Pour un Semestre européen adapté aux calendriers nationaux

Vincent Aussilloux

Directeur du département Économie à France Stratégie

Le Semestre européen, qui a plus de dix années d’existence, n’a jamais vraiment réussi à devenir, ce qu’il avait vocation à être :  un instrument au service d’une meilleure coordination des politiques économiques au sein de l’UE et de chaque Etat membre. Mais, comme le propose l’économiste Vincent Aussilloux, le plan de relance né de la nécessité de redonner force à des économies exsangues ne peut-il pas permettre d’offrir un nouveau souffle au Semestre européen ?

Le Semestre européen a été créé en réponse à la crise financière de 2008-2009 de nature totalement différente de celle que nous traversons. Le besoin d’une réponse adaptée à la crise actuelle due à la Covid-19 ainsi qu’aux enjeux structurels aigus auxquels font face l’ensemble de pays de l’Union doivent amener à le redéfinir. 

Compte tenu de la faible taille relative du budget européen, la coordination des politiques publiques nationales dans l’Union européenne est un impératif comme le prévoit pour les politiques économiques l’article 121 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Dans les faits, cette coordination se limite à une mise en œuvre a minima des règles budgétaires du Pacte de stabilité et de croissance sans véritable gestion concertée du cycle économique. Quelques rares exceptions bienvenues sont à souligner de ce point de vue avec la suspension des règles budgétaires lors de la crise financière de 2008-2009 ainsi que depuis le début de la crise de la Covid-19 et surtout avec l’accord historique obtenu en juillet sur un Plan de relance communautaire.

La coordination des politiques publiques des Etats membres ne peut se limiter aux politiques budgétaires ni aux temps de crise. Les enjeux collectifs qui dépassent la capacité d’action au niveau national se multiplient mais, au-delà des défis communs, l’Union ne peut rester sans réagir lorsqu’un Etat membre reste passif face à un problème de fond qui l’affecte, soit en raison d’une insuffisante prise de conscience, soit en raison d’obstacles politiques à l’action. L’inaction de gouvernements successifs finit toujours pas générer des crises politiques profondes qui sont désastreuses, tant pour le pays lui-même que pour ses partenaires et le projet européen. 

 

Un Semestre européen déconnecté des réalités de terrain

La procédure actuelle relative aux déséquilibres macroéconomiques et aux défis structurels dans le cadre du Semestre européen pèche par son côté technocratique. Sa répétition dans un cycle annuel ne tient pas explicitement compte des cycles électoraux nationaux et insuffisamment des programmes sur lesquels les nouveaux gouvernements sont élus démocratiquement. Cela conduit à la perception de recommandations d’une machine administrative bruxelloise déconnectée des réalités de terrain et des choix démocratiques. C’est une perception qui ne correspond pas complètement à la réalité mais force est de constater qu’elle est largement partagée et que faute d’appropriation par le gouvernement national et la société dans son ensemble des recommandations formulées par Bruxelles, elles peinent à être mises en œuvre. 

Le plan de relance européen marque une étape historique dans la progression d’une action concertée entre le niveau communautaire et les politiques nationales. Il est important que le Semestre européen joue un rôle déterminant dans la coordination des plans de relance nationaux afin de s’assurer qu’ils favorisent une croissance des niveaux de vie tout en diminuant les émissions de C02 et l’utilisation des ressources non renouvelables, ainsi qu’en renforçant l’équité sociale et la souveraineté européenne face à un monde plus incertain. 

Le mouvement des « gilets jaunes » en France a montré qu’une politique menée au nom de la lutte contre le changement climatique pouvait être rejetée si elle ne prenait pas en compte ses effets sur les inégalités sociales et territoriales. Cette crise a mis au grand jour l’urgence d’une réflexion globale sur l’ensemble des politiques publiques et sur leurs interactions. Le Semestre européen pourrait être renommé Programme « Unis dans la diversité » pour refléter à la fois le besoin de coordination et la nécessité de préserver les souverainetés nationales. Il deviendrait alors le lieu véritable de la définition et du dialogue continu sur la coordination des politiques publiques. 

 

Adapter le cycle du Semestre européen aux calendriers électoraux nationaux

Pour que cette coordination soit plus effective, la procédure doit être revue afin de promouvoir une meilleure appropriation nationale du programme de réformes. Plutôt qu’une définition annuelle du programme national de réformes sur la base des recommandations pays adoptées par le Conseil, c’est à l’occasion de chaque nouvelle majorité parlementaire et pour une durée de trois ans qu’une stratégie de réforme devrait être définie dans l’année qui suit les élections nationales. 

