Le réemploi d’emballages : de l’art de faire l’autruche

Par SHU ZHANG, Co-fondatrice et Directrice générale de Pandobac

Créée en 2018, Pandobac est une entreprise qui vise à réduire l’emploi d’emballage à usage unique, en les remplaçant par des bacs réemployables, qu’elle loue à des entreprises partenaires, selon leurs produits et marchandises.

Le réemploi d’emballages effraie, pourtant il n’est pas chimérique, loin de là. Il est répandu dans de nombreux secteurs (automobile, pharmacie, boissons, maraîchage…) dans de nombreux pays. Mais il continue à faire peur. Cette peur s’est matérialisée par le travail particulièrement acharné des lobbies contre le réemploi, qui le diabolisent en produisant des contenus dont les sources sont plus que douteuses, ainsi que par les âpres négociations entre pays sur le PPWR. Le réemploi a été le principal sujet de discorde et divise encore aujourd’hui les pays, malgré l’accord en trilogue du 4 mars dernier.

Le résultat de cet acharnement tombe comme un couperet pour nous, acteurs du réemploi d’emballages : malgré la mise en place d’objectifs législatifs (une grande première !), les plus ambitieux d’entre eux qui auraient permis de changer la donne ont été supprimés ou repartent avec des exemptions ou des dérogations. Nous constatons que le recyclage reste au cœur de la vision de l’Europe pour traiter le sujet des emballages. Quid de la hiérarchie des modes de traitement des déchets pourtant introduite par la Directive européenne 2008/98/CE, qui priorisait la prévention, la réduction des déchets à la source et le réemploi ?

Rien d’étonnant alors à ce que la quantité de déchets d’emballages produits par habitant soit en augmentation constante : en 2021, d’après Eurostat, un habitant européen produisait en moyenne 188,7 kg de déchets d’emballages, soit 6% de plus qu’en 2020, et presque 20% de plus qu’en 2011. Les projections ne sont pas réjouissantes : l’Europe connaîtrait une augmentation d’encore 19% d’ici 2030. Le tri et le recyclage de ces déchets sont essentiels, et il est nécessaire de se fixer des objectifs de recyclabilité et de taux de recyclage effectif des différents emballages. Le PPWR remplit bien son objectif de ce point de vue. Par contre, le recyclage ne sera pas suffisant pour endiguer l’augmentation des volumes de déchets. Pour les recycler, il faut déjà les capter, et les chiffres nous disent que plus on produit de déchets au global, plus on en retrouve dans la nature. En 2016, 63 000 tonnes de déchets sauvages ont été recensés en France. En 2021 : c’était 100 000 tonnes. On serait donc à 170 000 tonnes en 2030, si nous projetions linéairement l’évolution. Où est la limite de tout ça ? Je suis résolument convaincue qu’il faut changer de modèle et changer les usages, et le PPWR dans sa version de novembre 2022 partageait cette même vision. Elle a été malheureusement amputée de ses ambitions et n’a plus sa force initiale.

Le réemploi doit être un des piliers de ce nouveau modèle de consommation et les entreprises, même si elles ont peur, se préparent depuis des années à cette transition. Mais personne ne se lancera tant qu’il n’y aura pas d’obligations fortes. Et il n’y aura pas d’obligations fortes tant qu’on continuera à procrastiner les actions pour développer le réemploi.

Continuer sur la voie du recyclage coûte que coûte, c’est faire l’autruche. C’est extrêmement dommage de ne pas avoir profité de cette dynamique et de tout le travail mené sur le PPWR pour apporter une vraie rupture et une avancée majeure dans notre rapport aux emballages.

Je baigne dans le milieu du réemploi d’emballages depuis 6 ans déjà. J’ai notamment créé Pandobac, qui remplace tous les jours des emballages logistiques à usage unique par des bacs réemployables. Je suis aussi administratrice du Réseau Vrac et Réemploi qui regroupe tous les acteurs français de la filière. En étant au cœur du cyclone, j’étais aux premières loges pour assister à la montée en puissance du réemploi d’emballages des 6 dernières années : la prise de conscience du consommateur, la prise en main du sujet par les entreprises et la prise en charge réglementaire.

