JEUNESSE – Erasmus+, nouvel espace européen d’apprentissage

Par Jean Arthuis

Président d’Euro App Mobility

Jean Arthuis, ancien ministre et eurodéputé, est aujourd’hui président d’Euro App Mobility1, association qu’il a fondée en juin 2020 pour lever les freins à la mobilité européenne des apprentis en Europe. Cette initiative fait suite au projet pilote Euro App’ «Long term mobility for apprentices» qu’il avait fait voter lorsqu’il était député européen entre 2016 et 2019. Jean Arthuis et les membres d’Euro App Mobility (réseaux de CFA, entreprises, personnalités politiques et institutions) œuvrent pour la création d’un espace européen de l’apprentissage, comme il existe un espace européen de l’enseignement supérieur, et proclament qu’Erasmus doit mieux toucher les apprentis.

Le programme star de l’Union européenne (UE), Erasmus+ est à la veille de célébrer son trente-cinquième anniversaire. Les crédits qui lui sont affectés pour la période 2021-2027 sont en progression de 80% par rapport au précédent cadre financier pluriannuel. S’il est vrai qu’en France, les cinq millions de bénéficiaires de ce programme sont principalement les étudiants d’universités et les élèves des grandes écoles, il faut rappeler sans cesse qu’Erasmus+ c’est aussi pour les apprentis et les stagiaires de la formation professionnelle. Et désormais, l’inclusion est portée au rang des priorités dans la feuille de route des acteurs de la formation et de la mobilité pour les prochaines années. C’est la volonté proclamée par le Conseil des ministres et le parlement européens. Pour les jeunes, aller à la rencontre d’autres pratiques, d’autres cultures, d’autres langues, c’est sortir de sa zone de confort, devenir plus autonome, comprendre l’ouverture au monde, s’accomplir et s’épanouir. C’est aussi bien sûr accroître ses chances d’accéder à l’emploi, c’est avancer sur le chemin de l’excellence et élargir son horizon professionnel.

La concrétisation de cette ambition appelle une mobilisation générale pour abattre les obstacles de tous ordres, juridiques, financiers, académiques, linguistiques, psychologiques qui freinent la mobilité des alternants. L’hyper réglementation met trop souvent en difficulté ceux qu’elle prétend protéger. Il est urgent de déverrouiller le système en faisant justice des dispositions anachroniques. Quelle que soit la formation dispensée, la priorité ne peut être donnée qu’à l’intérêt de l’apprenant. Le système, les procédures, les réglementations, l’administration doivent s’adapter, évoluer, se réformer. Allons de l’avant. Le taux de vaccination permet d’augurer une proche sortie de la pandémie qui affecte la formation et la mobilité des jeunes européens depuis plus d’un an et demi. Au moment où le frein sanitaire se lève, préparons le rebond. Faisons bon usage des instruments que l’Europe met à notre disposition pour aider les jeunes à construire leur destin professionnel.

L’inclusion vise les jeunes qui ont souvent peiné à trouver leur place dans la scolarité académique. C’est en cela que la formation par le métier, au sein de l’entreprise, dans l’accomplissement de gestes intelligents donne confiance et estime de soi. Grâce à l’apprentissage, tout jeune, quel que soit son parcours scolaire antérieur parvient à révéler et à cultiver son talent. Chacun porte en soi un don original que le cadre académique ignore souvent et contrarie parfois. C’est à partir de cette aptitude personnelle que se construit le parcours de formation qui donne accès au monde du travail et dessine les jalons d’une carrière exaltante. Dans nombre de pays voisins, un apprentissage réussi ouvre les portes de l’enseignement supérieur. La mobilité permet d’aller à la rencontre de pratiques différentes, de s’en inspirer pour d’éventuelles transformations salutaires.

En France, la loi «Liberté de choisir son avenir professionnel» a rénové en profondeur la formation en alternance. Le développement de l’apprentissage est désormais facilité par un cadre réglementaire plus simple et flexible, impliquant les entreprises au travers de leurs branches professionnelles. S’inspirant de pratiques éprouvées dans des pays voisins, la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande, la réforme était attendue. La dynamique déclenchée est déjà mesurable. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à opter pour l’apprentissage (495000 contrats en 2020, en progression de 64%). Mais la mobilité, pourtant explicitement prévue dans la loi, tarde à s’installer concrètement. Les séjours d’au moins trois mois font figure d’exception. Les statistiques que nous livre l’agence Erasmus+ France relatives à l’année 2018-2019 en portent témoignage. Parmi les 70000 apprenants (hors collégiens et lycéens) bénéficiaires de bourses Erasmus+, les alternants sont moins de 7000, dont seulement 841 à partir plus de trois mois, dont les deux tiers relèvent de l’enseignement supérieur.