Lors d’une première phase de six mois après les élections d’une nouvelle majorité parlementaire dans un Etat membre, un diagnostic devrait être établi de manière concertée entre le nouveau gouvernement, la Commission, des représentants du Parlement européen et des autres Etats membres dans un exercice participatif associant la société civile. Naturellement, le gouvernement issu d’une nouvelle majorité parlementaire ferait prévaloir les priorités et les annonces déjà formulées dans le programme qui ont conduit à son élection. L’échange public avec les représentants des autres pays, des institutions bruxelloises et de la société civile permettrait cependant de compléter le diagnostic sur des enjeux passés sous silence durant la campagne électorale et ainsi de contribuer à affiner le programme de réformes du gouvernement fraîchement élu. Rien n’interdirait bien sûr au gouvernement de mettre en œuvre des premières réformes durant la phase de concertation. 

Au terme de ce processus de dialogue organisé et transparent, le nouveau gouvernement annoncerait ses priorités avec un engagement vis-à-vis de sa population mais aussi de ses pairs au niveau européen. L’Etat membre serait pleinement responsable du choix des objectifs, des priorités et de la manière de les atteindre. Parce qu’il serait public et qu’y seraient associés la société civile et les partenaires sociaux, le dialogue avec les pairs et la Commission dans cette phase d’élaboration du programme de réformes contribuerait à renforcer son appropriation par la population et la meilleure prise en compte de certains enjeux insuffisamment présents dans le débat public. Si le gouvernement refuse de considérer et d’agir sur un enjeu jugé crucial par ses pairs, un rapport argumenté de la Commission, du Conseil et du Parlement soulignant un éventuel manque d’ambition du programme de réformes constituerait un levier à même de faire progresser le débat national car il interviendrait au terme d’un débat ouvert et transparent.  

Par la suite, une fois le programme de réformes défini pour le gouvernement nouvellement élu, le nouveau Semestre européen renommé consisterait chaque année pour la Commission avec l’aide du Parlement européen à vérifier que les réformes annoncées sont bien mises en œuvre et que le pays est sur la bonne voie pour atteindre les objectifs chiffrés qu’il s’est lui-même défini. Il ne s’agirait plus chaque année de définir de nouvelles priorités comme dans le semestre actuel, des priorités qui peuvent être perçues comme des injonctions technocratiques, voire hors sol. Les nouveaux instruments comme le fonds de soutien aux réformes mais aussi les fonds structurels seraient liés à la mise en œuvre des engagements pris par le pays. Dans le cas d’une crise grave comme celle que nous connaissons, les plans de relance nationaux en lien avec le plan de relance européen, devraient alors être pleinement intégrés au Programme « Unis dans la diversité » à travers notamment un exercice collectif de redéfinition des priorités exigées par le contexte de crise. 

Un tel mécanisme préserverait la souveraineté des Etats sur les choix de leurs priorités et des moyens de les défendre. Il respecterait le fait qu’une nouvelle majorité doit être à même de définir son propre programme de réformes pour sa mandature. En s’inscrivant dans une liste d’objectifs adoptés par tous les Etats membres et en faisant l’objet d’un diagnostic partagé et d’une discussion publique avec les pairs et le Parlement européen, il permettrait d’améliorer la coordination des politiques sur les grands enjeux tout en respectant la diversité des priorités. Plutôt qu’un exercice annuel de définition des priorités en termes de réformes, c’est un exercice en cohérence avec les cycles électoraux des pays et qui renforcerait l’appropriation nationale des réformes qu’un tel Semestre européen refondé permettrait d’assurer.

L’auteur s’exprime à titre personnel. Ses propos n’engagent pas son institution.

ENCADRÉ DÉFINITION. Le Semestre européen est un cycle de coordination des politiques économiques et budgétaires au sein de l’Union européenne qui se concentre sur les premiers six mois de l’année, d’où son nom. Il s’articule autour de trois axes : les réformes structurelles qui visent à promouvoir la croissance et l’emploi, les politiques budgétaires dans le but d’assurer la viabilité des finances publiques et, dernier point, la prévention des déséquilibres macroéconomiques excessifs.

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