Philippe HERZOG
Président fondateur de Confrontations Europe
L’année 2018 va être celle de la préparation d’un nouvel agenda politique pour l’Union. Si on ne réussit pas à ouvrir une perspective populaire positive, le marasme et les risques de désintégration s’accentueront. L’européisme du Président est bienvenu mais il ne doit pas masquer le sentiment croissant ici et ailleurs d’une Union subie comme une contrainte et non un espoir. Et il ne suffit pas de se contenter de plaider l’intégration économique et la consolidation de l’euro.
Dans un contexte mondial très violent et une géo-économie non soutenable, la demande de sécurité apparaît comme une première priorité. L’Union ne peut y répondre sans faire de l’Europe une force géopolitique capable de pacifier les conflits et de façonner la mondialisation. Or elle a beau vouloir dire le droit, elle n’est pas encore une force diplomatique ni militaire. Elle cherche à se barricader face aux migrations, alors qu’au Moyen-Orient, en Asie, les foyers de conflits sont chauffés au rouge, Donald Trump est en position de pyromane, et en Afrique les peuples souffrent de la faim et des exactions.
L’autre priorité est l’emploi et la solidarité. Or, la petite reprise actuelle ne doit pas tromper : le potentiel de développement de l’Europe est stagnant, son modèle économique n’est pas durable car ni intégré ni solidaire ; elle est désarçonnée face aux nouveaux risques financiers, à l’impact de la révolution numérique, et les objectifs de la COP21 dont elle est si fière sont déjà hors de portée. Nos États ne veulent pas mutualiser nos forces entre eux, et nous investissons très peu en Afrique, pourtant foyer de la jeunesse du monde. Emmanuel Macron a plutôt fait savoir aux Africains qu’ils doivent se débrouiller.
Replacer la France en Europe est d’autant moins évident qu’aucune réforme de l’État n’est sur l’agenda de 2018, de sorte que notre pays reste le seul État européen à ne pas assainir ses finances. Pourtant notre Président demande aux autres d’accepter dès maintenant une mutualisation qui nous soit bénéfique. Il n’est pas étonnant que l’objectif de capacité budgétaire de la zone euro soit repoussé. La Commission vient de présenter une feuille de route dont les propositions sont relativement peu ambitieuses, mais elles traduisent ce que les États semblent au mieux en mesure d’accepter pour le moment.
Plusieurs enjeux de recomposition de l’espace sont posés alors que la tendance à la fragmentation est visible. Face à cela, beaucoup d’Européens disent vouloir retrouver leur souveraineté tandis que beaucoup aussi ont peur des impacts et ne veulent pas quitter l’Union.
Les leçons de la phase 1 de la négociation du Brexit sont intéressantes. Theresa May et ses collègues n’ont obtenu un accord d’étape pour une sortie technique et symbolique en 2019 qu’aux conditions fixées par l’Union européenne. Les Européens peuvent donc constater la force du droit qui nous lie et comprendre que quitter l’Union a un coût. Mais la phase 2, conduisant à une sortie plus franche sera encore plus difficile pour les Britanniques ; elle sera éprouvante pour nous aussi : comment savoir négocier un accord commercial avec les Britanniques quand nous sommes incapables ou presque de ratifier l’accord souscrit à grand-peine avec nos amis canadiens ?
S’agissant des mouvements régionalistes, ne soyons pas dupes : qu’ils soient catalans, écossais ou autre, s’afficher pro-européens, c’est une façon de chercher un appui contre leur État, non un souci de cohésion de notre Union.
Il n’est pas étonnant qu’Emmanuel Macron impressionne puisqu’il est le seul leader qui dise vouloir entraîner son pays vers l’Europe. Mais ses assises intérieures et extérieures sont plus faibles qu’on ne le croit et son projet européen traduit encore trop l’intérêt français. Et chez nos partenaires allemands, même si un accord CDU-SPD est possible, n’ignorons pas que l’européisme est en recul : l’économiste Marcel Fratzscher observe que dans son pays « il y a presque l’intention de ne pas regarder le reste de l’Europe ». Ne rêvons pas à l’état de grâce : la campagne nationale qui s’annonce en vue des élections européennes de 2019 risque d’être prise en otage par les réalités intestines, et introvertie faute de mouvements paneuropéens.
Dire ces choses n’est pas fait pour démobiliser, mais au contraire pour réveiller. J’exposerai par ailleurs ma vision d’une refondation. Il appartient aux Européens, tous différents, de dire maintenant ce qu’ils veulent faire de notre Europe en s’écoutant mutuellement. Il ne faut donc pas se précipiter à dire « ce que France veut », mais montrer d’abord qu’une France à l’écoute des autres est capable d’épouser un « nous ». Notre Président doit aider notre société à devenir pleinement européenne parce que consciente de ce qu’il faut partager, et non pas lui demander de se rallier à son panache blanc. Sachant que partager c’est toujours perdre quelque chose pour soi, mais pour créer un bien pour tous. Un bien commun n’est pas simplement un bien utile à chacun.