Par Marie-Annick Barthe
Économiste, Maîtresse de conférences honoraire à l’Université Paris Cité, Auteure de « Économie de l’Union européenne », Economica 8e éd., 2024
La décision du Conseil de l’Union européenne de lancer une procédure de déficit excessif à l’encontre de sept États membres dont la France, le 26 juillet 2024, a rappelé que si les règles du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) avaient été suspendues, le 23 mars 2020, à la suite de la pandémie puis de la guerre en Ukraine, elles venaient d’être réactivées dans une version 4, adoptée le 23 avril 2024. Cet instrument va, en effet, de révision en révision dans des directions pas toujours convergentes : parfois pour le rendre plus favorable à la croissance, parfois pour renforcer la surveillance de la discipline budgétaire. Si les règles prévues par les traités – 3 % du PIB pour le déficit budgétaire et 60 % du PIB pour la dette publique – sont bien connues, de nombreux indicateurs sont venus les compléter. Il a fallu rendre le Pacte plus perméable aux déséquilibres macroéconomiques à l’origine des crises financières, à l’hétérogénéité économique des États membres consécutive aux élargissements et gérer les différences marquées de situation de leurs finances publiques.
Le Pacte in situ
Le PSC s’impose aux Vingt-sept mais il a une incidence toute particulière pour les vingt pays membres de la zone euro dont les interdépendances sont plus importantes. La politique monétaire unique, conduite par la BCE, s’y coordonne avec vingt politiques budgétaires nationales. Cet attelage un peu baroque doit dégager une orientation commune pour l’union monétaire, la préserver du laxisme budgétaire d’un État membre et permettre à chaque pays de disposer d’un budget qui réponde aux préférences exprimées par sa population et à ses besoins conjoncturels propres.
Le Pacte travaille sur le lien entre le solde budgétaire structurel, c’est-à-dire corrigé des variations imputables à la conjoncture et à des mesures ponctuelles, et la dette publique, qui est le cumul des déficits budgétaires successivement enregistrés. Ce lien est impacté par le taux d’intérêt payé sur l’encours de la dette et par le taux de croissance du PIB. Les méthodes classiques pour diminuer la dette consistent à essayer d’avoir le taux de croissance le plus élevé possible – ce qui augmente le dénominateur sur lequel porte la dette –, à conduire une politique monétaire accommodante, pour avoir des taux d’intérêt faibles, à agir sur le solde budgétaire par l’augmentation des impôts et(ou) par la réduction des dépenses. Historiquement, l’inflation a aussi joué un rôle important puisqu’elle érode la valeur de la dette détenue par les créanciers. Si certaines de ces méthodes peuvent être combinées, avoir une croissance plus soutenue et des hausses d’impôts très importantes s’avèrent incompatibles.
La bonne conduite de la politique budgétaire et son suivi par le PSC supposent de disposer d’instruments de pilotage adéquats : des systèmes nationaux de comptabilité publique fiables, des normes de présentation communes, des données de bonne qualité et de haute fréquence (trimestrielle) et des prévisions réalistes. Tout ceci permet d’élaborer un tableau de bord correct nécessaire au bon suivi des évolutions relatives à la prévision et à la réalisation d’un Projet de loi de finances. Il est aussi important de s’appuyer sur l’expertise d’organismes indépendants des autorités budgétaires nationales. En France, c’est le Haut Conseil des finances publiques, placé auprès de la Cour des comptes, auquel est dévolu cette fonction. À partir de ce cadre général, les trois procédures prévues par le Pacte, versus 2024, peuvent se déployer.
La procédure de surveillance budgétaire : le volet préventif
Les ministères de l’Économie et des Finances de chacun des États membres élaborent un « plan national budgétaire structurel à moyen terme » d’une durée de quatre ou cinq ans, accompagné de l’avis de l’organisme indépendant. Ce plan indique les engagements budgétaires pris, sur la base de quelles réformes, de quel programme d’investissement et les corrections apportées aux déséquilibres excessifs pointés par la troisième procédure du Pacte. Les prévisions économiques à la base de son élaboration y sont précisées. Il est évalué par la Commission et approuvé par le Conseil qui peut formuler des recommandations en cas de non-respect par l’État membre de ses engagements. Un nouvel indicateur est suivi : celui des « dépenses annuelles nettes », soit les dépenses publiques dont sont déduits les versements d’intérêts, les dépenses relatives aux programmes de l’UE et des éléments cycliques (recettes discrétionnaires, dépenses d’allocations chômage).
Dès lors qu’un État membre dépasse les valeurs de référence définies par le traité, il prend l’engagement, négocié avec la Commission, de suivre une « trajectoire de référence » personnalisée sur quatre ou cinq ans. La trajectoire peut être allongée jusqu’à sept ans dès lors qu’il met en place des réformes et effectue des investissements propres à améliorer son potentiel de croissance. Elle doit garantir la soutenabilité de la dette tout en étant différenciée selon la situation propre à chaque pays puisque leur situation de départ est contrastée.
