László ANDOR
Senior fellow à la Hertie School of Governance de Berlin, et ancien commissaire européen pour l’Emploi, les Affaires sociales et l’Inclusion
Le déclin de la démocratie en Hongrie a plus d’une fois été dénoncé, mais sans que l’on prenne vraiment la mesure de la détérioration des conditions sociales dans le pays.
Ces dernières années, la Hongrie a souvent été mentionnée comme exemple du reflux de la démocratie. Mais le Fidesz, le parti du Premier Ministre Viktor Orbán, n’est pas seulement en train de vider de sa substance l’État de droit, il remet aussi en cause le dialogue social et l’État-providence. La vie quotidienne des Hongrois est rythmée par la médiocrité croissante du système scolaire et la misère du système de soins. Depuis 2011, le pays connaît une vague d’émigration sans précédent, et il existe de plus en plus de preuves d’une corruption systémique et de détournements des fonds communautaires. Pas étonnant, donc, que l’économie hongroise soit à la traîne par rapport aux économies de la Pologne, la Slovaquie ou la Roumanie.
Au regard de tels résultats, dans un système démocratique, n’importe quel gouvernement aurait dû tomber. Pas celui d’Orbán. Au contraire, son parti a remporté une troisième victoire consécutive lors des élections générales de 2018. Un succès auquel ne sont pas étrangers les accrocs à la Constitution, la suppression des droits sociaux et politiques, l’abolition du système de contre-pouvoir, et le travail de sape progressif et systématique mené contre la liberté de la presse. Alarmé par ces entorses aux valeurs communautaires, le Parlement européen a adopté, en 2018, un deuxième rapport détaillé sur la situation hongroise. Faisant suite au rapport Tavares (2013), le rapport Sargentini (2018) résume une fois de plus les problèmes posés par l’ordre orbánien, et pourquoi et comment les Hongrois en souffrent. Mais l’Union européenne n’est pas allée plus loin.
Alors que la Hongrie a dû se mettre en accord avec les critères de Copenhague lors de son adhésion, de nombreux observateurs sont ¬surpris que l’UE tolère un régime autocratique parmi ses États membres. La principale raison de cette complaisance ? Le Parti ¬populaire européen (PPE), qui couvre les ¬agissements d’Orbán. Bien que ce dernier ait aboli l’État de droit au sein d’un État membre, son parti le protège. Le problème n’est pas seulement politique, mais aussi économique.
Orbán et ses alliés allemands
Des entreprises allemandes comme Audi, Bosch et Deutsche Telekom sont florissantes en ¬Hongrie, et les conservateurs de la CSU ont joué un rôle central dans le blanc-seing accordé au régime autocratique d’Orbán. La visite de Manfred Weber, le chef de file du PPE pour les européennes, à Budapest au mois de mars est un parfait exemple de cette volonté de ¬s’accommoder de concessions mineures et très largement superficielles, sans toucher aux aspects les plus fondamentaux du régime.
Orbán a su satisfaire ses alliés allemands en se faisant le champion de l’austérité fiscale, alors que lors de l’exercice précédent, la ¬Hongrie se débattait dans des déficits excessifs. En récompensant la discipline fiscale au détriment des problèmes politiques de fond, l’UE a donné l’impression que les critères de Maastricht étaient plus importants que ceux de Copenhague. D’aucuns vont encore plus loin en affirmant que c’est en fait l’UE qui a créé Orbán.
Ces dernières années, les observateurs de la situation hongroise se sont focalisés sur les manquements à la démocratie et à l’État de droit, mais les divergences sociales sont aussi cruciales que les divergences politiques. Un fait qui justifie que la Commission européenne se soit engagée à ce que le Socle européen des Droits sociaux, quoique non contraignant, concerne tous les États membres, y compris à l’Est. Les attentes en termes de défense commune des droits sociaux ont beau ne pas être très élevées, les prochaines élections du Parlement européen offrent l’opportunité de replacer cette question au cœur du débat européen.
Dans le cadre des négociations sur le futur Cadre financier pluriannuel (CFP 2021-2027), il a été question de conditionner l’octroi des fonds européens au respect de l’État de droit, mais ces dispositions n’entreraient pas immédiatement en vigueur, laissant à Orbán l’opportunité d’être réélu une fois de plus. En fait, l’Europe pourrait sans plus attendre faire bien davantage pour éradiquer la corruption, assainir la gestion financière et protéger l’intégrité des fonds européens. À moyen terme, cela demanderait sans doute une réforme de la gestion du système des fonds européens.
En Hongrie, tout comme dans d’autres pays, l’UE doit faire bien plus, non seulement en termes de respect des lois, mais aussi en aidant les acteurs de la société civile s’engageant pour les valeurs de l’UE, ainsi que les médias promouvant le pluralisme, les droits de l’homme et le progrès social. En Hongrie, tout particulièrement, il ne fait aucun doute que la société civile n’est plus en mesure d’empêcher le glissement vers l’autocratie. La défense des valeurs de l’UE nécessite un effort collectif.