FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE – Entre crédit et fonds propres, le rééquilibrage du modèle de financement de l’économie européenne

John Berrigan

Directeur général de la Direction générale pour la stabilité financière, les services financiers et l’union des marchés de capitaux (DG FISMA), Commission européenne

Le rééquilibrage du modèle de financement de l’économie européenne n’est pas une mince affaire. Cependant, le projet d’union des marchés des capitaux (UMC) de l’UE promet de libérer le potentiel de croissance de l’Europe et d’apporter une nouvelle dynamique à ses entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME) qui ont été jusqu’à présent trop dépendantes du financement bancaire.

Dans un système financier européen pleinement intégré, les épargnants et les investisseurs pourraient investir et emprunter au-delà des frontières nationales. Cela permettrait aux épargnants de diversifier leur portefeuille, tandis que les investisseurs bénéficieraient de coûts de financement réduits. L’objectif de l’initiative de l’UMC de l’UE est de créer un marché unique des capitaux, qui faciliterait les flux investissements et d’épargne dans toute l’UE afin de pouvoir bénéficier aux consommateurs, aux investisseurs et aux entreprises, où qu’ils soient.

L’UMC offrira aux entreprises un plus grand choix de financement à moindre coût et à des conditions attrayantes. Elle fournirait en particulier aux PME le financement dont elles ont besoin pour soutenir la reprise économique et créer de nouveaux emplois. Les avantages les plus importants de la réalisation de l’UMC consisteraient à offrir aux épargnants et aux investisseurs de nouvelles opportunités, à créer une économie plus inclusive et plus résiliente, à aider l’Europe à mettre en œuvre son nouveau Pacte vert et son agenda numérique, à renforcer la compétitivité et l’autonomie globales de l’UE et à rendre le système financier encore plus résilient afin de mieux faire face aux chocs économiques et aux tensions géopolitiques.

L’UMC est devenue encore plus urgente à la lumière de la crise induite par la Covid-19, et maintenant, de la hausse des prix de l’énergie et des autres matières premières déclenchée par l’invasion de la Russie en Ukraine. Lorsque la pandémie a frappé, l’endettement élevé des entreprises était une source d’inquiétude dans certains États membres, dont la France. En fait, les prêts bancaires et les garanties de l’État ont joué un rôle crucial pour aider les entreprises à rester à flot en répondant à leurs besoins de liquidité à court terme. Mais cela s’est fait au prix d’une nouvelle augmentation du niveau d’endettement. Il y a eu une reprise de nouvelles émissions d’actions européennes fin 2020, et tout particulièrement en 2021. Toutefois, la reprise des marchés financiers a faibli en 2022 en raison de l’invasion russe de l’Ukraine et de ses retombées. La guerre a généré un choc important sur les prix des matières premières, ajoutant ainsi aux pressions inflationnistes existantes liées à la pandémie. Le resserrement de la politique monétaire a aussi gagné du terrain à l’échelle mondiale et les marchés ont commencé à s’ajuster – parfois de manière très brutale – à la fin de la période de faiblesse des taux d’intérêt qui a duré plusieurs décennies. L’un des principaux enseignements à tirer de ces développements est que nous ne pouvons pas relâcher nos efforts face à la nécessité d’une nouvelle réforme de notre système financier. En effet, pour rester compétitives à moyen et long terme, les entreprises européennes auront besoin d’une structure de financement plus stable et cela signifie qu’il faut continuer à modifier l’équilibre entre le financement par emprunt et le financement par capitaux propres.

La forte dépendance de l’UE à l’égard des banques signifie que les entreprises, et en particulier les PME, ont des difficultés à accéder à d’autres sources de financement lorsqu’elles ne peuvent pas obtenir de crédit des banques. La difficulté d’accès au financement est l’un des obstacles qui empêche les PME de lancer de nouveaux produits, d’élargir leurs activités et marchés, de renforcer leur infrastructure et d’embaucher de nouveaux employés. Cette situation se vérifie pour les PME bien établies comme pour les entreprises innovantes plus petites qui se développent rapidement. Une plus grande dépendance à l’égard des prêts bancaires rend l’économie plus vulnérable lorsque le crédit bancaire se resserre, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles l’Europe a mis plus de temps que d’autres grandes régions économiques pour se remettre de la crise financière mondiale.

