Par André Viola – Conseiller départemental de l’Aude, membre du Comité européen des régions
Le développement de l’économie circulaire est interdépendant de la question de l’eau, en Europe et dans le monde.
La gestion de l’eau est l’un des secteurs les plus touchés par les menaces climatiques dans l’Union européenne. En 2019, 29% du territoire de l’Union a été touché par le stress hydrique pendant au moins une saison.
Les estimations indiquent qu’en l’absence d’une allocation efficace de l’eau et de mesures politiques, d’ici 2050, la pénurie d’eau pourrait entraîner des baisses allant jusqu’à 10% du PIB dans de nombreuses régions du monde, tandis que leur mise en œuvre aurait un impact atténuant significatif.
Ce n’est pas au niveau de la consommation domestique que les économies en eau sont à chercher en priorité mais au niveau de l’industrie et de l’agriculture.
Par exemple, le cout de l’inaction pour l’industrie est cinq fois plus cher que celui des investissements nécessaires pour écarter les risques relatifs à l’eau.
«Le secteur de l’eau, lui-même, soutient non seulement le modèle social de l’UE en garantissant le bien-être de ses citoyens grâce aux services d’intérêt général (SIG), mais il contribue également de manière significative à l’économie, générant 107 milliards d’euros de valeur ajoutée et soutenant 1,7 million d’emplois dans l’ensemble du pays, environ 80 000 entreprises… » (cf. rapport d’Enrico Letta « plus qu’un marché »).
Cependant, le secteur est confronté à des obstacles importants, tels que le changement climatique, la rareté des ressources et une fragmentation prononcée qui entrave le développement et l’entretien équitables des infrastructures hydrauliques.
Il n’y a pas de développement viable de l’économie circulaire en Europe sans une Europe résiliente à l’eau.
Les pénuries d’eau contraignent de nombreuses régions à déclarer des situations d’urgence liées à la sécheresse, alimentant ainsi les tensions dans les territoires.
Ces épisodes de sécheresse, les inondations qui souvent leur succèdent, ainsi que d’autres phénomènes météorologiques extrêmes ont une incidence négative sur la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union, ce qui entrave la mise en œuvre de sa politique de cohésion et accroît le risque d’aggravation des inégalités sociales.
Les élus locaux et régionaux qui siègent au Comité européen des régions, seule institution portant la voie des Autorités locales, intermédiaires et régionales en Europe, sont des élus qui sont généralement en première ligne auprès des populations et des entreprises du territoire lorsque surviennent ces épisodes catastrophiques.
Forts d’expériences très concrètes en matière de gestion de l’avant et de l’après de ces séquences dramatiques, ils estiment que des mesures urgentes d’atténuation, d’adaptation et de résilience sont nécessaires dans tous les secteurs pour en réduire et maîtriser les incidences à court, moyen et long terme sur l’économie, l’environnement, le bien-être et la santé.
Au travers de leurs travaux, et particulièrement l’avis en préparation «Vers une gestion résiliente de l’eau pour lutter contre la crise climatique dans le cadre d’un pacte bleu pour l’Europe», ils appellent au développement systématique de processus circulaires, de la réutilisation de l’eau et d’une approche économe en eau.
Ils ne sont pas seuls à exhorter la Commission européenne à agir davantage en ce sens et à donner la priorité à l’adoption de l’initiative pour la résilience dans le domaine de l’eau et à faire de l’eau une priorité stratégique lors de son prochain mandat 2024-2029.
Toutes les parties prenantes à la constitution d’un Pacte Bleu pour l’Europe sont prêtes à se mobiliser et à unir leurs efforts.
Le Conseil n’a-t-il pas déjà reconnu l’importance stratégique d’une approche de l’Union en matière de sécurité de l’eau et de la nécessité d’une action renforcée au niveau de l’UE et à l’échelle mondiale dans le domaine de l’eau ?
Plusieurs États membres de l’Union ne sont-ils pas déjà positionnés sur une proposition de plan « REWaterEU » ?
