Philippe HERZOG et Marie-France BAUD
Président Fondateur et Directrice du bureau de Bruxelles, Confrontations Europe
Le livre vert publié en juin sur l’ILT offre l’opportunité d’ouvrir enfin le débat sur la croissance potentielle de l’Union, actuellement à l’arrêt. Le contexte macroéconomique est d’autant plus inquiétant que, dans le sillage des pays de la périphérie, certains pays du centre enregistrent des signes de faiblesse dans la compétition mondiale. Le livre vert offre également l’opportunité d’articuler les différentes initiatives de régulation financière et de manifester la solidarité en Europe.
Le financement à long terme : pour quelles finalités ? La question peut paraître saugrenue, tant les besoins de financement à long terme sont immenses. Mais l’abondance même des besoins doit conduire à s’interroger sur leur sens : comment l’Europe doit-elle évaluer, choisir, hiérarchiser les projets à financer dans cette perspective ? La réponse ne peut se limiter au jeu du marché, la nouvelle croissance passe par des investissements humains, sociaux, productifs pour engager un processus de ré-industrialisation et le renouvellement des biens publics en Europe. C’est dire que la puissance publique est appelée à intervenir. D’abord en définissant de façon précise les besoins d’investissement et en se dotant des moyens d’évaluation des projets. Nombre des projets porteurs d’une nouvelle croissance ne seront pas « rentables » à l’aune des évaluations du marché financier. Il faut en apprécier les externalités positives et négatives, appliquer des taux d’actualisation qui revalorisent l’avenir, définir un système de prix… Le choix d’une institution financière chargée de cette responsabilité est nécessaire. Et parallèlement, il faut définir les moteurs de la croissance nouvelle : c’est la question de la construction d’une politique industrielle européenne.
Le financement à long terme : comment ?
La finance est un outil au service de l’investissement de long terme. Nous partageons l’examen du livre vert sur les dysfonctionnements du système financier et le renouvellement du rôle des banques, du crédit, des investisseurs institutionnels, des fonds de pension, des marchés, dans un processus de transition où le système financier est à la fois profondément déstabilisé par les mesures structurelles prises pour restaurer sa stabilité et en évolution permanente pour financer une économie réelle mutante placée sous le signe de l’économie des ressources, de l’innovation intelligente et du capital immatériel. L’alourdissement des contraintes prudentielles imposées aux banques et aux assureurs, justes dans leur principe, les conduisent à consacrer une part moindre de leurs engagements aux besoins des entreprises dans leurs cycles d’investissement et à l’export. Ce d’autant que ces contraintes prudentielles se combinent aux nouvelles normes comptables qui se traduisent par une réduction des capacités d’investissement et par le raccourcissement de leur horizon: l’épargne est trop mobilisée sur des actifs de court terme qualifiés de « sans risque ». Il faut donc rechercher l’équilibre, aujourd’hui rompu, entre les bénéfices d’un secteur financier plus stable et les limites à ne pas dépasser pour que le système continue à servir la compétitivité des entreprises.
Confrontations Europe a passé en revue l’ensemble des acteurs et instruments financiers (cf. colonne) pour définir quel devrait être leur rôle et leurs articulations. Mais l’exploration des sources de financement à long terme doit déborder le cadre du système financier. Il s’agit aussi : de mobiliser une part significative d’un budget européen revalorisé ; d’articuler avec les fonds structurels des projets structurants de long terme; de structurer l’action et la coopération des grandes banques publiques européennes ; d’adapter les règles du pacte de stabilité et de croissance, en excluant par exemple les dépenses d’investissement sous-programme du calcul du ratio de dette; d’intégrer la dimension sociale au projet européen… Pour Confrontations Europe, l’initiative du livre vert est un pas décisif qui va dans le bon sens. Mais il serait insuffisant s’il se limitait à corriger les dysfonctionnements du système actuel. C’est le système lui-même qu’il faut transformer.