Le passeport numérique des produits, une opportunité pour les entreprises engagées dans l’économie circulaire ?

Par Sophie Le Pallec – Responsable des relations institutionnelles à GS1 France

GS1 France est la société représentant en France l’organisation internationale GS1, neutre et à but non lucratif, créée par les entreprises pour faciliter et automatiser les échanges entre partenaires en s’appuyant sur un système d’identification unique. Avec plus de 58 000 entreprises adhérentes en France (de la TPE aux grands groupes, couvrant près de 20 filières) et plus de 2 millions dans le monde, GS1 offre un véritable espace de collaboration et d’inclusion permettant de définir et adopter des règles communes – des standards – qui profitent à tous.

Le passeport numérique des produits, de quoi parle-t-on ?

Comment garantir la durabilité et la circularité des produits qui seront mis, demain, sur le marché européen? C’est l’un des objectifs du Pacte vert européen et un défi pour la Commission européenne et l’ensemble des États membres. Le Règlement européen sur l’Ecoconception des Produits Durables (REPD), ou «Ecodesign for Sustainable Products Regulation» (ESPR) en anglais, veut répondre à cet objectif, en fixant des seuils minimums en matière de qualité environnementale, en deçà desquels les produits ne pourront tout simplement plus entrer sur le marché européen.

Le REPD va ainsi fixer un certain nombre d’exigences, en matière de durabilité, de réemploi, d’extensibilité et de réparabilité des produits, de présence de substances empêchant la circularité, d’efficacité énergétique et d’efficacité des ressources, de contenu recyclé, de remanufacturage et de recyclage, d’empreinte carbone et environnementale et enfin, de partage d’information. Seules les denrées alimentaires, les aliments pour animaux, les produits pharmaceutiques et les véhicules à moteur en seront exclus.

Et l’une des révolutions de ce règlement, ce sera le passeport numérique du produit. Les producteurs qui respecteront les seuils fixés pour l’ensemble des critères énoncés devront en effet émettre pour chaque produit mis sur le marché un passeport numérique, ou « Digital Product Passport (DPP) » en anglais, qui permettra aux metteurs en marché de partager les informations requises avec les acteurs du cycle de vie du produit. Parmi lesquels le consommateur, les pouvoirs publics ou les acteurs amont de l’économie circulaire (recycleurs, éco-organismes, acteurs de la RSE, acteurs de l’occasion et du reconditionné, etc…). Ces informations devront être accessibles en ligne, au travers d’un support d’identification apposé sur le produit, tel qu’un QR code ou une puce RFID.

Si le REPD doit entrer en vigueur en juillet prochain, les dispositions concernant le passeport numérique ne pourront s’appliquer que lorsque la Commission aura adopté les actes délégués, décrivant pour chaque catégorie de produits les informations demandées et les délais de mise en conformité. Certains produits finis (textile, électronique, pneus, détergents…) et intermédiaires (fer, acier, aluminium, plastiques, produits chimiques…) sont considérés prioritaires, et pour eux, les publications devraient commencer dès 2026, et les premières mises en conformité dès2027. En parallèle, d’autres textes sectoriels (batteries, construction, jouets…) prévoient aussi la mise en œuvre d’un passeport numérique.

Quels enjeux économiques pour les acteurs français ?

Bien sûr, la réglementation n’est pas dénuée d’intérêt pour les acteurs français et notamment ceux qui souffrent de la concurrence extra-européenne des produits à bas coûts.

Pour le textile français, décimé dans les années 80 par la concurrence asiatique et dont les rares survivants ont dû réorienter leur production vers le haut de gamme, cela sera certainement un appel d’air salvateur et peut-être l’opportunité d’un renouveau? Force est de constater que, pour ce secteur, le sujet converge avec la volonté de l’exécutif français et d’une partie importante des parlementaires de freiner, en raison des impératifs environnementaux et sociaux, le développement de l’ultra fast fashion. En développant un affichage environnemental expérimental dès 2024 sur ce secteur, les décideurs publics font le pari que les contradictions des consommateurs, qui déclarent vouloir plus d’éthique mais continuent à favoriser les prix bas, vont s’estomper.

Pour autant, les dispositions de ce règlement sont encore trop peu connues des entreprises, alors qu’elles auront un impact majeur sur leurs activités. En termes de capacité de traitement de l’information, d’identification et de traçabilité des produits, toutes ne sont pas au même niveau. Le volume de données supplémentaires qu’elles vont devoir partager est inédit, et l’amplitude de cet échange, à une échelle intersectorielle, l’est tout autant. La mise en conformité va constituer pour nombre d’entre elles un énorme défi, avec une adaptation nécessaire de leur organisation, voire des investissements lourds.

Il n’est pas sûr que toutes puissent franchir le cap, quand bien même elles seraient au rendez-vous de la qualité environnementale prônée.

Le défi de la mise en œuvre

Si le REPD fixe les objectifs et les grandes lignes des exigences à venir, les modalités techniques du passeport numérique du produit seront définies au travers un acte délégué qui sera publié fin 2025.

Pour que les entreprises puissent être au rendez-vous de l’échéance de 2027, la Commission européenne devra veiller à s’appuyer fortement sur l’existant technique et notamment sur les standards de données déjà déployés. Et il faut penser à l’interopérabilité future du dispositif avec ceux que d’autres régions du monde pourraient vouloir instaurer à leur tour. Heureusement, les entreprises ne partent pas de rien: des millions d’entre elles à travers le monde ont déjà investi dans des technologies interopérables, basées sur des formats de données internationaux, ouverts et multisectoriels.

Déployés massivement, les standards ont fait baisser drastiquement le coût des solutions qui les implémentent. Ils permettent aux entreprises de dialoguer dans un langage commun avec tous les acteurs de la chaine de valeur : les professionnels, mais aussi les consommateurs, qui peuvent s’appuyer sur des applications leur permettant d’éclairer leurs actes d’achats. Les standards GS1, qui ont récemment célébré leurs 50 ans de déploiement sont parmi les plus utilisés: l’emblématique code-barres est scanné en caisse plus de 10 milliards de fois par jourdans le monde ! Ce dernier est en train d’être remplacé par le QR Code augmenté GS1. Cette révolution silencieuse permettra de partager le lien vers le passeport numérique du produit, mais aussi vers toutes les informations que l’entreprise voudra mettre à disposition des tiers.

Partir des initiatives existantes, des projets portés et développés pour beaucoup par des ETI et PME, voilà l’une des conditions clés du succès du DPP.

Avec le passeport numérique, l’occasion est belle de faire émerger un cadre réglementaire et opérationnel qui fasse converger les volontés au service d’un enjeu prioritaire, qui transcende les intérêts économiques au bénéfice d’un intérêt partagé.

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