Dans cet article pour Confrontations Europe, Andreas Rüdinger analyse, pour Confrontations Europe, les pistes de réflexion afin de faire de la rénovation énergétique des bâtiments une priorité.
Dès 2020, la « vague de rénovation » de l’UE visait à doubler le rythme des rénovations énergétiques. En 2021, la Commission européenne publiait ses lignes directrices relatives au principe de « primauté de l’efficacité énergétique » (Energy efficiency first). Et en 2022, la crise ukrainienne a propulsé les politiques d’efficacité et de sobriété énergétique sur le devant de la scène dans le cadre de la stratégie RePowerEU, visant à réduire au plus vite la dépendance au gaz naturel russe.
En dépit de ces élans, les politiques de rénovation énergétique peinent encore à décoller en Europe et semblent parfois se faire oublier face à l’engouement pour la production d’énergie bas-carbone. Comment expliquer ce retard sur les politiques de rénovation énergétique ? Et quels enjeux pour en faire une priorité pour la prochaine législature européenne ?
La rénovation énergétique, levier pour faire face aux crises futures
IL’importance de la rénovation énergétique pour la résilience de notre économie n’est plus à démontrer : l’UE a déboursé 400 milliards d’euros pour ses seules importations de gaz naturel l’année dernière, dont plus d’un tiers est directement lié au chauffage des bâtiments, ce qui a amené le député européen Ciarán Cuffe a populariser le slogan « Isolate Putin. Insulate homes ».1
Sur le plan national, si la France avait respecté les objectifs de rénovation énergétique qu’elle s’était fixée lors du Grenelle de l’Environnement de 2008, elle aurait pu se passer des importations de gaz russe… depuis 2020 !2
Au-delà des enjeux de sécurité énergétique, le bâtiment est probablement le secteur le plus crucial en matière de résilience économique, considérant notamment son intensité inégalée en emplois (par million d’euros investi) et en valeur ajoutée locale. A condition de mettre les moyens à la hauteur des objectifs visés : au niveau européen, la « vague de rénovation » estimait le besoin d’investissements additionnels à 275 milliards d’euros… par an.
Des objectifs ambitieux, une mise en œuvre encore hésitante
La rénovation énergétique devra ainsi jouer un rôle de premier plan dans l’atteinte des objectifs du pacte vert européen (Green Deal), à savoir réduire de 55 % les émissions de GES d’ici 2030, et atteindre la neutralité carbone en 2050. Il faudra littéralement redoubler d’effort.
Plus récemment, les débats autour de la révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (EPBD) prévoient la mise en place de « standards minimums de performance énergétique » visant à éliminer l’ensemble des passoires thermiques (bâtiments classés F ou G) du parc européen entre 2030 et 2033.
La rénovation énergétique, coincée entre écologie « positive » et « punitive »
Et c’est bien là que se trouve le nœud gordien des politiques de rénovation énergétique aujourd’hui :
- D’un côté, le consensus sur le fait que les seules mesures incitatives ne suffisent pas pour atteindre les objectifs fixés : rappelons qu’à l’échelle de la France, la trajectoire de décarbonation proposée par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) prévoit une ambition sans précédent pour le secteur des bâtiments avec l’objectif de diviser par 2 les émissions en 8 ans (entre 2022 et 2030).3
- Et de l’autre, une difficulté croissante à faire accepter des mesures plus restrictives, dans un contexte marqué par la crise énergétique, l’inflation et la montée de l’extrême droite, en amont des prochaines élections européennes.
Dilemme qui semble désormais omniprésent, poussant la présidente du parlement européen, Roberta Metsola, à affirmer que « le pacte vert nourrit le populisme », sa formation politique (le PPE) allant jusqu’à demander un moratoire sur toute nouvelle réglementation environnementale.
Préparer des transformations radicales par la concertation et la co-construction
Dans des termes similaires, la Première Ministre française Elisabeth Borne a récemment indiqué que selon elle, « La planification écologique, c’est la radicalité des résultats sans la brutalité des mesures ». Une formulation qui peut sembler quelque peu étonnante, dans la mesure où plus personne ne croit en la capacité de faire advenir des transformations structurelles par la politique des petits pas.
Et qui soulève une question cruciale : plutôt que d’écarter l’idée même de transformations radicales, ne faudrait-il pas plutôt se poser la question des conditions de leur acceptation sociétale ? Est-ce la « radicalité » des mesures qui les rend « brutales » ? Ou est-ce plutôt l’absence de concertation, d’anticipation ou encore de politiques d’accompagnement permettant d’en faire les leviers d’une transition juste, voire d’un nouveau contrat social ?
Construire un nouveau contrat social autour du pacte vert européen
Qu’il s’agisse des politiques de rénovation énergétique, du développement des énergies bas-carbone, de l’avènement de la mobilité électrique et bas-carbone, le défi pour la prochaine mandature européenne peut se résumer en ces termes :
Et paradoxalement, l’erreur la plus fatale serait d’espérer que l’on puisse écarter la menace d’une vague eurosceptique en 2024 par une « pause réglementaire », ou encore en adoptant son propre discours, consistant à écarter toute transformation radicale au nom de l’ordre établi et de la protection des plus modestes.
Au contraire, il s’agit de redonner confiance dans la capacité de ce même pacte vert à créer les conditions pour une prospérité renouvelée et une Europe plus forte.
Pour la rénovation énergétique, le mandat est aussi simple qu’ambitieux :
- Soutenir une vraie politique de structuration de l’offre à toutes les échelles, pour massifier les rénovations performantes, seules à même de résoudre en une fois l’impératif écologique et social (lutte contre la précarité énergétique)
- Dérouler un « plan Marshall de la pompe à chaleur », visant à consolider la filière industrielle européenne avec des objectifs de déploiement ambitieux dans tous les pays, afin de sortir au plus vite des énergies fossiles dans le secteur des bâtiments ;
- Fournir, en parallèle, un signal politique sans ambiguïté, avec l’annonce de la disparition progressive (mais définitive) des chaudières à énergies fossiles
- Fournir des moyens financiers à la hauteur des besoins identifiés, en valorisant l’effet de levier au travers de la structuration de solutions de financement innovantes, à l’image des sociétés de tiers-financement françaises
- « Isolez Poutine. Isolez vos maisons. ». La tribune complète :Isolate Putin. Insulate homes. – EURACTIV.com
- Rüdinger, A. (2022) : La rénovation énergétique, levier essentiel pour se prémunir durablement contre la hausse des prix de l’énergie, Blog IDDRI Mars 2022
- Les objectifs pour les autres secteurs (réductions entre 2022 et 2030) s’élèvent à -16 % (agriculture), -29 % (transports), -37 % (industrie), -43 % (énergie).