Par Olivier Marty, Économiste
On savait le sujet revenu en haut de la pile des priorités de la Commission tant dans ses premiers discours politiques que par le truchement des déclarations de la Commissaire en charge, Maria Luis Albuquerque, la présidente Ursula von der Leyen avait affi ché sa volonté de remettre l’ouvrage sur le métier et de délivrer des résultats sur l’Union de l’épargne et des investissements (UEI). La frustration ressentie devant le peu d’avancées enregistrées depuis une dizaine d’années, de même que l’intensification des raisons légitimant le projet, explique bien une telle reprise en main. La récente présentation de la stratégie idoine, en mars dernier, vise, quant à elle, à lui donner corps.
UNE UNION DE L’ÉPARGNE ET DE L’INVESTISSEMENT PLUS URGENTE QUE JAMAIS
La création d’un marché unique des services financiers, jadis appelé Union des marchés de capitaux (UMC) et désormais nommé Union de l’épargne et des investissements (UEI), est justifiée par une série de motifs intelligibles. Le premier pointe les besoins d’investissement européens, dans la transition environnementale, les technologies stratégiques, ou le numérique, tous gigantesques. Le deuxième consiste à soutenir l’innovation, dépendante de financements en fonds propres plus que de dettes. Une troisième raison pointe l’utilité de diversifier les risques financiers, autrement cloisonnés sur certains marchés.
Ces éléments sont connus et font globalement consensus. Dans le même temps, de nouvelles raisons pressantes d’agir apparaissent. Selon une étude du Fonds monétaire international, les barrières au marché unique financier sont équivalentes à des droits de douane commerciaux de 100 % ! D’autre part, il paraît désormais clair que la sous-performance récente de l’économie européenne s’explique en partie par les problèmes d’intermédiation financière. Enfin, les besoins d’investissement de l’UE sont encore plus nets depuis que la crise de l’Alliance atlantique a fait exploser les besoins en matière de défense.
Il est donc bien temps de passer à la vitesse supérieure, alors que les progrès enregistrés ces dernières années ont été soit minimes, soit obstrués par des problèmes de méthode mettant frontalement en cause trop d’intérêts. La Commission veut désormais favoriser le processus en refaisant la démonstration des bénéfices idoines et en soulignant l’utilité de procéder à la fois au niveau des États membres et de Bruxelles, dans le respect de la subsidiarité et en supervisant mieux les progrès réalisés par les capitales. Concrètement, quatre axes de travail sont proposés dans la récente stratégie opérationnelle, d’ici à 2027.
QUATRE AXES DE TRAVAIL POUR UNE STRATÉGIE IDOINE
Le premier concerne le « retail », c’est-à dire l’accès du grand public aux produits d’investissement commercialisés. La Commission défend, à juste titre, une plus grande participation des particuliers aux marchés financiers, alors que l’essentiel de leurs placements se fait sans risque : 10 billions d’euros sont ainsi logés sur des comptes courants ! Dans cette perspective, le développement de produits d’épargne idoines, le renforcement des compétences financières des citoyens et des modalités plus concrètes de soutien financier par les particuliers des priorités européennes sont importants.
Un deuxième volet vise à diversifier l’offre de financement des entreprises au service de leurs investissements. Ceci implique de mieux orienter les investisseurs institutionnels (assureurs, fonds de pension) vers des placements en actions, de revoir le cadre prudentiel des opérations de titrisation, qui permettent un transfert des risques, portés traditionnellement par les banques, à d’autres investisseurs, ou d’orienter les régimes fiscaux dans un sens plus favorable à la prise de risque. En somme, de renouveler l’offre de financement de marché, sur la base de réglementations européennes adaptées et d’efforts nationaux.
Un troisième axe vise à intégrer les marchés et à créer des effets d’échelle. Cette perspective, sensible pour les pays aux cadres réglementaires attractifs, passe par une identification et une réduction de l’ensemble des barrières réglementaires ou de supervision entre les différentes places, que cela soit pour les opérations des gestionnaires d’actifs ou pour les grandes infrastructures de marché (bourses, plateformes de post-trading, etc.). Le cas échéant, des rapprochements d’acteurs, par le biais de fusions, pourraient être favorisés, dans le but de soutenir plus d’opérations transfrontières.
Enfin, un rapprochement des modalités de supervision est recherché. Enjeu crucial pour approfondir le marché des services financiers, la perspective d’une supervision européenne unique et forte pour les infrastructures et les acteurs financiers (gestionnaires d’actifs, chambres de compensation, compagnies d’audit, parmi d’autres) est maintenue, mais par le biais de la convergence des outils nationaux et la coopération des autorités nationales ainsi que par un transfert progressif de responsabilités à l’ESMA (European Securities and Markets Authority). L’approche se veut donc plus prudente par rapport aux ambitions maximalistes.
UNE VOLONTÉ D’AVANCER PROGRESSIVEMENT
À la lecture de la stratégie de la Commission, on a le sentiment que les priorités relativement consensuelles de l’UEI (« retail », supervision, offres de financement) sont bien replacées dans la discussion. Par ailleurs, la méthode plus graduelle, faite souvent de volonté de concertation, de « benchmarking » et de démonstration renouvelée des bénéfices de l’intégration, paraît de nature à lever les blocages exprimés au titre de la souveraineté ou des difficultés techniques. Elle accompagne utilement le manifeste porté récemment par les acteurs de la place de Paris ou les encouragements d’Enrico Letta.
Il est également positif, dans la perspective de la revue à mi-parcours sur l’UEI prévue pour la mi-2027, que la Commission ne néglige pas la relance de l’union bancaire. Une union des marchés financiers ne peut évidemment se concevoir sans des banques assainies et protégées en cas de crises. La conclusion des négociations sur le paquet CMDI (Crisis Management and Deposit Insurance), portant sur la résolution des crises, sera encouragée par ses services, de même que la reprise du troisième pilier concernant la garantie des dépôts, EDIS (European Deposit Insurance Scheme), encalminée depuis de nombreuses années.