Réconcilier politique de concurrence et politique industrielle

Stéphanie Yon-Courtin

Députée RENEW au Parlement européen,

Vice-Présidente de la commission des affaires économiques et monétaires

La crise sanitaire, qui a lourdement frappé les économies des États membres, aura aussi permis une prise de conscience collective en révélant la dépendance de l’Europe vis à vis d’actifs stratégiques. La députée Stéphanie Yon-Courtin appelle de ses vœux une Europe moins naïve, souveraine, protectrice, conciliant politique de concurrence et politique industrielle.

En décembre 2019, la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen déclarait :  «Ce monde a plus que jamais besoin que nous jouions notre rôle de chef de file », ajoutant que la Commission «ne craindra pas de parler le langage de la confiance et de l’affirmation de soi ». Ces mots ancraient le souhait d’une Commission « géopolitique ».  

À la Commission de la « dernière chance » de Jean-Claude Juncker succède la Commission de la « nouvelle chance » d’Ursula von der Leyen. Alors que notre continent connaît la pire crise depuis la seconde guerre mondiale, nous pourrions nous demander si certains objectifs ne seront pas sacrifiés sur l’autel de la relance. Mais si cette crise était finalement un accélérateur ? 

Pour ceux qui fréquentent les arcanes des institutions européennes depuis plusieurs années, force est de constater que nous assistons à un changement de paradigme. Qui aurait imaginé il y a 15 ans qu’on puisse parler ouvertement de politique industrielle, de protection de nos secteurs stratégiques et encore plus surprenant, d’emprunt en commun ? Définitivement, les lignes bougent. 

La prise de conscience collective des défis auxquels nous devons faire face – la mondialisation, le verdissement et la digitalisation de l’économie- nous oblige. Les réponses seront multiples mais surtout, intrinsèquement liées : la mise en place d’une politique industrielle et l’affirmation d’une souveraineté européenne ; la réforme de la politique de concurrence et l’émergence de leaders européens ; la protection de nos intérêts stratégiques et une Europe puissance ; 

 

Le Plan de relance et la mise en œuvre d’une solidarité européenne.

L’Union européenne aborde les transitions actuelles avec un cadre législatif datant d’il y a plus de 20 ans, quand les géants américains et chinois n’avaient pas l’influence qu’ils ont aujourd’hui, quand la prise en compte de l’urgence climatique n’avait pas encore eu lieu et quand la dépendance de l’Europe à certains secteurs stratégiques n’avait pas encore été mis en exergue comme ce fut le cas avec le paracétamol pendant la crise de la Covid-19.

Au Parlement européen, en tant que rapporteure du rapport annuel sur la politique de concurrence européenne1, j’ai pu faire des propositions destinées à faire évoluer les règles de concurrence pour répondre aux défis du XXIème siècle. A traité constant, nous avons une marge de manœuvre pour agir et atteindre l’Europe verte, numérique et résiliente. La politique de concurrence a le mérite d’être transversale et doit permettre, demain, de renforcer la place de l’UE dans la mondialisation, d’adapter les règles à l’ère du numérique, de soutenir les objectifs du Pacte vert pour l’Europe, de mieux s’articuler avec la politique industrielle et d’impliquer le Parlement européen tout en protégeant le consommateur. 

 

Moins de naïveté, plus de réciprocité

A l’heure actuelle, nos entreprises européennes sont soumises aux règles strictes et nécessaires d’aides d’État alors que leurs concurrentes étrangères peuvent accéder au même marché unique sans y être contraintes. La récente annonce du Livre blanc sur les subventions étrangères répond à la critique émise depuis plusieurs années sur l’Europe naïve et doit permettre à l’UE de se doter d’outils adaptés pour garantir que les subventions étrangères ne faussent pas notre marché, de la même façon que nous le faisons avec les subventions nationales. 

La crise de la Covid-19 a mis en lumière le comportement hostile de certains de nos partenaires. Dans mon rapport sur la politique de concurrence, le Parlement européen a ainsi appelé la Commission à proposer une interdiction temporaire du rachat d’entreprises européennes par des entités publiques étrangères ou des entreprises liées à des gouvernements de pays tiers, afin d’éviter la mainmise sur des technologies, infrastructures, savoir-faire européens essentiels. Doit-on y voir l’embryon d’un protectionnisme européen ? L’UE n’a pas vocation à s’isoler du reste du monde, toutefois, à l’instar de ses partenaires, elle a réalisé la nécessité de se protéger vis-à-vis du reste du monde.

