Une nouvelle présidence dans la continuité de l’engagement européen

Interview croisée de Marcel Grignard, Président de Confrontations Europe de 2014 à 2020 et de Michel Derdevet, Président de Confrontations Europe depuis juillet 2020

Questions de Clotilde Warin, rédactrice en chef de Confrontations Europe

Confrontations Europe a plus d’un quart de siècle et, depuis le mois de juillet, un nouveau Président : Michel Derdevet, ancien secrétaire général et membre du directoire d’Enedis devient le 4e Président du think tank à la suite de Marcel Grignard et rappelle son attachement aux idées émises et débattues au sein de Confrontations Europe.

Cette élection s’inscrit dans une continuité et un souhait de toucher à des thématiques transversales, de faire vivre et de nourrir un débat d’idées plus que jamais essentiel dans le contexte sanitaire et économique tendu actuel.

 

Marcel Grignard, vous avez pris la présidence de Confrontations Europe en 2014. Six années plus tard, quel regard portez-vous sur l’évolution de l’Europe et sur les changements impulsés par le think tank ?

Marcel Grignard : Il est difficile et hasardeux de prétendre avoir une analyse solide de l’évolution de l’Union européenne au cours des six dernières années. Ce qui semble clair, c’est que les fondamentaux de la crise que traversent nos sociétés sont plus visibles, plus palpables mais aussi plus préoccupants. C’est une évidence concernant nos modes de développement, les enjeux environnementaux et sociaux, cela l’est aussi quant à la place de l’Europe de plus en plus prise en étau dans l’affrontement menaçant entre Chine et Etats-Unis. 

Il me semble que Confrontations Europe a joué un rôle important dans la prise de conscience de l’impératif de « refondation » de l’Union européenne. Ce n’est pas sans lien avec  la crise de la démocratie qui affecte tous nos pays et l’obligation de faire des citoyens des acteurs  dans la construction de la décision politique alors que nous devons repenser le contenu d’une régulation du marché à même de préserver les biens communs.   

 

Au cours des six dernières années, quel a été le travail accompli ? Quels nouveaux axes ont été définis?  

Marcel Grignard : Lorsque l’on prend la présidence d’une association qui a près d’un quart de siècle, on dispose d’un socle important tant dans les modes de tra-vail que dans les analyses et propositions cumulées au fil des ans. 

Le contenu des politiques énergétiques ou celles concernant la régulation de la finance, les politiques d’investissements de long terme font depuis longtemps l’objet des travaux de Confrontations. Nous avons poursuivi dans des contextes différents : les enjeux climatiques, la décarbonation de l’économie mettent toute l’économie dans des contraintes de mutations profondes. Le numérique est rapidement devenu un autre pan de cette mutation, bouleversant les repères. La crise de la zone euro a rebattu les cartes des politiques macro-économiques.

Nous avons surtout dû nous réinventer dans l’approche systémique des enjeux parce qu’articuler enjeux économiques, sociaux, sociétaux et environnementaux est un exercice difficile, nous le constatons avec le plan de relance. Son résultat était inespéré mais sa concrétisation semée d’embuches. Travailler avec les acteurs économiques, sociaux, territoriaux afin d’articuler le micro et la macro ; être un lien entre des acteurs de la société civile et les institutions sont des marques de fabrique de Confrontations que nous avons continué à promouvoir tout en prenant en compte là aussi le contexte. 

Tout cela nous a conduits à bâtir une démarche partant du terrain (entreprises, territoires, citoyens…), resituant chaque enjeu spécifique ou sectoriel (industrie, politique d’investissement, insertion des jeunes, migrants, démocratie…) dans une approche globale et cohérente (quel marché, quelle politique d’échange, quelle Europe, quelle place et quel rôle pour celle-ci dans le monde ?). Le colloque de décembre 2019 sur le capitalisme européen coopératif en a été une belle illustration. 

 

Le mois de juillet 2020 a été riche en événements pour l’UE mais aussi pour Confrontations Europe. Les Etats membres ont trouvé un accord sur un plan de relance d’envergure et notre think tank a mis en place une nouvelle gouvernance. Pourriez-vous nous en dire plus sur les nouvelles femmes et hommes qui ont été choisis ? 

Marcel Grignard : Notre Assemblée générale du 6 juillet a été un événement important pour notre association. Nous l’avons préparé pendant près d’une année avec le Conseil d’administration et le Bureau. Nous voulions d’abord assurer un renouvellement de nos instances de gouvernance, non pas parce que ceux qui y siégeaient avaient démérité mais parce qu’il est utile que de nouveaux visages avec d’autres expériences viennent enrichir les points de vue existants. Nous tenions aussi à préserver absolument la dimension non partisane de Confrontations Europe. Entendons-nous bien : les membres du Conseil sont des personnes engagées, mais leur diversité, leurs compétences et leur ouverture d’esprit assurent qualité et autonomie à notre gouvernance.

