Marcel Grignard
Président Confrontations Europe
Comment et quand allons-nous sortir de la crise sanitaire liée au Covid-19, quelles en seront les conséquences économiques, sociales, démocratiques ? Nous sommes encore très loin de dessiner le scénario de notre futur, mais ce qui va se décider au niveau européen pèsera lourd et définira ce qu’il sera.
La contraction de l’économie en France sera vraisemblablement supérieure à 8 % (le FMI l’estime au sein de la zone €uro à au moins 7,5 %) et la hausse du chômage à + 40%. Nous ne savons pas quand nous pourrons reprendre une vie normale, il se dit que ce ne sera possible que lorsque nous disposerons d’un vaccin… Ce qui est certain, c’est que nous allons affronter une crise économique et sociale de très grande ampleur au coût humain et financier colossal pour nos sociétés. A l’échelle de la planète la situation sera dramatique pour des millions de personnes, notamment les plus fragiles, vivant dans les pays ne disposant pas de nos systèmes de soins et de protection collectives. Cette réalité ne sera pas sans conséquences pour les Européens.
Les réponses européennes à la crise et les débats autour de leurs financements.
Depuis que la crise sanitaire a mis les économies à l’arrêt, l’Europe a globalement pris les bonnes décisions, en phase avec les mesures mises en œuvre par les Etats membres. Des mesures destinées à protéger et soigner les personnes, soutenir entreprises et travailleurs qui alourdissent considérablement leurs endettements et promettent des lendemains très difficiles. Ainsi, la Commission européenne a mis entre parenthèses le Pacte de Stabilité et le cadre des aides d’Etat ; la Banque centrale européenne (BCE), en rachetant massivement les obligations d’Etats et d’entreprises, a permis d’éviter la débâcle financière, la Banque européenne d’investissement (BEI) a mis en place un fonds de garantie pour les entreprises.
Mais pour l’Union européenne, le plus difficile est à venir : assurer le redémarrage de l’économie et son financement tout en garantissant la stabilité financière, mettre l’Europe sur une autre trajectoire de développement (ce qui était le but, avec quelques limites, du Green Deal). Et faire en sorte que la solidarité et la coopération dessinent un horizon pour tous les Européens…
Les premières décisions prises avec, notamment, la mobilisation du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) ouvrant des lignes de crédit aux Etats qui le souhaitent (mais limités au domaine de la santé, on verra ce qu’en sera l’effectivité) offrent la possibilité de crédits utiles mais, pour l’essentiel, ne soulagent pas les Etats les plus endettés au sein de la zone €uro, notamment l’Italie, l’Espagne ou même la France. Ces instruments de prêts sont utiles mais n’entament pas le probable accroissement des divergences économiques entre les Etats résultant de la crise et qui font peser le risque d’une désintégration de l’Union européenne.
Les modalités du financement d’une relance de l’économie opposent les responsables politiques européens. D’un côté ceux qui souhaitent une forme de mutualisation des emprunts entre les Etats de la zone Euro (ce qui évite la spéculation sur les dettes publiques et permet aux Etats concernés de bénéficier de très bas taux d’intérêts) ; il s’agit des Etats les plus endettés (Italie, Espagne, France) ou (et) les plus touchés par la crise. De l’autre (Allemagne, Pays Bas) ceux qui considèrent qu’il s’agirait là d’un pas en direction d’une forme de transfert financier des Etats les plus en forme vers ceux les plus en difficulté, ce à quoi ils s’opposent.
Ce clivage qui se cristallise autour des coronabonds n’est pas nouveau et tient à des divergences de fond. La BCE, en rachetant de manière massive et ciblée des dettes d’Etats, les monétise de fait. Cette forme de « mutualisation (discrète) des dettes et de leur coût », peut néanmoins présenter des inconvénients (création de bulles), et risque de buter sur des tensions politiques voisines entre Etats de la zone Euro.
