Ngaire WOODS
Fondatrice de l’école Blavatnik et professeur de gouvernance économique mondiale à l’Université d’Oxford
Le référendum britannique de juin dernier qui a marqué la victoire du Brexit apparaît surtout comme une très mauvaise nouvelle pour la démocratie. S’adresser directement à ses concitoyens par une question courte et à la formulation simple semble être le fait de dirigeants politiques qui refusent d’assumer leur propre responsabilité.
Le 23 janvier 2013, le Premier ministre britannique David Cameron a annoncé la tenue d’un référendum sur le maintien du pays dans l’Union européenne ou sa sortie : « L’heure est venue pour le peuple britannique d’avoir son mot à dire. L’heure est venue de régler cette question de la relation entre la Grande-Bretagne et l’Europe ». Sur ces deux points, son intervention témoigne d’une défaillance des pratiques démocratiques.
Lorsqu’un élu doit organiser un référendum pour connaître l’opinion des citoyens, on ne peut qu’en déduire qu’il ne les écoute pas. En Grande-Bretagne, comme dans de nombreuses démocraties, les gens disposent de divers moyens pour se faire entendre. Ils peuvent former des associations ou des groupes de pression, écrire à des journaux, participer à des débats télévisés, écrire au Premier ministre, voter dans le cadre d’élections locales, régionales et nationales… Ils peuvent harceler le représentant local du Parlement, de leur église ou de leur établissement scolaire… Ces possibilités ne sont peut-être pas les plus opportunes, mais une solution existe : la consultation constructive. Un référendum peut-il faire l’affaire ?
Il s’agit sûrement de la forme de consultation la moins efficace. Un référendum offre aux citoyens la chance de répondre à une question, mais, dans les faits, la manière dont les gens y répondent a rarement un rapport avec la question elle-même. Par exemple, la Nouvelle-Zélande a récemment organisé le référendum le plus simple qui soit : les citoyens ont eu la possibilité de voter pour leur drapeau préféré. Beaucoup ont voté pour ou contre l’un des deux modèles proposés comme s’ils votaient pour ou contre le Premier ministre (qui avait clairement fait état de sa préférence), ou pour ou contre le processus de sélection lui-même. En fait, il est très difficile de trouver des personnes qui ont voté simplement pour leur modèle préféré de drapeau. Dans cet exemple, il s’avère que le référendum n’a servi, au mieux, que de moyen imprécis pour établir certaines préférences.
Rejet de responsabilité
L’autre argument du Premier ministre pour justifier la tenue d’un référendum était qu’il était temps pour le peuple britannique de régler la question de la relation entre le Royaume-Uni et l’Europe. À bien y repenser, à qui revient la responsabilité de régler cette question ? Aux hommes politiques élus spécialement pour prendre de telles décisions et en assumer la responsabilité lors de l’élection du Parlement et des élections nationales ? Non : c’est quelque chose que le Premier ministre a cherché sciemment à éviter. Ce faisant, le gouvernement n’a pas voulu assumer sa responsabilité quant au résultat du vote. Pour dire les choses simplement, le Premier ministre, confronté à une décision périlleuse sur le plan politique, s’en est remis à d’autres. C’est une tentation à laquelle tous les hommes politiques sont soumis.
Le mot « référendum » signifie de fait « en référer à quelqu’un », et les politiques adorent en référer à d’autres pour éviter les conséquences. Les référendums, tout comme les commissions indépendantes, sont pour eux le moyen de s’éviter des décisions difficiles. Mais quand c’est le vote du public qui tranche la question, qui est tenu pour responsable du résultat ? Un référendum permet aux hommes politiques de ne pas avoir à en assumer les responsabilités ou les conséquences : le « peuple » qui a pris la décision ne peut être défait aux élections.
Margaret Thatcher s’était, en 1975, fermement opposée à la tenue du premier référendum du pays (sur la CEE) : selon elle, sans protections et sans définition établies par une Constitution écrite, un référendum revenait à sacrifier la souveraineté du Parlement sur l’autel de l’opportunisme politique. Demander son avis à la majorité, c’est troquer la démocratie libérale contre le principe de la majorité, ce qui représente une menace pour les minorités. Pour faire court, cela nuit à la démocratie libérale. Comme Margaret Thatcher le disait, « peut-être que Lord Attlee avait raison lorsqu’il a dit que le référendum était un outil pour les dictateurs et les démagogues ».