Je quitte la Présidence de Confrontations parce que je me dois d’appliquer ce que j’attends d’un renouvellement dans une gouvernance d’association. Je le fais en restant attaché à l’association et convaincu que l’équipe qui assure aujourd’hui le quotidien et la nouvelle gouvernance sauront lui donner un bel avenir

 

Michel Derdevet, après une carrière principalement menée au sein d’EDF et de ses filiales Réseaux (RTE, Enedis) et au service de l’Europe, vous avez accepté de prendre la présidence de Confrontations Europe. Vous devenez ainsi le quatrième président de Confrontations Europe. Qu’est-ce qui a motivé votre choix ? 

Michel Derdevet : Ma motivation essentielle est la conviction que le « débat d’idées » et la formulation de propositions concrètes sont plus que jamais essentiels en Europe, dans une Union ballotée entre les réflexes « patriotardes », pour reprendre l’image de Nietzsche, et la logique financière du « juste retour ». L’Europe mérite mieux qu’une approche simplement « frugale », et le rôle des laboratoires d’idées tels que Confrontations Europe est justement d’être ambitieux, de mettre en avant les pistes et les solutions susceptibles d’incarner cette volonté commune.

Je vais m’inscrire dans le sillage de mes trois prédécesseurs, Philippe Herzog, Claude Fischer et Marcel Grignard, pour qui j’ai de longue date estime et amitié. Ils ont chacun, avec leur personnalité propre, contribué à faire de Confrontations Europe à la fois un espace ouvert d’échanges, libres et constructifs, de dialogue entre les acteurs économiques, sociaux, politiques et associatifs européens, et un lieu d’élaboration de propositions innovantes, qui ont toutes alimenté utilement le débat public. 

Ces « confrontations » restent essentielles en 2020, et au-delà, à la fois pour replacer vis-vis de l’opinion publique l’action de l’Union dans le « périmètre » que les Etats membres ont bien voulu lui confier, mais aussi bien sûr pour faire émerger des initiatives plus larges à l‘image du plan de relance. 

Ainsi, les conclusions du grand Col-loque de décembre dernier sur le « capitalisme européen coopératif », évoqué par Marcel, méritent plus que jamais attention ! Il nous faut d’urgence refonder un modèle économique et social européen fort, qui nous différencie des Etats-Unis ou de la Chine, en incarnant nos valeurs (protection des droits, individuels et collectifs,  justice sociale…) et notre histoire, et se penser comme un « Grand Continent ».

 

Vous connaissez très bien le dossier Energie/Climat, l’un des grands enjeux européens. Est-ce que cela signifie que Confrontations Europe va désormais axer ses travaux plus spécifiquement sur ce dossier ou la transversalité restera-t-elle de mise ?   Quelles sont les priorités que vous vous fixez ? 

Michel Derdevet : Au terme de trente cinq années de carrière, à la fois en cabinets ministériels (auprès de Martin Malvy et Christian Pierret) et surtout au sein d’EDF, je garderai bien sûr un œil plus qu’attentif sur les sujets énergétiques européens qui, désormais, sont au cœur des débats avec le « Green deal » et la juste ligne d’horizon d’une Europe pleinement décarbonée en 2050 fixée par Ursula von der Leyen.

Dès 2009, j’avais écrit L’Europe en panne d’énergie1, mais l’énergie n’est plus, comme alors, un sujet sectoriel parmi d’autres. L’écologie et l’économie se rejoignent aujourd’hui de manière évidente, et « Green deal » et « New Deal » riment ensemble.

Mais Confrontations Europe aura aussi vocation à aborder d’autres champs stratégiques du projet européen, qu’il s’agisse des sujets économiques, sociaux ou financiers, sur lesquels son expertise est reconnue. Un séminaire stratégique du Conseil d’administration est d’ores et déjà programmé fin septembre, pour analyser en ce sens les chantiers les plus urgents à engager.

La transversalité sera effectivement le maître-mot des mois à venir, et mon objectif sera surtout de bien répondre aux questionnements d’une opinion publique européenne qui aura, plus que jamais, besoin ces prochains mois d’une « boussole » pour la guider dans la tempête sanitaire et économique que nous traversons.

Un think tank est un cercle de réflexions, un lieu d’analyse basé sur la compétence et  l’expertise mais il a aussi pour vocation d’être un « passeur d’idées », le vecteur d’une information claire, accessible et fondée, au bénéfice du plus grand nombre. Dès la rentrée, je m’emploierai, dans cet esprit, à réfléchir à une présence accrue de Confrontations sur les réseaux sociaux, qui sont aujourd’hui des médias indispensables, notamment pour toucher les jeunes générations.  

 

1 L’Europe en panne d’énergie. Pour une politique énergétique commune, Editions Des-cartes & Co, 2009.

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