En 2018, le réemploi d’emballages était à ses tout débuts. La loi AGEC n’était pas encore sortie, personne ne connaissait ce terme et ne comprenait pas le concept à moins d’évoquer les bouteilles de lait consignées (« ah oui, il y avait ça à l’époque de mes grands-parents ! »). Aujourd’hui, d’après des données de l’ADEME, de CITEO et nos recherches, 6 millions d’emballages seraient déjà réemployés tous les jours en France, dont 70% concernent des emballages logistiques. Les solutions sont donc déjà opérationnelles, fonctionnelles et déployées. En France, nous comptons aujourd’hui plus de 200 apporteurs de solutions de réemploi, sur tous les secteurs et sur tout type d’emballages.

Le réemploi d’emballages permet non seulement de répondre à la problématique de la génération croissante de déchets d’emballages, en les réduisant à la source, mais est également créateur d’emplois non délocalisables. D’après un communiqué de la Commission Européenne sur le Pacte vert : « l’encouragement de la réutilisation devrait à lui seul permettre de créer plus de 600 000 emplois dans le secteur de la réutilisation d’ici à 2030, dont un grand nombre dans des petites et moyennes entreprises locales ». En France, une étude de la Fondation Ellen MacArthur estime à au moins 11 000 le nombre d’emplois locaux créés par des systèmes de réemploi d’emballages d’ici 2040, uniquement sur les métiers de la logistique retour.

Alors qu’est-ce qu’on attend ?

Et bien justement, tout le monde attend que les autres se lancent. Chacun se renvoie la patate chaude : « les consommateurs ne sont pas prêts », « les industriels ne proposent pas assez de produits en réemploi », « les lois ne sont pas assez restrictives », « il n’y a pas assez de solutions de réemploi », « les solutions de réemploi ne sont pas assez compétitives » … Du coup, qui doit agir en premier ? Comment faire pour que le réemploi soit déployé à l’échelle d’un pays, à l’échelle de l’Europe ?

Ma conviction, c’est qu’il y a plusieurs actions à mener en parallèle (et c’est toute la difficulté du sujet et qui le rend d’autant plus passionnant) :

1. les consommateurs, qui sont au cœur du réemploi d’emballages primaires, doivent être moteurs dans le geste de retour des emballages. Il est nécessaire d’organiser des campagnes massives de sensibilisation et cela doit se faire main dans la main avec les pouvoirs publics pour plus d’efficacité ;

2. les apporteurs de solutions de réemploi, qui se sont développés jusqu’à récemment « chacun de leur côté », doivent désormais s’organiser pour mailler l’ensemble des besoins du système de réemploi (la collecte, la logistique, le lavage, la redistribution, le pilotage des flux physiques et monétaires …). Cette structuration de la filière est en marche et s’est faite naturellement depuis un peu plus d’un an. Nous voyons fleurir de nombreuses collaborations et coalitions, ainsi que des projets collectifs rassemblant l’ensemble des parties prenantes, et cela démontre encore une fois que les acteurs sont prêts ;

3. sur l’aspect législatif, il faut maintenant que les décrets d’application sortent, qu’ils incluent des incitations économiques au réemploi au travers de sanctions ou de primes, et que leur application soit réellement suivie et respectée. Les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) ne suffiront pas en l’état malgré les systèmes d’éco-modulations qui favorisent les solutions les plus vertueuses ;

4. et enfin, le dernier chantier et non des moindres : il y a encore énormément d’idées reçues et de fausses informations qui circulent sur le réemploi d’emballages. Il est essentiel de sensibiliser les entreprises sur les bénéfices du réemploi, sur la base de données fiables et vérifiées (et non commanditées uniquement par des lobbys ou par des opérateurs de réemploi, qui sont tous deux trop biaisés). La question de l’eau, par exemple, divise souvent et ne devrait même pas être un sujet : le réemploi d’emballages permet des économies d’eau significatives lorsqu’on prend en compte l’ensemble du cycle de vie de l’emballage.

En l’absence du coup de boost législatif au niveau européen du PPWR, c’est à nous toutes et tous, acteurs du réemploi, de continuer à démontrer toutes les opportunités qu’offre le réemploi d’emballages d’un point de vue environnemental, financier, et opérationnel, et ainsi inspirer les pouvoirs publics pour les prochaines années. J’en suis convaincue : le réemploi va dans le sens de l’histoire, et ce sont les innovations économiques et sociétales de l’économie circulaire qui feront l’Europe de demain.

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