Chaque Etat, favorable ou opposé, a ses arguments plus ou moins recevables. Oui, l’ampleur de la crise justifie des moyens d’ampleur et de solidarité et les Etats qui les réclament rappellent avec raison qu’ils ne sont pas la cause de cette crise. Non, on ne peut faire fi des réalités et des cultures nationales, ni oublier les engagements passés non tenus. Et les années de concurrence entre Etats qui, dans la défense de leurs intérêts nationaux, ont freiné toutes les avancées dont nous aurions énormément besoin pèsent lourd. L’harmonisation fiscale en est un beau et malheureux exemple.
L’après-crise : un impératif de solidarité pour les Européens.
Les pays de l’Union entament ou se préparent au déconfinement dans des arbitrages complexes s’appréciant au cas par cas. Ces désynchronisations, alors que nos systèmes économiques sont imbriqués (et pas uniquement au niveau européen), vont participer d’un redémarrage économique assez lent. Dans ce contexte, certaines entreprises européennes vont se trouver concurrencées par le déversement de stocks de produits en provenance d’autres régions du monde. D’autres, en difficultés financières, risquent de se faire racheter par des capitaux profitant de l’aubaine. La planète entière subissant la crise, beaucoup d’entreprises se trouvant en difficulté, tout le monde va tenter de s’en sortir au mieux, les concurrences risquent d’être féroces. On voit ce qu’il en a été avec les masques où prévaut la loi du plus fort.
Le redémarrage se fera dans un contexte économique et social très détérioré, sans doute explosif alors que la crise a rendu plus visibles et a amplifié les inégalités. Les gouvernements sont sous pression face à l’impressionnante masse de problèmes à gérer, et les attentes multiples que les leaders populistes ne vont pas manquer d’exploiter. Tout va pousser les gouvernements à soutenir leurs entreprises nationales : à la concurrence externe qui pourrait réduire la place de l’Europe pourrait s’ajouter une concurrence interne accroissant encore les divergences entre les Etats membres…
Il n’y a pas d’alternative à la nécessaire solidarité européenne, à la coopération entre Etats de l’Union. Les propos des responsables politiques et des institutions convergent : ils considèrent la crise comme la plus grave que nous affrontons depuis longtemps, qu’il faudra du temps pour nous en remettre. Certains en appellent à la révision de nos pratiques et de nos politiques.
Oui, la refondation de l’Union européenne est impérative comme est impérative la transformation du capitalisme, de nos modes de production et de nos modes de vies. Mais on ne change pas une filière industrielle en quelques semaines, on ne rebâtit pas un multilatéralisme régulateur en trois réunions, on ne donne pas vigueur à un souffle européen à travers les seules instances communautaires.
L’impératif de solidarité va avoir du mal à dépasser les blocages pour déboucher sur des outils généraux de financement mutualisé d’une relance économique. Mettons de l’énergie à nous mettre d’accord sur ce que nous voulons faire ensemble, c’est prioritaire.
La crise a mis en évidence nos fragilités en matière sanitaire, le besoin d’un minimum d’autonomie de production de médicaments, de matériel médical. Il semble atteignable de considérer que nous avons là un « bien commun européen » que les objectifs partagés par les Européens en matière de santé sont une opportunité pour décider de ce que cela signifie en matière de dépenses publiques, de régulation de marché, de politique industrielle et de filières. L’amplification du télétravail, la très forte utilisation du numérique pendant le confinement avec des outils créés et gérés par des firmes dont aucune n’est européenne est un autre sujet incontournable. D’autres enjeux majeurs se dessinent alors que se font jour des besoins conséquents en matière de formation pour assurer la transition mais aussi pour favoriser le retour à l’emploi de millions de nouveaux chômeurs… Nous avons la conviction que cette voie de « biens communs européens », ciblant les plus essentiels est une voie de construction des solidarités. C’est aussi une voie concrète pour poser quelques morceaux d’un cadre d’un autre mode de développement que de très nombreux Européens attendent et qui va concerner la plupart des politiques européennes (marché intérieur, concurrences, relations commerciales…).
Si nous attendons des actes forts des responsables politiques en la matière, la mobilisation et l’implication de la société civile, de ses responsables sera capitale.
Marcel Grignard, Président de Confrontations Europe
20 avril 2020.
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