ÉNERGIE ET SOLIDARITÉ – En finir avec les coupures d’énergies en Europe

Par Sarah Coupechoux, Chargée d’étude Europe, Fondation Abbé Pierre – LA REVUE #136.

Alors que la Commission européenne s’apprête à présenter sa proposition sur la révision du marché de l’électricité, de nombreuses organisations nationales et européennes appellent à une  interdiction  européenne des coupures d’énergie.

En juin dernier déjà, la FEANTSA (Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri) et la Fondation Abbé Pierre alertaient sur les conséquences dramatiques de la crise sanitaire puis des hausses des prix de l’énergie sur le budget des ménages, en particulier les plus vulnérables d’entre eux. En Europe, de nombreux pays ne comptabilisent pas le nombre de coupures d’énergie, mais certains, comme la France ou l’Allemagne, affichent plusieurs centaines de milliers de coupures par an. Les chiffres existants ne tiennent par ailleurs pas compte des milliers de ménages utilisant des compteurs prépayés, entrainant parfois des auto-coupures non comptabilisées. D’autres chiffres ont de quoi nous alarmer: en 2021, plus de 31 millions de per- sonnes vivaient dans la précarité énergétique, autant avaient du mal à joindre les deux bouts et 75 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté.

Combien parmi elles ne parviendront pas à payer leur facture d’énergie dans les mois et années à venir et finiront privées d’énergie?

Car aujourd’hui, dans toute l’Europe, des familles organisent leur vie dans des conditions d’un autre temps, autour des chandelles et des feux de bois. Il ne s’agit plus de choisir entre manger et se chauffer. Il s’agit de vivre jour et nuit sans énergie: dans l’obscurité, pour les repas, pour les devoirs des enfants, sans réfrigérateur, sans appareil de communication à l’heure de la transition digitale.

Les coupures d’énergie, ultime expression de la précarité énergétique, entraînent des conséquences désastreuses, y compris à long terme, sur ces ménages. Les études montrent que les personnes concernées sont plus exposées aux pathologies hivernales. Elles développent plus fréquemment des problèmes de santé chroniques respiratoires, ostéoarticulaires, neurologiques, toutes choses égales par ailleurs. La santé psychique n’est pas épargnée puisque ces personnes sont également plus touchées par la dépression. L’absence de chauffage et de lumière engendre des risques d’incendies par l’utilisation de bougies, de lampes ou de chauffage à pétrole. Enfin, la privation énergétique est un facteur d’exclusion sociale qui a des effets dramatiques sur le bien-être, l’estime de soi, la vie professionnelle, familiale et l’éducation.

La révision du marché de l’électricité est une formidable occasion de montrer que l’Union européenne a à cœur d’opérer une transition socialement juste, en relevant sensiblement le niveau de protection des consommateurs. Cette mesure forte, en conformité avec la demande de nombreuses organisations, permettrait de reconnaître que l’énergie est devenue un service essentiel à une vie digne. Elle viendrait par ailleurs rééquilibrer des rapports particulièrement déséquilibrés dans les relations contractuelles entre les ménages et les fournisseurs d’énergie

En effet, la décision de procéder à une coupure est aujourd’hui une sanction unilatérale, parfois brutale, des fournisseurs d’énergie sur des ménages dont la seule faute est de ne pas pouvoir faire face à une crise de l’énergie qui les dépasse !

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En France, depuis 2013, tous les fournisseurs ont l’impossibilité de procéder à des coupures et peuvent uniquement recourir à des diminutions de puissance durant la période hivernale entre les mois de novembre et mars. En 2021, EDF, qui fournit 70 % des ménages français, s’est engagé à ne plus procéder à des coupures d’électricité, tout au long de l’année, pour l’ensemble de ses clients, qu’ils soient ou non considérés comme vulnérables. Mais d’un bout à l’autre de l’Europe, tous les ménages ne disposent pas des mêmes protections alors qu’ils sont soumis au même marché. Si le droit européen offre la possibilité aux États de limiter les coupures pour les ménages vulnérables, c’est encore insuffisant. Aucune évaluation n’a encore été menée sur la transposition des mesures de protection prévues par l’actuelle directive dans les États membres. Certains ménages peuvent se voir priver d’énergie, été comme hiver, en quelques semaines dans certains pays. Pourtant, les mesures prises pendant la pandémie de Covid-19 ont montré l’impact social positif des moratoires sur les ménages et aucun pays n’a déploré de hausse manifeste des impayés. Car il faut le dire: les Européens veulent payer leurs factures ! L’interdiction des coupures n’entraînera pas d’augmentation des impayés mais permettra à des centaines de milliers de familles de vivre dignement.

Des organisations de lutte contre la pauvreté, des organisations pour le climat, de défense des consommateurs mais aussi des syndicats et des partis politiques, tous ont de- mandé, dans leurs pays ou au niveau européen, de faire interdire les coupures d’énergie.

L’énergie est un bien de première nécessité. Il n’est plus acceptable en Europe que des ménages en soient privés, y compris lorsqu’ils rencontrent des difficultés à payer leur facture.

Nous devons en finir avec les coupures.

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