A tout cela se rajoutent les résolutions du Parlement européen pour la COP 27 et la COP 28 qui soulignent l’importance d’instaurer des sociétés intelligentes dans le domaine de la gestion de l’eau pour atteindre les objectifs climatiques.
Enfin nous devons également saluer les travaux du Comité économique et social européen (CESE) et de l’intergroupe du Parlement européen sur l’eau concernant le pacte bleu pour l’Europe.
Ces deux Institutions plaidant sans relâche en faveur d’efforts radicaux et d’une adaptation de la gouvernance européenne de l’eau afin d’anticiper les besoins, de protéger les ressources en eau et de gérer les risques liés à l’eau au moyen d’un plan d’action.
Devant un tel alignement des parties prenantes, on ne peut que déplorer le retard pris dans l’adoption de l’initiative européenne pour la résilience dans le domaine de l’eau !
Il est également fondamental de rappeler à la Commission la nécessité de dialoguer efficacement avec les collectivités locales et régionales, les acteurs économiques et les organisations de la société civile pour ouvrir la voie à une stratégie européenne de l’eau ambitieuse et globale afin d’intégrer l’eau dans toutes les politiques de l’Union au moyen de mesures concrètes et d’un calendrier précis !
Mais qu’attendons-nous ? Il est grand temps d’avancer !
L’adoption d’une stratégie européenne pour la résilience de l’eau est d’autant plus importante qu’elle conditionne le développement d’une économie circulaire en Europe.
Pour la Chambre de commerce internationale, l’eau est un facteur clé de l’économie circulaire en ce qu’elle facilite la récupération des matières premières, améliore l’approvisionnement alimentaire, prévient la rareté de l’eau et en réduit le risque d’eutrophisation.
La Commission européenne et les États membres ont la grande responsabilité d’accélérer la transition vers des matériaux à faible consommation d’eau et vers la récupération énergétique tout au long des processus industriels afin d’instaurer des symbioses industrielles intelligentes dans les usages de l’eau.
Il est désormais vital d’adopter un principe d’utilisation rationnelle de l’eau dans l’Union parallèlement au principe d’efficacité énergétique afin de permettre une réutilisation efficace de l’eau et des économies d’eau à des fins agricoles, industrielles et domestiques.
Nous savons tous que les industries, en particulier les secteurs stratégiques des transitions écologique et numérique, ont une importante consommation hydrique et que la rareté de l’eau peut entraver la décarbonation, la croissance économique et l’autonomie stratégique de l’Union européenne.
Il en est de même pour l’avenir de l’agriculture et la sécurité alimentaire qui dépendent fortement de la disponibilité de l’eau.
Il est indispensable de renforcer les pratiques durables en matière d’eau dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) pour parvenir à une résilience à long terme, grâce à des solutions fondées sur la nature, améliorer la rétention de l’eau dans les paysages, lutter contre la pollution, se tourner vers des cultures plus économes en eau et encourager la réutilisation de l’eau.
En outre, encourager le regroupement des opérateurs de l’eau pourrait favoriser la formation d’entités plus grandes capables d’investir dans des infrastructures substantielles, abordant ainsi les disparités d’accès et de qualité dues à la nature fragmentée du secteur.
Nous demandons donc à la Commission d’adopter la législation qui permettra de construire des secteurs économiques écologiques qui utiliseront l’eau de manière rationnelle dans les domaines de l’énergie, de l’agroalimentaire, du tourisme, de l’aquaculture, de la technologie numérique et de la construction, en coopération avec les collectivités locales et régionales et les parties prenantes concernées.
Nous demandons également à la Commission de soutenir ces pratiques grâce à des investissements suffisants, consacrés à leur innovation, afin d’éliminer les effets négatifs sur les environnements naturels et le changement climatique tout en préservant la biodiversité et en stimulant une production durable basée au sein de l’Union.
C’est le meilleur moyen de garantir la compétitivité des agriculteurs et des entreprises agroalimentaires et de redynamiser les communautés rurales.
