Michel CRUCIANI et Morgane GORET-LE GUEN
Conseiller Énergie & Climat pour Confrontations Europe
et Morgane, chargée de mission à Confrontations Europe
La communauté internationale avance lentement et ce malgré la succession de catastrophes naturelles et les rapports d’experts attestant la réalité du changement climatique. La COP24 qui s’est tenue en Pologne en décembre a révélé le peu d’allant des Etats qui craignent de figurer parmi les perdants des restructurations nécessaires et qui choisissent d’entraver toute action.
« Conférence de la dernière chance », « alerte rouge face au péril climatique », « course contre la montre »… Dans les semaines qui ont précédé la COP24(1), la presse internationale a utilisé les expressions les plus alarmistes pour illustrer le besoin urgent d’action, au terme d’une année 2018 marquée par les conséquences dramatiques de la hausse des températures. Sans doute fallait-il galvaniser les négociateurs qui risquaient d’être tétanisés par les difficultés à surmonter, visibles dès leur arrivée en Pologne dans la ville de Katowice, capitale de la Silésie, région vivant essentiellement de la ressource charbonnière et lieu hautement symbolique d’une transition qui ne se fera pas sans résistance ni sans douleur.
La COP24 s’est ouverte sur un tableau en demi-teinte : certes, 94 % des parties ont ratifié l’Accord de Paris de décembre 2015, malgré la sortie des États-Unis et la frilosité du Brésil, mais les émissions de la plupart des pays (dont la France) sont reparties à la hausse en 2017. La trajectoire n’est donc pas la bonne : les experts du GIEC(2) ont retourné le couteau dans la plaie en publiant courant octobre un rapport spécial illustrant l’ampleur des dégâts engendrés par une hausse des températures de 1,5 °C. Or les engagements pris par les États signataires de l’Accord de Paris nous conduisent à dépasser 3 °C… La COP24 comportait donc deux enjeux : officiellement, il s’agissait d’établir une sorte de code universel (rulebook) permettant à la communauté internationale d’apprécier les efforts de chaque État ; officieusement, les acteurs les plus impliqués (certains pays, des ONG, des collectivités, etc.) espéraient obtenir une révision à la hausse des engagements. En marge de ces négociations, l’ensemble des participants voulaient aussi s’assurer que les financements nécessaires seront disponibles à partir de 2020.
L’Union européenne à la peine
La COP24 a atteint son premier objectif : il existe dorénavant un ensemble de règles précises constituant un langage commun pour décrypter les engagements et les réalisations de tous les États. Côté financement aussi, les tendances sont bonnes. Le point noir demeure le manque d’ambition de la plupart des dirigeants politiques de la planète. D’un côté se trouvaient les pays publiquement réticents à agir : Arabie saoudite, États-Unis, Koweït et Russie. Ceux-là ont continué à faire une promotion ouverte des énergies fossiles, refusant les changements massifs qu’impliquerait une réduction majeure des émissions. Face à ce signal très négatif, on a constaté un réel déficit de leadership au sein des États soucieux d’accélérer la lutte contre le changement climatique, voire une forme d’attentisme. La Chine et l’Inde en tête ont semblé prendre prétexte de l’inaction des pays du premier groupe pour refuser de s’engager plus avant.
L’Union européenne, qui a joué longtemps un rôle moteur au plan mondial, peine désormais à relever ses ambitions et est restée effacée à Katowice. Les divisions des Européens face à un rehaussement des engagements y sont apparues au grand jour. L’Allemagne figure parmi les plus réticents, visiblement effrayée par les difficultés domestiques qu’elle rencontre déjà pour atteindre son objectif 2020. La Pologne, quant à elle, considère le charbon national comme vital pour sa sécurité d’approvisionnement et repousse de plusieurs décennies toute perspective d’abandonner la houille dans son sous-sol. Même la France, qui veut se montrer bonne élève, s’est heurtée à un principe de réalité que lui ont rappelé les « gilets jaunes », la privant de toute possibilité d’influence internationale. Ces contraintes ont facilité le ralliement à un mot d’ordre : la transition écologique devra être « juste », c’est-à-dire mettre tout le monde à contribution, de manière équitable. À cet égard, la « Déclaration de Silésie » adoptée à la COP24 par les pays conscients de ce besoin de justice semble bien vague. Souhaitons que les candidats aux prochaines élections européennes s’en emparent pour lui donner de la consistance et éviter qu’elle serve d’alibi à la passivité en attendant les prochaines COP.
1) 24e conférence des pays signataires de la convention de l’ONU sur le climat.
2) Groupe international d’experts sur le climat.