Le détachement des travailleurs dans le secteur européen du transport

Jean-Jacques PARIS

Expert européen, Groupe Alpha

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Introduction
Le détachement des travailleurs dans le cadre d’une prestation de service (détachement temporaire) est régi par la directive 96/71/CE, du 16 décembre 1996, dont un des principaux objectifs est de lutter contre le « dumping social ». Elle se voulait ainsi protectrice des travailleurs détachés, leur employeur devant respecter un « noyau dur » de règles (en particulier le salaire minimum) applicables dans l’État membre d’accueil de la prestation. La directive a donné lieu à plusieurs contentieux devant la Cour de Justice de l’Union européenne, qui ont souvent abouti à privilégier les libertés économiques au détriment de la protection des travailleurs détachés. En matière de sécurité sociale, le salarié détaché reste néanmoins soumis à la législation de l’État membre d’origine, à condition que la durée prévisible du travail ne dépasse pas 24 mois et qu’il ne soit pas envoyé en remplacement d’une personne parvenue au terme de son détachement (règlement n° 883/2004). La directive « détachement » de 1996 a été récemment complétée par la directive 2014/67/UE du 15 mai 2014 pour améliorer le contrôle de son application, face à l’augmentation des détachements de travailleurs dans de nombreux secteurs (en premier lieu celui du BTP).
1. Dans le transport aérien
Ce secteur a connu une libéralisation progressive depuis les quinze dernières années ; elle a donné lieu à l’émergence des compagnies « low cost », souvent peu soucieuses d’appliquer les obligations de la directive « détachement » ou de la règlementation européenne en matière de sécurité sociale du personnel naviguant. Deux règlements européens ont été récemment adoptés pour limiter les conflits de lois applicables dans les États membres : le règlement 593/2008/CE (1) du 17 juin 2008 sur les lois de police (a) et le règlement 465/2012/CE du 22 mai 2012 qui fixe la « base d’affectation » comme unique critère pour déterminer la loi applicable en matière de sécurité sociale (b). Ces deux règlements concernent essentiellement les travailleurs « salariés ».
a) L’application des lois de police au travailleur salarié détaché
Si le travailleur salarié détaché bénéficie des lois de police, sa transformation en « indépendant » le soustrait à leur application. C’est dans ce contexte que se sont développées les catégories de « faux-indépendants ».
L’intérêt pour l’entreprise concernée est double : elle ne supporte plus de charges sociales et échappe à l’application du « noyau dur » de la directive 96/71/ CE, qui ne s’applique qu’aux salariés, bien que ces travailleurs présentent toutes les caractéristiques d’un salarié.
Le règlement 593/2008/CE fait explicitement référence à la directive 96/71/CE pour l’application des « lois de police » du pays d’accueil et en donne une définition. Parallèlement, la Cour de Justice de l’Union européenne a défendu, pour le personnel naviguant, la position prise dans un arrêt Koelzsch du 15 mars 2011 (à propos d’un travailleur dans le secteur routier) visant à appliquer, à l’appui du règlement « Rome I », les dispositions du pays où le travailleur exerce habituellement son travail.
b) La notion de « base d’affectation » pour déterminer la loi de sécurité sociale applicable
Avant l’adoption du règlement 965/2012/CE du 5 octobre 2012, le critère de la base d’affectation était loin d’être mis en oeuvre dans l’ensemble de l’Union européenne ; la notion de « floating base » était par exemple utilisée en Irlande et permettait d’éviter de respecter les obligations de la directive 96/71/CE. Désormais, le critère de la base d’affectation (lieu réel de travail) s’impose aux États membres et à leurs compagnies aériennes : si un pilote salarié est affecté dans un autre pays que la France mais prend régulièrement son service en France, sa base d’affectation reste la France. Qu’en est-il en cas d’embauche pour un détachement immédiat ? Selon la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (CACSSS) un salarié peut être embauché en vue de son détachement à condition que cette personne soit soumise à la législation de l’État membre où est établi son employeur depuis au moins un mois.
2. Dans le transport par route
a) Travailleur détaché et encadrement communautaire de la profession
Les exemples se multiplient, comme en Belgique ou en France, où certaines compagnies de transport n’hésitent pas à utiliser la sous-traitance étrangère pour abaisser leurs coûts de transport. Ces compagnies font alors venir par bus des chauffeurs de filiales polonaise ou roumaine, par exemple, pour les payer selon les normes de leurs pays d’origine et échapper aux obligations de la directive « détachement ».
