Par Hervé Cuillandre,
Chargé de mission digital de Engie et essayiste
L’avenir européen sera numérique et data-centré, ou ne sera pas. Ainsi l’ensemble des organisations investissent lourdement pour s’inscrire dans un avenir qui ne fait plus mystère. Faire des études dans le numérique, dans l’intelligence artificielle, et plus généralement dans les automatismes est une garantie solide de trouver un emploi. Nombre de candidats sont recrutés avant même la fin de leurs études, ce qui atteste d’un net déséquilibre entre l’offre et la demande.
Les métiers du traitement de la donnée, ou de la sécurité informatique, ne disposent jamais d’assez de bras pour mener à bien leurs projets, jusqu’à peiner pour maintenir le niveau optimal de leurs services. C’est finalement un peu comme s’il manquait la moitié de la main d’œuvre nécessaire dans ces secteurs. Cette tension sur l’emploi fait que ces métiers demeurent incroyablement bien payés, sans pourtant pouvoir attirer suffisamment de bonnes volontés.
S’il est un secteur qui se porte toujours bien, c’est donc celui des nouvelles technologies! Mais si les métiers de l’informatique étaient à leur origine majoritairement féminins, ce monde qui pilote notre avenir collectif, est désormais loin d’être mixte et divers. Ces métiers hérités de ceux du clavier ont changé progressivement de philosophie, cédant au culte de la compétition et de la part de marché avec l’avènement du PC au milieu des années 80. Les femmes ne représentent désormais plus que 17% des effectifs de la « Tech ». Et ce chiffre s’aggrave toujours chaque année, malgré les politiques mises en œuvre pour le dénoncer, pour former en amont plus de jeunes filles, et favoriser leur embauche. Le constat est globalement le même dans toute l’Europe. Il ne s’agit pourtant pas réellement d’une fatalité, puisque dans certains pays comme la Tunisie, des mesures étatiques fortes ont permis d’obtenir une mixité.
Et l’enjeu n’est pas qu’humaniste. Féminiser les métiers des technologies n’est pas qu’une urgence sociale, car il s’agit pour les organisations de s’adresser plus fidèlement à leurs usagers, et de mieux comprendre leurs attentes. Depuis une dizaine d’années, le numérique prolifère dans nos vies. Et le mouvement s’est accéléré avec la pandémie. Une grande partie des réponses automatisées provient désormais d’intelligences artificielles. Relation client, recrutement, calculs de risques, l’IA dépasse le domaine de la prédiction scientifique, médicale ou météo, pour être disponible à tout moment, dans nos poches, dans nos smartphones.
Les équipes qui programment ces raffinements technologiques et paramètrent les données nécessaires, sont donc très loin d’être mixtes et diverses. De sorte que l’immense majorité des réponses apportées par ces automatismes correspond à des choix stéréotypés d’hommes blancs actifs et relativement aisés. Cette erreur d’appréciation qu’on appelle « biais de genre », est donc une vision inexacte du monde, qui néglige celles des femmes et les minorités.
Corriger les biais de genre est un nouveau champ de lutte pour la mixité et la diversité, dont s’emparent les acteurs économiques. Un sujet d’autant plus urgent pour eux que l’intelligence artificielle manque totalement sa cible en omettant de s’adresser à une population qui demeure pourtant mixte et diverse. Continuer à l’ignorer c’est pour toutes les organisations, prendre le risque de se voir disruptées par des acteurs économiques plus matures sur ces sujets.
C’est ainsi qu’ont été mis en place les premiers programmes volontaristes de recrutement à l’issue de formations courtes, à destination de demandeuses d’emploi. Le programme « MIXIT! »1 , expérimenté dans les métiers de l’énergie, s’appuie sur des actions de formation de type « préparation opérationnelle à l’emploi » dotées de 400 heures, et abondée par l’entreprise. Une expérimentation qui doit être confirmée et élargie.
Il n’y a pas si longtemps, notre économie avait été capable de former et d’embaucher massivement des milliers de profanes en informatique, quand le passage à l’Euro, ou la conformité à l’an 2000 étaient en jeu.
Une des pistes oubliées est maintenant clairement de former et d’inclure pareillement des demandeuses d’emploi, pour féminiser énergiquement les rangs des technologies. Allons chercher directement à Pôle Emploi, celles qui nous manquent pour représenter demain! Formons-les et intégrons-les ! Des formations longues et coûteuses ne sont pas forcément nécessaires, pour débuter dans ces métiers qui donnent accès à terme à toute l’organisation.
Pour que l’urgence affichée de la mixité soit aussi sérieusement prise en considération que l’a été l’urgence financière dans les années 2000-2002, il faut une démonstration claire que des équipes mixtes et diverses produisent mieux, de manière plus équilibrée. Car c’est par les chiffres que cette bataille qui n’est pas qu’idéologique se gagne.
Pour rétablir la mixité dans les métiers du numérique en Europe, la mobilisation des hommes est essentielle, pour encourager les comportements positifs, informer, rendre possible. En aidant les femmes à être leurs égales, c’est toute notre société que nous grandissons.
(1) Hervé Cuillandre – «Après l’intelligence artificielle et la robotisation: remettre l’humain au cœur du monde» – Maxima 2019