Plusieurs ratios encadrent l’effort à consentir pour garantir la résilience du déficit et assurer la viabilité de la dette. L’ajustement budgétaire s’effectue jusqu’à un niveau de déficit qui assure une marge de sécurité fixée à 1,5 % du PIB, c’est-à-dire que les pays poursuivent leur effort au-delà de la valeur de référence de 3 % du PIB prévue par le traité afin de constituer un coussin budgétaire en cas de choc défavorable. L’amélioration du solde primaire structurel pour atteindre ce niveau est fixée entre 0,25 et 0,4 point de PIB par an. La dette doit diminuer d’un montant annuel moyen minimal de 1 point de PIB tant que le ratio de la dette publique au PIB dépasse 90 %, uniquement 0,5 point de PIB lorsque ce ratio est compris entre 60 % et 90 %.
La Commission est chargée de mettre en place un « compte de contrôle » pour enregistrer les écarts des dépenses nettes par rapport à la trajectoire de référence. Elle peut effectuer des missions de supervision dans les États membres qui font l’objet de recommandations et s’adjoindre, le cas échéant, les services des représentants de la BCE.
La procédure de déficit excessif (PDE) : le volet correctif
Le déclenchement d’une PDE s’opère pour les États membres de l’UE qui sont confrontés à au moins une des difficultés suivantes : la dette franchit le seuil des 60 % du PIB, la position budgétaire n’est pas proche de l’équilibre ou excédentaire, les écarts enregistrés dans leur compte de contrôle dépassent 0,3 point de PIB par an ou 0,6 point de PIB cumulé.
La Commission prend en compte « tous les facteurs pertinents » dans l’appréciation portée sur la situation de cet État membre : ceux qui impactent la dette, son financement, la croissance mais aussi l’augmentation éventuelle de la dépense publique dans le domaine, par exemple, de la défense et des contributions liées à la solidarité internationale. Le Conseil décide s’il y a ou non un déficit excessif. S’il est confirmé, il adresse des recommandations à l’État membre concerné, afin qu’il corrige sa politique par l’adoption de mesures appropriées dans un délai de six mois.
Deux cas de figure sont envisagés :
- Si la PDE est ouverte sur la base du critère du déficit, la correction à apporter dans les dépenses nettes passe par une amélioration du solde budgétaire structurel de 0,5 % point de PIB par an.
- Si la PDE est ouverte sur la base du critère de la dette, l’exigence d’ajustement est moindre puisqu’il suffit de corriger les écarts cumulés du compte de contrôle.
Des mises en demeure sont prévues en cas d’inaction. Et si un État membre ne respecte toujours pas ses obligations, il peut être mis à l’amende. Son montant s’élève jusqu’à 0,05 % du PIB pour une période de six mois, avec la possibilité de réitérer l’opération de six mois en six mois au cas où aucune action correctrice suivie d’effets n’est engagée. Dans les versions précédentes du PSC, un dispositif de mise à l’amende existait déjà (le montant était fixé une fois pour toute à 0,2 % du PIB) mais n’a jamais été mis en œuvre.
La procédure de surveillance des déséquilibres macroéconomiques (PDM)
Cette procédure fonctionne à partir d’un mécanisme de détection qui peut aller jusqu’à des sanctions.
- La détection repose sur l’examen par la Commission d’un tableau de bord composé de 14 indicateurs (solde des comptes courants, évolution des coûts salariaux, des taux de change réels effectifs, de la dette privée, des prix de l’immobilier, des taux d’activité, du chômage de longue durée, etc.). Le franchissement du seuil pour un indicateur déclenche une alerte.
- La Commission a la charge de faire un Rapport sur le mécanisme d’alerte (RMA) qui est le point de départ de la PDM suivante, afin de traiter le déséquilibre identifié, susceptible de mettre en péril le fonctionnement de la zone euro. Sur recommandation de la Commission, le Conseil peut demander à l’État membre concerné d’engager une action correctrice dans un délai donné. Ces corrections doivent être intégrées dans le plan national budgétaire structurel à moyen terme.
- Si l’État membre ne met pas en place les mesures correctives préconisées par le Conseil, un dépôt rémunéré, égal à 0,1 % du PIB, peut lui être imposé et converti en une amende annuelle en l’absence de correction, après deux recommandations successives.
Le Pacte version 4 encadre au plus près les finances publiques par l’introduction de sous-critères chiffrés à tous les niveaux des procédures, avec une individualisation de la trajectoire suivie par les États membres. La Commission va devoir en asseoir les principes et leur usage avec notamment les sept pays concernés par une PDE.
Article-M-A-Barthe-PSC-4