Marie EKELAND
Présidente de France Digitale
Il manquerait au moins 2 voire 4 milliards d’euros dans l’amorçage des start–up en France. Et pourtant, les talents ne manquent pas. La future Union des marchés de capitaux est-elle la réponse à ce défi ? Marie Ekeland, présidente de France Digitale, nous livre son analyse.
Françoise Pons : Quel est le dynamisme des start-up en France ?
Marie Ekeland : Il est stupéfiant de constater que le changement d’économie que nous vivons n’est ni visible, ni compris. Selon le baromètre que nous établissons tous les ans avec Ernst&Young, les start-up dans le numérique financées par le capital risque en France ont en moyenne une croissance de 42 % par an. Elles réalisent 40 % de leur chiffre d’affaires à l’international. Tous les ans, leurs effectifs croissent de 25 %. Ce sont des jeunes de 32 ans en moyenne. 92 % d’entre eux sont en CDI alors que, partout ailleurs, 96 % des embauches sont des CDD. Le modèle d’entreprise est fondé sur une notion nouvelle : le partage, à la fois partage des risques et de la création de valeur. L’écart salarial entre le salaire des dirigeants et le salaire moyen dans l’entreprise est de deux. 92 % de ces entreprises distribuent des actions à leurs salariés à travers des mécanismes de stock-options, d’actions gratuites, de SBC. En moyenne un tiers des salariés en bénéficie. Donc au lieu de regarder en arrière en cherchant à sauver des entreprises bancales, nos politiques devraient construire pour demain.
F. P. : Quels sont les défauts du financement de ces start-up ?
M. E. : La France est très bonne dans les financements en amont mais très mauvaise dans les stades ultérieurs pour accompagner des sociétés à l’international sur des tours de table de 50 à 100 millions d’euros. On manque terriblement de business angels professionnels en France. Mais le problème fondamental est que l’orientation de l’épargne des Français est fléchée par des incitations fiscales vers les produits sans risque et à court terme et non dans l’économie réelle. 518,3 milliards d’euros sont ainsi placés dans les PEA, livrets et assurance-vie. On compte 7 % d’actionnaires individuels d’une moyenne d’âge de 60 ans contre 15 % il y a dix ans.
Or, on vit une transformation complète de l’économie par le numérique. Pour pouvoir y faire face, et mettre l’économie française en capacité d’être compétitive, il faut créer des champions internationaux, donc apporter le capital nécessaire. La France compte des PME très dynamiques, mais qui ne parviennent pas à grandir. Il faut restaurer l’ascenseur économique. La France n’a pas d’autre choix que de mobiliser beaucoup mieux l’épargne pour financer nos entreprises. C’est d’autant plus nécessaire que le citoyen français est fortement incité acculé à disposer d’actions pour constituer son épargne-retraite car le système des retraites est à bout de souffle. Or très peu de jeunes détiennent des actions. Il y a un vrai problème de culture financière.
F. P. : L’objectif de la CMU répond-il aux besoins des start-up en Europe ?
M. E. : L’objectif de la CMU est énorme. Il s’agit en quelque sorte de faire disparaître les frontières pour les investisseurs, de réduire toutes les complexités et frictions fiscales dans lesquelles vit l’Europe des capitaux. Alors qu’aujourd’hui l’investissement et les entreprises sont très nationalisés (avec des passages aux frontières très coûteux en frais d’avocat). Demain avec la CMU, si on peut attirer des capitaux étrangers dans les fonds européens qui facilitent l’investissement partout en Europe dans des start-up non pas nationales mais européennes, ce sera un pas en avant décisif. La CMU est peut-être une utopie mais c’est une bonne initiative. Car aujourd’hui tout l’argent du capital-risque dans le monde se concentre aux États-Unis (68 %), et 15 % en Europe.
F. P. : Pour rééquilibrer cette situation, doit-on créer une bourse européenne ?
M. E. : Le vrai sujet est plutôt de construire une bourse dans laquelle certains secteurs verticaux sont reconnus non pas au seul niveau européen mais au niveau mondial.
Aujourd’hui en Europe, la bourse est trop généraliste. Il y a beaucoup moins de profondeur de marché sur un vertical donné qu’aux États- Unis où des investisseurs sont devenus de grands spécialistes de la hightech par exemple, car depuis dix ans ils ont investi dans ces start-up. En Europe, Il n’y a pas d’investisseurs institutionnels qui soient connaisseurs des nouvelles innovations hightech et en appétence par rapport à ce type de valeurs.
Plutôt que de chercher à rattraper son retard, l’Europe doit se positionner en conquérante dans de nouveaux verticaux dont elle puisse prendre le leadership pour que les prochaines introductions en bourse de n’importe quelle entreprise, où qu’elle soit basée dans le monde dans ce domaine, se fassent en Europe. Par exemple l’imagerie médicale, le mode numérique etc. Cependant je m’inquiète de savoir si l’Europe parviendra à prendre de l’avance dans cette nouvelle économie en gestation.
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