Interview exclusive et analyse de Radu G. Magdin,
CEO – EU Affairs and Global Operations du think tank roumain Smartlink
Radu G. Magdin revient, dans le cadre d’un entretien accordé à Confrontations Europe, sur les différents enseignements qui émergent des surprenants résultats du premier tour de l’élection présidentielle roumaine, mettant en tête, contre toute attente, Călin Georgescu, candidat d’extrême-droite antisystème.
Radu G. Magdin : Nous avons assisté à une ascension fulgurante du candidat Georgescu au cours des deux dernières semaines de campagne. Les sondages d’opinion n’ont capté que partiellement cette dynamique, et tout cela ressemblait davantage à une révolution dans les urnes. De plus, il n’y a pas eu de sondages d’opinion dans la diaspora, où la participation électorale a dépassé celle de 2019, et où Georgescu a obtenu plus de 43 % des voix.
C. E. : Le candidat arrivant en tête, qualifié de candidat « Tik Tok », marque une rupture avec l’image d’une Roumanie pro-européenne et atlantiste. Comment expliquer ce retournement de situation : raisons historiques, politiques, économiques ?
R. G. M. : Il existe plusieurs explications possibles à ce vote. Certaines sont liées à l’impact des crises que nous avons traversées ces dernières années : la pandémie de COVID-19, la hausse des prix, la crise énergétique. D’autres prennent en compte cette grande coalition entre le PSD (Parti social-démocrate) et le PNL (Parti national-libéral), qui pourrait avoir accéléré l’opposition au gouvernement. De plus, il y a un profond mécontentement à l’égard du comportement des élites politiques, en commençant par le Président. Les candidats représentant l’extrême droite ont su aborder certaines peurs légitimes des Roumains, sans toutefois proposer de solutions réalistes. Je ne vois pas dans ce vote une remise en cause forte de notre trajectoire euro-atlantique (le soutien reste fort, même dans les sondages d’opinion), mais plutôt un signal de rejet des élites politiques traditionnelles. Il reste néanmoins préoccupant qu’un candidat ayant des idées aussi critiques à l’égard de l’UE et de l’OTAN ait remporté le premier tour des élections présidentielles.
C. E. : Si l’on revient sur les résultats par régions, comment analyser les votes du Nord et de la diaspora alors que la guerre en Ukraine face à l’invasion russe se poursuit ?
R. G. M. : Il existe une peur de la guerre parmi une partie significative de l’électorat roumain. Les candidats de l’extrême droite ont exploité cette peur à des fins électorales. Le vote en faveur de Georgescu dans le nord du pays, ainsi que dans les départements de Tulcea et de Constanța, est révélateur à cet égard. Le vote de la diaspora, quant à lui, pourrait être vu comme une nouvelle manifestation du vote anti-PSD. Là où Călin Georgescu semble avoir fait la différence, c’est dans son utilisation des réseaux sociaux.
C. E. : Si le résultat du second tour se confirme, quelles conséquences pour la Roumanie et pour l’Union européenne ? Quels seront exactement le rôle et les prérogatives de ce président ? Pourrait-il compter sur une majorité ?
R. G. M. : Tout dépend avant tout des élections législatives de dimanche et de l’ampleur du vote en faveur des forces d’extrême droite. Celles-ci ont obtenu 37 % des voix cumulées au premier tour des présidentielles. Ce serait un séisme si elles atteignaient un niveau similaire aux élections législatives. Il est très difficile de prédire comment se comporterait un président qui parle très peu de politique. Ce qui est certain, c’est qu’il adopte des attitudes critiques envers l’UE et l’OTAN. Un président comme Georgescu affaiblirait notre position au sein de ces organisations. Par exemple, le Président représente le pays au Conseil européen, où sont définies les orientations à long terme de l’Union. Nous pourrions alors nous retrouver avec un « second Viktor Orbán ».
C. E. : Pensez-vous que le retour du nationalisme et du populisme en Europe, aux États-Unis, en Amérique du Sud… soit un mouvement inexorable ou représente-t-il uniquement les prémices d’une alerte qui va engendrer le réveil de la démocratie européenne sur des bases solides ?
R. G. M. : Je pense qu’il est nécessaire que les élites politiques prennent beaucoup plus au sérieux les peurs et les préoccupations des citoyens. Les arrangements politiques qui ignorent les choix des gens conduisent à ce type de votes de protestation. Les politiciens ont l’obligation d’expliquer beaucoup mieux aux citoyens les décisions qu’ils prennent. En Roumanie, nous en sommes là principalement à cause d’un président qui a abandonné ses responsabilités, qui ne communique pas avec les Roumains, et qui fait preuve d’arrogance et de supériorité. Nous espérons, en Roumanie comme dans d’autres pays de l’UE, que ce message des citoyens sera compris.