Ces dernières années, le droit de l’Union européenne a posé des limites à cette fuite du droit. La notion de capacité professionnelle, qui conditionne l’exercice de l’activité de transport, est désormais évaluée au terme d’un examen écrit, potentiellement complété par un examen oral si un État membre le souhaite. À cela s’ajoute maintenant la délivrance d’une licence communautaire et d’une attestation de conducteur.
b) Le développement des phénomènes de détachement en cas de cabotage (2) routier
Conformément au règlement européen n° 1072/2009 du 21 octobre 2009 le cabotage est désormais limité à trois opérations (chargement/déchargement) dans les sept jours maximum suivant la livraison intégrale des marchandises ayant motivé le transport international : ainsi les opérations de cabotage sont autorisées dans chaque État membre parcouru sur le trajet du retour, dès lors que le véhicule passe la frontière à vide.
Dans ce cas, le règlement n’exige pas l’application de la directive « détachement » alors même que, selon des témoignages, certains de ces travailleurs resteraient sur le territoire beaucoup plus longtemps que sept jours. Il est nécessaire de rester attentif aux évolutions en ce domaine. Le commissaire européen aux transports Siim Kallas a renoncé le 14 mai 2013, avant la fin de son mandat, à sa proposition de pousser la limite des opérations de cabotage à 50 jours par an pour chaque véhicule satisfaisant à la norme environnementale Euro 5 (3). Qu’en sera-t-il demain ?
3. Dans le maritime
L’article 1 de la directive « détachement » exclut le personnel naviguant de son champ d’application. Le secteur maritime, qui est sans doute le plus libéralisé au monde, connaît depuis ses origines les questions de dumping social, à travers, en particulier, la multiplication des pavillons de complaisance. Le droit du travail applicable aux gens de mers employés à bord d’un navire d’un État membre fait l’objet du règlement n° 3577/92 du 7 décembre 1992. L’article 3 du règlement dispose que pour les navires pratiquant le cabotage continental et les navires de croisière, toutes les questions relatives à l’équipage relèvent de la responsabilité de l’État dans lequel le navire est immatriculé, soit l’État du pavillon. Seuls les navires jaugeant moins de 650 tonnes brutes peuvent se voir appliquer les conditions de l’État d’accueil. La Cour de justice de l’Union européenne a cependant, dans l’arrêt Voogsgerred/Navimer rendu le 15 décembre 2011, étendu aux marins son raisonnement concernant les routiers (l’arrêt Koelzch) : un marin employé sur un navire immatriculé au Luxembourg exerçait son activité depuis le port d’Anvers. Licencié par sa compagnie, il demandait une indemnité en vertu du droit belge. La Cour lui donne raison en rattachant sa relation de travail au port d’exploitation réelle et non au lieu d’immatriculation. Elle s’appuie sur le règlement « Rome I » et relativise ainsi la législation européenne existante, qui consacre plutôt le principe du rattachement à l’État du pavillon.
Dans la même ligne, la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) adoptée en 2006 prévoit la mise en place d’un mécanisme de contrôle par l’État du port (où accoste le navire), permettant, sous conditions, aux inspecteurs de cet État d’évaluer les plaintes éventuelles des marins. Les textes existants n’imposaient jusqu’alors des obligations de cette nature qu’à l’État du pavillon. Une directive européenne adoptée le 20 novembre 2013 autorise par ailleurs, l’immobilisation d’un bateau au port en cas d’infraction.
4. La question du détachement des travailleurs dans le secteur ferroviaire
Selon plusieurs spécialistes de ce secteur, celui-ci serait relativement épargné par les phénomènes de dumping social associés au recours aux travailleurs détachés.
Certains estiment qu’avant l’ouverture à la concurrence dans le secteur « ferroviaire voyageur » (prévue en 2019) le détachement de personnel ne sera pas vraiment un sujet. Même si certaines compagnies, comme la DB (4), (Allemagne), commenceraient à faire appel à des travailleurs détachés, ce qui reste à vérifier.
Conclusion
Malgré la mise en place de règles favorables à une bonne application de la législation relative aux travailleurs détachés (directive 2014), une partie importante de ces travailleurs passent entre les mailles du dispositif protecteur de la directive de 1996 du fait d’une mauvaise application du droit ou de la fraude à la loi du travail ou de la sécurité sociale. Face à ces phénomènes de « fuite du droit », l’Union européenne a désormais tendance, au coup par coup, à essayer d’enrayer de telles pratiques.

1. Règlement « Rome 1 ».
2. Le cabotage routier est un transport public routier de marchandises, effectué par une entreprise d’un État membre à titre temporaire, dans un autre État membre sans y disposer d’un siège ou d’un établissement
3. Norme européenne fixant les limites autorisées de rejets polluants pour les véhicules légers et le poids lourds.
4. Deutsche Bahn : entreprise ferroviaire publique allemande.

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