujourd’hui pour une augmentation portée à 5 % (5). Cette exigence a suscité des réactions mitigées en Europe, notamment en France, en Allemagne et en Italie, où de nombreux responsables politiques affirment que leurs budgets nationaux ne pourraient supporter une telle charge sans compromettre d’autres priorités économiques et sociales.
Trump insiste sur l’importance pour l’Europe de développer des capacités de défense solides et autonomes, soulignant que si l’Union européenne ne prend pas ses responsabilités en matière de sécurité, les États-Unis pourraient envisager de se retirer de l’OTAN. Néanmoins, la nomination de Marco Rubio (6), comme secrétaire d’État, un partisan de l’OTAN, envoie un message nuancé. En décembre 2023, Rubio a fait adopter une loi (7) renforçant les mécanismes de maintien des États-Unis au sein de l’Alliance, en exigeant une majorité qualifiée des deux tiers du Sénat pour tout retrait. Cette mesure témoigne d’un certain équilibre entre les critiques de Trump et les engagements institutionnels des États-Unis envers leurs partenaires transatlantiques.
Vers une défense européenne autonome : initiatives et défis
Ces dernières années, l’Union européenne a pris plusieurs initiatives pour renforcer sa défense. En novembre 2024, l’UE a réformé ses programmes de coopération en matière de défense via la Coopération Structurée Permanente (CSP) (8), un mécanisme permettant aux États membres de collaborer sur des projets communs tout en finançant l’industrie militaire européenne. En mars 2024, l’UE a adopté sa première stratégie industrielle de défense, accompagnée du programme EDIP (European Defence Industry Programme) (9), doté de 1,5 milliard d’euros pour la période 2025-2027. Ces initiatives s’ajoutent aux Fonds européen de défense, créé en 2021, visant à soutenir les projets transnationaux et à renforcer la coopération industrielle dans le secteur de la défense, avec un budget total de 7,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027 (10).
Cependant, cette dynamique se heurte à des divisions internes au sein de l’UE. Des désaccords persistent sur l’allocation des fonds de défense. Certains pays plaident pour une préférence européenne stricte, favorisant les entreprises locales, tandis que d’autres préconisent une approche privilégiant l’efficacité immédiate, même si cela implique de collaborer avec des acteurs extérieurs, notamment américains. Cette dernière position est jugée préoccupante par certains dirigeants, comme le ministre des Armées français, Sébastien Lecornu, qui estime qu’elle pourrait « menacer l’autonomie stratégique de l’Europe » (11).
En définitive, l’Union européenne se trouve à un carrefour décisif. La guerre en Ukraine et les incertitudes liées à la politique étrangère américaine sous Trump offrent une occasion unique d’approfondir son autonomie stratégique, sans pour autant rompre avec ses alliances traditionnelles. L’objectif n’est pas de remplacer l’OTAN par une défense européenne indépendante, mais de la compléter pour construire un système de défense plus équilibré et résilient, capable de répondre aux défis du XXIᵉ siècle.
Le pivot vers l’Asie : la réorientation de la politique américaine et ses implications pour l’Europe
L’une des principales raisons poussant les États-Unis à réduire leur implication dans les affaires européennes réside dans le pivot stratégique vers l’Asie, initié en 2011 par l’administration de Barack Obama. Cette réorientation de la politique étrangère américaine répond à une priorité claire : faire face à la montée en puissance de la Chine, perçue comme l’adversaire principal des États-Unis sur les plans économique, technologique, et géopolitique. Pour Donald Trump comme pour son prédécesseur, Joe Biden, la Chine constitue l’ennemi numéro un. Ce consensus transcende les clivages partisans aux États-Unis et reflète une reconnaissance unanime des défis que pose cette puissance émergente. Cet intérêt pour l’Asie se caractérise par le renforcement des alliances stratégiques, notamment à travers l’AUKUS, un partenariat trilatéral entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni et à travers l’intensification de la coopération au sein du Quad+, un cadre stratégique regroupant les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie, visant à contrer l’influence croissante de la Chine dans la région Indo-Pacifique.
Dans ce contexte, l’Europe, bien que toujours importante, n’apparaît plus comme la priorité absolue pour Washington. Les dirigeants américains estiment que le continent européen, riche et développé, doit prendre une plus grande part de responsabilité dans sa propre sécurité. Cependant, cette réorientation ne signifie pas un désintérêt total pour l’Europe. Les États-Unis reconnaissent que le partenariat transatlantique reste essentiel pour contrer les menaces globales, qu’il s’agisse de la résurgence de la Russie ou des défis posés par la Chine. Néanmoins, dans un monde multipolaire où les ressources stratégiques sont limitées, l’Indo-Pacifique représente une priorité absolue pour Washington.
Vers un nouvel équilibre États-Unis-Europe ?
Donald Trump, avec son style direct et brutal, agit comme un électrochoc pour l’Union européenne, rompant avec les pratiques diplomatiques multilatérales traditionnelles. Il a mis en lumière les déséquilibres dans la relation transatlantique, notamment en matière de défense, de commerce et de leadership global. Toutefois, les lignes directrices de la politique étrangère américaine, telles que la nécessité de partager le fardeau de la sécurité transatlantique et la volonté de concentrer les efforts sur l’Indo-Pacifique, transcendent les mandats de Trump.
- Rudge M., Shapiro J., « Polarised power: The three Republican ‘tribes’ that could define America’s relationship with the world », November 2022, European Council on Foreign Relations,
- Nye J., « Anticipating Trump’s Foreign Policy » December, 4, 2024, Project Syndicate,
- Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), « Dépenses de défense et règle OTAN des 2 % »,
- Toute l’Europe. « Les dépenses militaires dans l’Union européenne. », 2025,
- Singh, A. « Transcript of Trump’s Pre-Inauguration Press Conference at Mar-a-Lago. », January, 7, 2025, Singjupost,
- Marco Rubio est un homme politique américain, sénateur de la Floride depuis 2011 et candidat à la présidence des États-Unis en 2016, affilié au Parti républicain. Vazquez M., « Congress approves bill barring presidents from unilaterally exiting NATO », December, 16, 2023, Tim Kaine US Senator from Virginia,
- Pugnet A., « Défense : la réforme de la coopération structurée permanente vise une approche plus réfléchie des projets », 2024, Euractiv.
- Secrétariat général des affaires européennes, « La Commission européenne présente sa stratégie industrielle de défense », 2024,
- Ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales, « Fonds européens » Europe en France,
Bibliographie :
Fix, L., & Matthijs, M., « Europe Reacts to Trump’s Victory », 2024, novembre 26, dans
Council on Foreign Relations, Podcast audio, Council on Foreign Relations.
Lecornu S., « Vœux 2025 – Discours de Monsieur Sébastien Lecornu, ministre des Armées »,
2025, Ministère des Armées.
Ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales,
« Fonds européens » Europe en France.
Nye J., « Anticipating Trump’s Foreign Policy », December, 4, 2024, Project Syndicate.
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approche plus réfléchie des projets », 2024, Euractiv.
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America’s relationship with the world », November 2022, European Council on Foreign
Relations.
Secrétariat général des affaires européennes, « La Commission européenne présente sa
stratégie industrielle de défense », 2024, SGAE.
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January, 7, 2025, Singjupost.
Toute l’Europe, « Les dépenses militaires dans l’Union européenne », 2025, Toute l’Europe.
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des 2 % ».
Vazquez M., « Congress approves bill barring presidents from unilaterally exiting NATO », December, 16, 2023, Tim Kaine US Senator from Virginia.