En revanche, l’un des principaux attraits d’une plus grande diversification des sources de financement est précisément la capacité à absorber les chocs. Cette capacité est particulièrement importante lorsque les emprunteurs peuvent passer d’une source de financement à l’autre, notamment lorsque le financement est disponible sous forme de capitaux propres. Le financement par capitaux propres a de nombreux avantages pour les entreprises. Les capitaux propres sont utiles pour absorber les pertes. Ainsi, une diversification des sources de financement, et en particulier une augmentation de la part du financement par capitaux propres, rendrait le système financier plus stable.

En favorisant les investissements transfrontaliers et en mobilisant les capitaux privés au profit des entreprises européennes, le projet d’UMC soutiendra la croissance économique et contribuera à soutenir la stabilité financière. Ce faisant, il contribue à approfondir l’Union économique et monétaire et à soutenir le renforcement du rôle international de l’euro.

L’autonomie stratégique ouverte (ASO) reflète la volonté de l’UE de s’engager de manière plus résiliente et plus durable dans l’économie mondiale, de façonner le monde qui nous entoure grâce au leadership et à la coopération, tout en préservant nos intérêts et nos valeurs. Concrètement, l’ASO signifie que l’EU va continuer à travailler avec ses partenaires pour faire avancer ce programme positif, mais qu’elle cherchera à éviter les vulnérabilités stratégiques liées à une dépendance excessive à l’égard de l’approvisionnement externe ou de sources d’approvisionnement particulières.

Cela rendra l’UE plus résiliente face aux chocs futurs – quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Comme la guerre en Ukraine l’a montré, ces chocs peuvent se produire à tout moment.

Il est parfaitement logique que la promotion de l’ASO de l’UE aille de pair avec la poursuite du développement de ses infrastructures et de son secteur financier. L’ASO nécessitera des investissement publics et privés importants, par exemple pour favoriser les transitions numérique et verte et pour réduire les dépendances critiques de l’étranger. Pour financer ces investissements, nous avons besoin d’un système financier européen résilient et efficace, et l’UMC est une façon d’y parvenir.

Depuis l’adoption du plan d’action pour l’UMC en 2020, nous travaillons de manière intensive sur sa mise en œuvre, et nous l’avons déjà fait dans un certain nombre de domaines. Les propositions législatives de novembre 2021 sont en cours de négociation, avec l’accent mis sur l’amélioration de l’accès des entreprises au financement à toutes les étapes de leur développement et la lutte contre la fragmentation des marchés des capitaux. Par exemple, le but de la proposition d’un point d’accès unique européen pour les données financières et extra-financières (développement durable) des entreprises est de faire en sorte qu’il soit plus facile pour les entreprises d’attirer des investisseurs. Cela sera particulièrement utile pour attirer les investisseurs transfrontaliers. Un autre exemple est la proposition visant à rendre le cadre des fonds européens d’investissement à long terme plus attrayant pour les investisseurs et, en particulier, les investisseurs de détail, qui aident les entreprises ayant besoin de financement à long terme, notamment le capital-risque et le capital-investissement. Mais parvenir à une UMC est une tâche complexe, et aucune mesure unique ne permettra d’y parvenir.

Par conséquent, nous devons progresser dans tous les domaines où existent encore des obstacles au marché unique des capitaux, notamment en faisant en sorte qu’il soit plus facile pour les petites entreprises de s’ouvrir au public et de s’attaquer à des domaines complexes, comme les lois sur l’insolvabilité. Dans ces deux domaines, des propositions législatives seront présentées dans les mois à venir.

Comme la Commission l’a elle-même remarqué dans sa communication de 2015 lorsqu’elle a lancé le projet d’UMC, « la voie à suivre est claire : construire un marché unique des capitaux en partant de la base, repérer les obstacles et les supprimer un à un, créer un nouvel élan et susciter une confiance grandissante qui incite à investir dans l’avenir de l’Europe ». Nous avons fait des progrès importants depuis que nous nous sommes fixé cet objectif, mais il est clair que l’UMC est un objectif structurel à long terme et que des obstacles fondamentaux subsistent. Ils sont conditionnés par l’histoire, les coutumes et la culture et existent dans de nombreux domaines, notamment la surveillance, la fiscalité et les systèmes juridiques. Il faudra du temps, de la détermination et un soutien politique au plus haut niveau pour les surmonter. Mais il est clair également qu’il est essentiel de réaliser l’UMC si nous voulons vraiment atteindre nos objectifs de politique économique : se remettre des chocs récents, mobiliser l’énorme investissement nécessaire pour relever les défis climatiques et environnementaux, soutenir la transformation numérique de nos entreprises afin qu’elles restent compétitives à l’échelle mondiale et jeter les bases de notre prospérité future.

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