Il est également tres important de favoriser les investissements dans les infrastructures, les services et les nouvelles technologies avec l’appui des instruments de financement, tels que LIFE Europe, INTERREG, Horizon Europe, et les outils financiers de la Banque européenne d’investissement, ainsi que les Fonds structurels et d’investissement européens, actuels et futurs, et de l’instrument NextGenerationEU, y compris son instrument de suivi pour l’après- 2026.
En effet, dans de nombreuses régions de l’Union, les services d’approvisionnement en eau sont confrontés à des pertes et à des fuites dues au vieillissement des systèmes et à l’augmentation des coûts d’entretien. La mauvaise adaptation des infrastructures hydriques exacerbe cette situation.
Malgré les investissements que de nombreuses collectivités locales et régionales consacrent au développement et à la modernisation des infrastructures, les financements destinés aux investissements sur le long terme demeurent limités et requerront, dans un proche avenir, des concours importants.
Enfin, les institutions de l’Union et les États membres ont tout à gagner à donner la priorité aux solutions fondées sur la nature ; et à n’utiliser les solutions grises que lorsque les vertes ne permettent pas de garantir une fiabilité suffisante et continue des services de distribution d’eau requis.
Il conviendrait d’adopter un principe d’efficacité de l’eau dans l’UE, à côté du principe d’efficacité énergétique, afin de favoriser la réutilisation efficace de l’eau et les économies d’eau pour des fins agricoles, industrielles et domestiques.
Pourquoi l’UE et les Etats membres gagneraient à s’appuyer sur les Autorités locales, intermédiaires et régionales pour y parvenir ?
Une utilisation plus rationnelle de l’eau a un effet direct sur la consommation d’énergie et la lutte contre le changement climatique.
Une telle utilisation met en exergue l’importance d’instaurer une société intelligente dans ses usages de l’eau et implique que la Commission européenne tout comme les États membres devraient coopérer avec les collectivités locales et régionales et leur fournir le soutien nécessaire, en particulier concernant l’articulation entre l’eau, l’énergie, les denrées alimentaires et les écosystèmes
Les Autorités locales, intermédiaires et régionales assument des responsabilités essentielles en matière de gestion de l’eau, notamment en ce qui concerne la fixation des prix et la supervision des services, et elles jouent un rôle important dans la mise en œuvre des politiques environnementales.
Elles ont également la charge de renforcer l’acceptation par le public des actions en faveur du climat et de lutter contre la désinformation, et, je le rappelle, sont en première ligne face aux effets du changement climatique.
Les Autorités locales, intermédiaires et régionales œuvrent de manière active en faveur de la résilience dans le domaine de l’eau en réformant leur planification urbaine et rurale, en rénovant leurs infrastructures et espaces verts et bleus et en en construisant de nouveaux.
Elles restaurent et protégent leurs eaux et leurs sols, et mettent en place des plans de gestion des inondations et des épisodes de sécheresse.
Des initiatives telles que la Convention des maires et l’accord des villes vertes en témoignent très concrètement.
Les Autorités locales, intermédiaires et régionales mettent en œuvre des mesures tout en favorisant la collaboration avec les fournisseurs d’eau, l’industrie agroalimentaire, les entreprises, les urbanistes et les citoyens, ainsi qu’avec leurs homologues dans les bassins hydrographiques.
Elles sont parties prenantes du développement de l’économie circulaire sur les territoires.
Une prise en compte du principe de gouvernance multiniveaux dans le domaine de l’eau, mais également de l’économie circulaire, permettrait d’aider les Autorités locales, intermédiaires et régionales à élaborer des stratégies de planification et de gestion de l’eau, de garantir l’alignement entre les actions nationales et infranationales, et de renforcer la cohérence entre la gestion de l’eau et l’aménagement du territoire.
Enfin, cela permettrait de mettre en œuvre des outils d’apprentissage mutuel structuré, conduisant à une plus grande intégration des politiques aux niveaux national, régional et local.
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