Michele DI DONATO
Chercheur à l’Université de Pise
En Italie, la campagne autour des élections européennes aura été en demi-teinte. La faible mobilisation des citoyens s’explique à la fois par des partis au gouvernement parfois violemment euro-critiques et par des citoyens dans l’expectative face aux mesures sociales promises par le gouvernement.
« Les prochaines élections européennes seront les plus importantes de l’histoire de l’UE. » Voilà un cliché que l’on entend tous les cinq ans lorsque les citoyens du continent sont appelés à élire leurs représentants au sein d’un Parlement dont la plupart connaissent assez mal les compétences et les attributions. Dans l’Italie de 2019, cependant, cette affirmation est difficilement contestable. Le gouvernement actuel marque une rupture dans l’histoire du pays depuis l’après-guerre : pour la première fois, les partis qui le soutiennent – le Mouvement 5 étoiles et la Ligue – affichent une attitude fort sceptique, voire hostile, vis-à-vis de l’UE et de ses institutions. Loin d’être le seul fait de l’Italie, ce courant anti-européen traverse l’ensemble du continent. Au sein du gouvernement, c’est surtout la Ligue du vice-Premier ministre et ministre des Affaires intérieures, Matteo Salvini, qui surfe sur la vague « euro-critique » et entend fédérer les nationalismes européens contre « Bruxelles ».
À l’approche des élections, la situation en Italie est pour le moins incertaine du point de vue politique. Le Mouvement 5 étoiles et la Ligue du Nord ont adopté leurs mesures-phares : le soi-disant « revenu de citoyenneté » et la réforme du système des retraites. Ces dispositions vont peser lourdement sur l’équilibre des comptes publics italiens, et donc réactiver les tensions entre Rome et la Commission – d’autant plus qu’il semble désormais évident que, dans sa programmation économique et financière, le gouvernement ait surestimé le taux de croissance pour 2019.
La Ligue a en outre obtenu le passage de plusieurs lois qui renforcent la logique sécuritaire incarnée par son leader. Vraie vedette du gouvernement, Salvini est omniprésent dans les médias : qu’il s’agisse de la question des migrants, de l’extension des critères de la légitime défense ou des rapports avec les pays européens, le débat public tourne autour de ses projets ou de ses déclarations, souvent provocatrices.
Matteo Salvini omniprésent
Selon tous les sondages d’opinion, les intentions de vote en faveur de la Ligue dépassent largement les 30 % (contre 17,4 % lors des dernières élections politiques), alors que ses partenaires sont en baisse de dix points environ par rapport au 32,2 % de 2018. Face à cette tendance – confirmée dès les premiers mois de 2019 par les résultats de trois élections régionales, toutes remportées par les candidats soutenus par la Ligue – des tensions dans la majorité de gouvernement se sont fait jour. Si pour l’instant l’unité du gouvernement n’est pas remise en cause, un éventuel effondrement électoral du Mouvement 5 étoiles pourrait avoir des conséquences plus sérieuses.
Les élections représentent aussi un test important pour les oppositions : si au centre-droit un Silvio Berlusconi vieillissant vient d’annoncer sa candidature et doit prouver que son parti a encore un rôle à jouer dans la politique italienne les résultats du Parti Démocrate (PD) devront aussi être scrutés. Un an après la défaite de 2018, le principal parti de centre-gauche est finalement parvenu à élire un nouveau chef – le président de la région Latium Nicola Zingaretti – au cours de primaires caractérisées par un fort niveau de participation (1 600 000 votants). Le nouveau groupe dirigeant aspire à récupérer le vote des électeurs qui ont quitté les Démocrates pour le Mouvement 5 étoiles. Un résultat positif vis-à-vis de ce dernier pourrait légitimer cette stratégie et conforter ceux qui au sein du PD parient sur l’implosion du Mouvement 5 étoiles et sur le retour à un système bipolaire. Dans sa campagne électorale, le PD se présente comme le parti le plus pro-européen et insiste sur le lien entre Europe, développement et modernité. Cette ligne, naguère majoritaire en Italie, le place désormais à rebours d’un débat politique italien où Bruxelles, Paris et Berlin font souvent figure de boucs émissaires.
Néanmoins, contrairement à d’autres pays européens, l’Italie arrive aux élections avec un niveau très limité de mobilisation sociale. Cette donnée peut sembler surprenante, alors que la situation économique y est bien plus dégradée que celle de ses voisins pourtant bien plus turbulents, à commencer par la France. Comment expliquer un tel paradoxe ? Tout d’abord, les mesures sociales récemment adoptées par le gouvernement (mais pas encore entrées pleinement en vigueur) ont engendré parmi les groupes sociaux économiquement les plus fragiles une atmosphère d’attente qui a prolongé l’état de grâce d’un exécutif arrivé au pouvoir en raison d’un fort rejet du système politique en place. Le deuxième élément est la popularité personnelle de Salvini et son habileté dans l’agenda-setting. Et troisième point, les oppositions ont eu du mal, du moins jusqu’à présent, à mobiliser l’opinion publique autour de leurs programmes : notamment sur les questions sociales, un volet sur lequel le gouvernement garde une longueur d’avance.