La stratégie à engager s’appuie sur deux acteurs incontournables: les CFA et les entreprises. L’efficacité de leur engagement dépend de la détermination et de l’accompagnement des pouvoirs publics.

L’ouverture internationale d’un CFA ne s’improvise pas. Elle résulte d’un projet pédagogique porté par l’ensemble des membres de la communauté éducative. La mise en œuvre nécessite la désignation, au sein de l’établissement d’un «référent mobilité». Il a mission de sensibiliser les jeunes et leurs maîtres d’apprentissage aux bienfaits de la mobilité longue. C’est lui qui prend contact avec des CFA étrangers, en vue de nouer des partenariats susceptibles d’aboutir à des jumelages, définissant par voie de convention les valeurs, objectifs, méthodes et modalités d’évaluation des acquis de la mobilité. Parallèlement à la préparation des départs vers l’étranger, il doit également organiser l’accueil de jeunes venant d’autres pays, notamment leur intégration en entreprise, peut-être à la place de ses propres apprentis partis en mobilité, ainsi que leur hébergement. Le référent mobilité coordonne les enseignements linguistiques, oriente éventuellement vers les prestations digitales.

Collectivement, les entreprises définissent les stratégies et orientent les financements. Par leurs branches, elles gèrent les OPCO (Opérateurs de compétences). Ces organismes sont chargés de financer l’apprentissage, d’aider à construire les certifications professionnelles et d’accompagner les employeurs, notamment les PME, pour définir leurs besoins en formation. C’est dans ce cadre que s’opèrent les arbitrages en faveur de l’ouverture internationale des CFA. Mais la demande effective provient des employeurs eux-mêmes. Ceux qui entendent orienter leurs apprentis vers la mobilité ont intérêt à désigner, parmi leur personnel, un responsable de la mobilité. Pour être optimale, elle suppose également l’accueil de jeunes venant de l’étranger. Une attention particulière doit être portée aux conditions de leur intégration dans les équipes au travail.

S’agissant des pouvoirs publics, il faut saluer les avancées tendant à la convergence des législations sur le travail et la formation professionnelle. Des progrès sont attendus dans la reconnaissance des acquis de la mobilité. Elle doit devenir systématique. Les incertitudes récurrentes doivent être définitivement levées. À cet égard, le modèle des ECTS (European Credit Transfer System) donne l’exemple de la procédure appropriée. Elle est explicitement suggérée dans la Recommandation du Conseil du 24 novembre 2020 en matière d’enseignement et de formation professionnelle (EFP) en faveur de la compétitivité durable, de l’équité sociale et de la résilience. L’appel à la mobilité serait vain en l’absence de garanties opérationnelles. Il importe en effet que le temps et les contenus de formation suivis en mobilité, sur la base d’une évaluation méthodique, soient pris en compte dans les conditions de délivrance des diplômes. Il s’agit ici d’un point clé.

En synergie avec les services de l’État, les régions et les collectivités territoriales ont un rôle à jouer dans les politiques d’inclusion et de formation professionnelle. Dans leurs actions, elles consacrent des moyens à l’avenir des jeunes. Leur expérience et leur fonction de gestionnaire de fonds européens les placent en première ligne. Le cadre budgétaire de l’UE pour les sept années (1074 milliards d’euros) comporte deux lignes de crédits ouvertes à la formation professionnelle : le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER), doté de plus de 200 milliards, et le Fonds Social Européen (FSE+), 88 milliards. Il appartient aux régions de procéder aux arbitrages et de définir les programmes opérationnels. Bref, les feux sont au vert pour donner un nouvel élan à la formation professionnelle.

Signal encourageant, lors du Sommet de Porto, les 7 et 8 mai derniers, les chefs d’État et de gouvernement ont adopté une résolution prometteuse: «Nous donnerons la priorité aux mesures destinées à soutenir les jeunes, qui ont été très durement touchés par la crise de la COVID-19, laquelle a profondément perturbé leur participation au marché du travail ainsi que leurs projets d’éducation et de formation. Les jeunes représentent une source indispensable de dynamisme, de talent et de créativité pour l’Europe. Nous devons faire en sorte qu’ils deviennent le vecteur de la relance verte et numérique inclusive afin qu’ils contribuent à édifier l’Europe de demain, notamment en tirant pleinement parti des possibilités qu’offre Erasmus+ pour favoriser la mobilité à travers l’Europe pour tous les étudiants et apprentis».

La France présidera l’Union européenne pendant le premier semestre 2022. J’ai la conviction qu’elle donnera une impulsion décisive à l’avènement d’une Europe des apprentis.

  1. Euro App Mobility (EAM) a organisé, sous le Haut patronage d’Emmanuel Macron, Président de la République, les États généraux de la mobilité des apprentis, les 16 et 17 septembre à Paris, au CNAM. Cet événement est disponible en replay sur le site: www.euroappmobility.eu

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