Fiscalité en Europe : harmonisation ou convergence ?

Delphine SIQUIER-DELOT

Analyste senior à l’Institut Friedland

Dans un contexte de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale et pour faire écho aux travaux de l’OCDE, la Commission européenne a décidé de relancer l’assiette commune consolidée à l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Compte tenu des délicats enjeux que ce projet soulève, quel peut être son avenir et quelles perspectives ouvre-t-il pour l’Europe fiscale ?

La concurrence fiscale exacerbée entre les États et les multiples révélations portant sur les scandales des paradis fiscaux (Paradise papers, Panama papers…) montrent les limites du système actuel et la nécessité d’assainir les règles du jeu fiscal, au moins au niveau européen. Le débat autour de la notion d’une imposition équitable invite à s’interroger sur ce que devrait être un nouveau système plus juste et plus transparent en Europe.

Dès lors, les États ont souhaité engager la réflexion pour répondre aux défis posés par l’érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices. Le G20 de Saint-Pétersbourg a ainsi mandaté, en 2013, l’OCDE pour contrer les stratégies de planification fiscale qui exploitent les failles et les différences dans les règles fiscales – les pratiques de BEPS(1) – et remettre les standards internationaux en phase avec le nouvel environnement économique mondial. Le travail de l’OCDE, qui s’articule autour de 15 actions, mise avant tout sur une plus grande transparence. Des changements se mettent progressivement en place, avec des premières traductions au niveau européen (les directives ATAD(2) notamment), mais également au niveau national (avec la mise en place du reporting pays par pays, en France par exemple).

C’est dans ce contexte que la Commission européenne a décidé de relancer, en octobre 2016(3), le projet d’ACCIS (ou CCCTB(4) en anglais), qui avait fait l’objet d’une première proposition de directive en 2011 finalement abandonnée faute d’accord unanime obtenu. Si l’ambition première de l’ACCIS était, en 2011, de réduire les obstacles aux activités transfrontières et d’alléger la charge administrative des entreprises, elle est aujourd’hui présentée par la Commission(5) comme la solu­tion globale aux transferts de bénéfices. Elle permettrait ainsi de supprimer les disparités entre les systèmes fiscaux nationaux, souvent exploitées par ceux qui se livrent à la planification fiscale agressive et de garantir une imposition plus proche du lieu où les bénéfices sont réalisés.

Simplifier les systèmes d’imposition

En effet, l’ACCIS devrait permettre aux entreprises de calculer leur base imposable selon un mode de calcul harmonisé au niveau européen. Le groupe européen étant appréhendé de manière unitaire, les transactions intragroupes seraient neutralisées et le résultat consolidé réparti en fonction d’une formule de répartition comprenant trois facteurs (immobilisations corporelles, main-d’œuvre et chiffre d’affaires), chacun pondéré d’un tiers. Une fois l’assiette imposable répartie, les États membres resteraient libres d’imposer la part qui leur revient en appliquant leur taux national d’impôt sur les sociétés (IS).

Ce projet soulève cependant de délicats enjeux, tant pour les entreprises que pour les États membres.

Pour les entreprises d’abord, la mise en œuvre de l’ACCIS pourrait avoir des impacts variables selon leur taille, leur secteur d’activité et leur mode d’implantation (voir encadré).

Pour les États membres ensuite, le projet ACCIS n’est évidemment pas sans incidence. Si la transparence et l’échange d’informations répondent à la volonté de coopération des États, la question d’une définition commune de l’assiette de l’impôt sur les sociétés touche directement à la politique fiscale des États et, par voie de conséquence, à leur sou­ve­raineté.

La mise en œuvre de l’ACCIS pourrait se traduire, selon les cas, par une réduction ou une augmentation des recettes fiscales. Elle pourrait en outre rendre encore plus visibles les écarts de taux d’impôt sur les sociétés (voir encadré) actuellement justifiés (du moins en partie) par des divergences d’assiette. Le projet d’ACCIS n’intervenant pas sur les taux nationaux d’impôt sur les sociétés, les États membres désireux d’attirer dans leur giron des investisseurs étrangers auraient comme marge de manœuvre d’agir sur leur taux. L’ACCIS invite donc à s’interroger sur la stratégie future des États dans le jeu de la concurrence fiscale.

Si le projet d’ACCIS doit être encouragé en ce qu’il pourrait permettre de simplifier les systèmes d’imposition des sociétés et de résorber les obstacles transfrontaliers à l’activité, les contraintes institutionnelles (comme la règle de l’unanimité) rendent son adoption effective très incertaine…

Dès lors, l’avenir se trouve peut-être dans une voie intermédiaire, celle de la convergence fiscale. Les différents États membres qui composent l’Union européenne ne sont pas tous identiques, tant dans leur construction, que dans leur histoire et dans leur connexion aux grands marchés de l’Union européenne. L’harmonisation n’aurait ainsi de sens que si l’on prenait en compte la structure du système fiscal dans son ensemble : la ventilation des recettes fiscales, celle des dépenses publiques mais aussi tous les prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises. Derrière chaque système fiscal, se dessine un projet de société qui va bien au-delà d’une simple assiette et d’un simple taux d’un seul impôt.

Vers une convergence en Europe ?

Il paraît en effet plus que nécessaire, au regard des enjeux de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, de faire converger les législations pour éliminer progressivement les disparités fiscales. Pour autant, une certaine flexibilité devrait être laissée pour permettre de prendre en compte les spécificités de chacun.

Les États membres pourraient ainsi s’engager dans la voie d’une convergence plus systématique de leur impôt sur les sociétés, notamment en s’alignant sur des standards dominants en Europe comme certains de ceux déjà esquissés dans le cadre du projet de directive portant sur l’assiette commune à l’IS(6). La mise en place d’un corridor de taux d’impôt sur les sociétés pourrait être également une piste à explorer pour réduire l’amplitude de la concurrence fiscale sur les taux.

Face à la réforme fiscale américaine qui vient d’être adoptée et au rouleau compresseur anti-BEPS de l’OCDE, il importe de trouver des réponses efficaces au niveau européen. C’est dans cette perspective que la France et l’Allemagne ont annoncé vouloir mettre en œuvre des mesures de convergence sur la base d’une coopération bilatérale. Mais pour que cette convergence avance de manière constructive, la coopération fiscale doit se poursuivre et se renforcer. CCCTB or not to be? That is the question!

1) Le projet BEPS (acronyme de « Base Erosion and Profit Shifting ») destiné à lutter contre l’érosion de la base fiscale et les transferts de bénéfices.

2) Directive ATAD 1 (Anti Tax Avoidance Directive), 12 juillet 2016, JOUE 19 juillet 2016 ; directive ATAD 2 adoptée le 29 mai 2017 par le Conseil de l’UE.

3) Deux propositions de directive : l’une sur l’assiette commune, l’autre sur l’assiette consolidée, COM (2016), 25 octobre 2016.

4) CCCTB qui signifie Common Consolidated Corporate Tax Base en anglais.

5) Plan d’action Commission européenne, COM (2015) 302 final, 17 juin 2015, « Un système d’imposition des sociétés juste et efficace au sein de l’Union européenne : cinq domaines d’action prioritaires ».

6) À titre d’exemple, la simplification des règles de déductibilité des amortissements, tous les pays n’offrant pas le choix entre amortissement linéaire et amortissement dégressif.

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