LA DÉFENSE EUROPÉENNE : LA MATURITÉ DANS UN CONTEXTE DE NOUVELLES INCERTITUDES GÉOPOLITIQUES

Par David McAllister, député européen, Groupe du Parti populaire européen et Président de la Commission des affaires étrangères

L’Alliance transatlantique, longtemps considérée comme le pilier de la sécurité européenne, fait face à des défis sans précédent. Autrefois pilier inébranlable de stabilité, elle est désormais mise à mal par des dynamiques politiques changeantes à Washington, des priorités stratégiques divergentes et la résurgence des tendances isolationnistes aux États-Unis. Ce changement rend l’Europe plus vulnérable aux menaces géopolitiques qu’à tout autre moment depuis la fin de la guerre froide. En réponse, nous devons assumer nos propres responsabilités en matière de défense, en construisant un cadre de sécurité non seulement résilient, mais également capable d’agir de manière indépendante lorsque cela s’avère nécessaire.

L’approche volatile de l’administration Trump concernant le maintien de l’aide militaire à l’Ukraine souligne que l’Europe doit devenir plus autonome pour préserver ses propres intérêts – et son mode de vie. Le peuple courageux de l’Ukraine ne défend pas uniquement sa propre souveraineté, mais aussi la sécurité de tout notre continent. Une « paix » imposée en Ukraine ne donnerait à Poutine aucune raison de ne pas attaquer d’autres régions de l’Europe de manière similaire. À une époque où les garanties de sécurité d’après-guerre fournies par les États-Unis ne sont plus acquises, nous devons renforcer nos capacités de défense en urgence.

Alors que l’OTAN demeure la principale structure de défense occidentale, l’Europe devrait poursuivre trois priorités clés pour atteindre une sécurité plus autonome : l’augmentation des dépenses de défense, une base industrielle de défense unifiée et une coopération militaire stratégique avec des partenaires extérieurs.

Le plan ReArm Europe, rebaptisé Readiness 2030, de la Commission européenne est une première étape essentielle dans cette direction. En activant la clause de flexibilité du Pacte de stabilité et de croissance, les États membres de l’UE pourraient emprunter collectivement pour financer des investissements militaires d’envergure. Le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP)est essentiel pour consolider les stratégies d’approvisionnement et améliorer l’interopérabilité entre les forces européennes. Nous devrions l’adopter dès que possible. Renforcer notre capacité industrielle militaire est crucial pour réduire la dépendance à l’égard des acteurs extérieurs et garantir des réponses rapides en cas de crise potentielle. Actuellement, les cadres distincts d’approvisionnement, de recherche et de développement des États membres entraînent des inefficacités et des duplications inutiles. Un marché de la défense européen commun est d’une urgence vitale pour garantir que les équipements militaires puissent être acquis de manière plus efficace et économique. Parallèlement, le rôle de la Banque européenne d’investissement dans le financement des projets militaires à double usage sera élargi dans le cadre du plan, et un nouveau fonds européen de sécurité soutiendra des initiatives clés telles qu’un bouclier antimissile européen, des infrastructures de cybersécurité et l’approvisionnement en matériels militaires essentiels. Le fait que les 27 chefs d’État et de gouvernement aient convenu des principes fondamentaux de ce plan lors du Conseil européen extraordinaire du 6 mars dernier est un pas crucial dans la bonne direction.

Simultanément, l’Europe devrait renforcer sa coopération avec des alliés internationaux fiables, en particulier le Royaume-Uni. La relation de défense UE-Royaume-Uni devrait être approfondie par un partenariat de sécurité structuré, impliquant des opérations militaires conjointes, le partage de renseignements et des initiatives d’approvisionnement intégrées. Le prochain sommet UE-Royaume-Uni à Londres doit envoyer un message clair d’unité et de force, soulignant que la sécurité de l’Europe n’est plus seulement une question de gouvernements nationaux, mais une cause commune qui nécessite des efforts coordonnés.

Une Europe forte doit être inébranlable dans son soutien à l’Ukraine. L’invasion russe en cours est un test de la capacité de l’Europe à défendre ses valeurs démocratiques et sa stabilité géopolitique. L’UE doit prendre les devants pour fournir un soutien militaire, économique et politique soutenu à l’Ukraine. Cela inclut l’intensification des livraisons d’armements, en particulier des systèmes de défense aérienne, de l’artillerie et des munitions, ainsi que la formation des forces ukrainiennes. L’UE doit participer activement à la définition des termes de tout futur accord de paix, en s’assurant que les garanties de sécurité pour l’Ukraine soient solides et que la Russie soit dissuadée d’une nouvelle agression. Toute paix négociée ne peut être imposée mais doit être décidée avec l’Ukraine autour de la table des négociations.

L’engagement de l’Europe à renforcer son architecture de défense doit être accompagné de décisions pragmatiques. Les efforts pour construire un cadre de sécurité européen ne doivent pas être entravés par des vetos nationaux. La construction d’une « coalition des volontaires » parmi un groupe central d’États membres engagés pourrait servir de modèle efficace afin de faire avancer
la coopération en matière de défense lorsque l’unanimité s’avère difficile à atteindre.

L’instabilité actuelle de l’Alliance transatlantique a contraint l’Europe à reconnaître une réalité crue : sa sécurité ne peut plus être uniquement dépendante des États-Unis. Ce moment est une occasion pour l’Europe de s’affirmer comme un acteur mondial de la sécurité. Grâce à des investissements accrus dans la défense, à la consolidation industrielle, à des partenariats stratégiques et à un soutien sans faille à l’Ukraine, l’Europe peut préserver sa propre stabilité, tout en envoyant un message clair à ses adversaires : l’ère de la dépendance en matière de sécurité est révolue. Nous sommes déterminés à faire tout ce qui est nécessaire pour protéger notre mode de vie libre, démocratique et fondé sur l’État de droit.