Souvent opposées, la politique de concurrence et la politique industrielle n’ont jusqu’à présent pas réellement su se concilier, chacune restant dans son silo. Or, la politique de concurrence, en luttant contre les cartels ou ententes afin de permettre à des nouveaux acteurs d’émerger et d’accéder aux marchés, constitue déjà une politique industrielle minimaliste. La crise a eu le mérite de nous faire prendre conscience de notre dépendance vis à vis de secteurs stratégiques, faute d’avoir pu créer, en Europe, des acteurs de taille critique suffisante. Il est désormais temps d’assumer le fait que la politique de concurrence et la politique industrielle soient les deux faces d’une seule et même pièce, celle de la souveraineté européenne. 

 

Une vision à plus long terme

La stratégie industrielle présentée en mars2 illustre ce besoin de transversalité, nous devons appréhender chacun des 14 écosystèmes identifiés par Thierry Breton dans son ensemble : d’un point de vue industriel, concurrentiel, international, du marché unique et de la conformité environnementale et sociale.  Sur le plan concurrentiel, certaines évolutions sont d’ores et déjà identifiées. Il est nécessaire de réviser la communication sur la définition du marché pertinent pour intégrer une vision à plus long terme englobant la dimension mondiale, la transition numérique et la concurrence potentielle. Nous devons stimuler la recherche et l’innovation et accroître la sécurité pour les entreprises et les porteurs de projets de coopération d’une certaine ampleur. C’est cette approche plus favorable à l’émergence de leaders européens que nous appelons de nos vœux. 

Comme l’a souligné Peter Altmaier, le Ministre fédéral allemand de l’Économie et de l’Énergie, lors de la présentation des priorités de la Présidence allemande, les PIIEC3 – ces projets rassemblant des entreprises de plusieurs États membres dans des domaines considérés comme essentiels pour la croissance économique, la création d’emplois et la compétitivité dans l’UE – constituent l’un des moyens de rassembler les forces  des différents pays de l’UE, à un moment où il est crucial de rester solidaires face aux conséquences de la Covid-19. Cela permettra aussi de mobiliser les investissements nécessaires pour la création de leaders européens. L’Alliance pour la batterie était un premier pas mais nous devons continuer à les développer dans d’autres secteurs comme la 5G, la technologie quantique et l’hydrogène avec l’actuelle « Alliance européenne pour l’hydrogène propre ». 

Les transitions numérique et environnementale demeurent au cœur de la transformation de notre économie. Plan de relance, cadre financier pluriannuel ou réforme de la politique de concurrence, toutes ces évolutions contribueront à transformer notre économie et construire le monde de demain. La politique de concurrence y prendra toute sa part. Elle devra soutenir les objectifs d’une Europe décarbonée d’ici 2050, via la révision des lignes directrices des aides d’État, ou la mise en place de conditions minimum communes pour préciser l’obligation pour les entreprises bénéficiant d’une aide financière de respecter les critères environnementaux, sociétaux et gouvernementaux (ESG). Il s’agira aussi d’adapter les règles à l’ère du numérique, pour être capable de réglementer et sanctionner les comportements de certaines entreprises du numérique, dont le pouvoir dépasse parfois la souveraineté des États. La bataille des données est encore loin d’être gagnée et de celle-ci dépendra notre souveraineté européenne. 

L’Union européenne connaît aujourd’hui un renouveau dans sa construction grâce à l’accord historique du dernier Conseil européen. Nous devons utiliser cette fenêtre d’opportunité avant qu’il ne soit trop tard. L’Union européenne doit se montrer ambitieuse et solidaire afin de mettre la mondialisation au service de notre économie. Elle doit aussi être plus concrète. Au Parlement européen, élu(e)s directement par nos concitoyen(ne)s, nous nous y employons ! 

 

1 https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2020-0022_FR.html  

2 https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/communication-eu-industrial-strategy-march-2020_fr.pdf

3 Projet Important d’Intérêt Européen Commun à l’appui de la recherche et de l’innovation dans le domaine de la microélectronique. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_18_6862

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