ÉLARGISSEMENT DE L’UE – Comment repenser la politique migratoire européenne à la lumière des perspectives d’élargissement à l’Est de l’UE ?

Par Raphael Bossong, Chef adjoint de la division Recherche UE/Europe (SWP) – LA REVUE #137

Malgré la récente crise liée aux déplacements en Ukraine et les perspectives d’élargissement de l’UE à l’est, le débat en Europe sur l’asile et la migration n’a guère évolué. On peut parler là d’une occasion manquée. À moyen terme, l’élargissement ne fera qu’intensifier la nécessité d’une réforme structurelle.

Le Pacte européen sur la migration et l’asile, qui pourrait être conclu au printemps prochain, propose, entre autres mesures, un contrôle préalable obligatoire pour établir rapidement le statut à l’arrivée et une procédure plus rapide aux frontières extérieures. Cependant, les critiques font valoir que les procédures aux frontières prévues peuvent exercer une pression indue sur les pays voisins afin de réadmettre les demandeurs d’asile déboutés, y compris ceux de pays tiers. Au sein de l’UE, le Pacte propose un système extrêmement complexe de «solidarité flexible » en raison des positions nationales très divergentes, la Pologne et la Hongrie soulignant toujours leur opposition fondamentale à toute délocalisation des demandeurs d’asile. Dans l’ensemble, il est très difficile de prédire les effets opérationnels du Pacte, mais les États membres sont actuellement incapables de dépasser cet agenda politique.

La Directive sur la protection temporaire (DPT), activée en 2021 pour la première fois en réponse à la guerre d’agressionrusse, a été un succès inattendu de la gestion de crise de l’UE. Les réfugiés ukrainiens ont obtenu un statut de protection immédiate, une liberté de mouvement sans précédent et un accès rapide au marché du travail et à d’autres services. Pourtant, elle est surtout considérée comme une solution unique et non reproductible. Le prochain défi consiste à faire passer les Ukrainiens de la DPT, qui a une durée maximale de trois ans, à d’autres formes de résidence légale dans les États membres de l’UE.

Le règlement visant à faire face aux cas de force majeure, qui fait partie du Pacte, visait initialement à remplacer la DPT.Cependant, la DPT va rester en place, tandis que les États membres cherchent à réécrire le règlement visant à faire face aux cas de force majeure afin de créer plus d’espace pour les dérogations dans les procédures d’asile. Cela s’articule autour de la notion d’« instrumentalisation », qui désigne une situation où des États tiers amplifient la migration irrégulière pour faire pression sur l’UE et ses États membres. Le Bélarus a tenté de créer une telle situation en 2020, à laquelle l’UE et les États membres limitrophes ont su répondre de manière décisive. Toutefois, un nouvel instrument juridique contre l’instrumentalisation est susceptible de légitimer des restrictions à long terme et trop fréquentes au droit de demander l’asile. Dans L’ensemble, le cas de la DPT et de l’instrumentalisation soulignent que plusieurs faits nouveaux et cruciaux pour l’ensemble de la politique de l’UE en matière de migration et d’asile sont apparus à l’est.

Les implications de l’élargissement à l’est sont tout aussi profondes. Les récentes demandes de l’Ukraine et de la Moldavie,ainsi que les efforts continus des pays des Balkans occidentaux pour respecter les normes communautaires, soulignent la nécessité d’établir un système fiable de gestion et de protection des migrations. Depuis 2016, l’UE a investi massivement dans la sécurité aux frontières dans les Balkans occidentaux, avec des résultats mitigés et au prix de mauvais traitements envers des milliers de migrants irréguliers et de demandeurs d’asile. Alors que les contrôles continuent de se resserrer, les migrants et les demandeurs de protection empruntent des routes de plus en plus longues et risquées, tant dans le sud que dans l’est de l’UE.

Il est essentiel que l’UE soutienne tous les pays candidats à l’adhésion dans leurs efforts pour respecter les exigences croissantes en matière de contrôle aux frontières et pour protéger les demandeurs d’asile. Tous les nouveaux États membres souhaitent également adhérer à l’espace Schengen. L’expérience passée montre que cela ajoute aux pressions visant à dissuader les migrants irréguliers plutôt qu’à assurer leur traitement humain. On peut citer la Croatie, qui a pleinement rejoint l’espace Schengen au début de l’année, malgré des allégations sérieuses et crédibles de coups et de refoulements par ses gardes-frontières.

Le respect des normes et des lois européennes est une question cruciale. Si les États membres actuels de l’UE ont du mal à mettre en œuvre ces mesures, comment pouvons-nous espérer que les nouveaux membres s’y conforment pleinement ? Cette difficulté ne fera que prendre de l’ampleur avec le Pacte proposé. L’extension massive des procédures aux frontières en matière d’asile crée un risque sérieux de violations encore plus graves des droits fondamentaux. Les pratiques antérieures sur les îles grecques ont piégé les demandeurs d’asile dans des conditions sordides et n’ont pas permis l’accès à des procédures d’asile équitables.

À long terme, nous devons aussi regarder au-delà de la nature changeante de la migration légale. Le vieillissement rapide des populations touche tous les pays européens, mais surtout l’est. Le déplacement des Ukrainiens a probablement été la dernière injection importante de main-d’œuvre qualifiée de l’est vers l’ouest,au prix de l’aggravation des problèmes démographiques propres à l’Ukraine. À l’avenir, tous les pays de l’UE devront attirer une migration de main-d’œuvre beaucoup plus importante provenant d’Asie et d’Afrique. Tout le système politique, juridique et administratif de l’immi- gration doit être repensé, du niveau national au niveau européen.

L’UE se trouve à un tournant critique. Alors que le Pacte sur la migration et l’asile est actuellement seule option disponible pour désamorcer le débat toxique entre les États membres de l’UE sur la migration, il doit s’accompagner d’un engagement à maintenir le droit d’asile et à partager la responsabilité équitablement.Si l’UE et ses États membres continuent d’échouer dans ce domaine, l’élargissement ne fera qu’aggraver les tensions et l’érosion des droits fondamentaux. À moyen et à long termes, les changements structurels de la démographie et des besoins du marché du travail soulignent que tous les pays de l’UE et les pays candidats à l’adhésion ont besoin d’une plus grande migration légale en provenance de pays extérieurs à l’Europe. Cela devrait se refléter dans les prochains débats sur la réforme après le Pacte, éventuellement dans une réforme plus large du Traité en vue de préparer l’Union européenne à l’élargissement.

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