Anne MACEY et Clotilde WARIN
Déléguée générale et Directrice de la rédaction, Confrontations Europe
« I want my money back », cette injonction célèbre de Margaret Thatcher lors du Conseil européen fin 1979 n’est pas le propre du seul Royaume-Uni. Elle semble aujourd’hui emblématique des égoïsmes nationaux, qui ne cherchent ni à penser l’Europe dans le monde, ni à mutualiser les atouts pour décupler nos forces communes. Le « non » au référendum néerlandais sur l’accord commercial entre l’Union européenne et l’Ukraine (61 %, même si la participation était faible) envoie un nouveau signal anti-Europe dont on se serait bien passé… mais dont le cri doit être entendu.
Il témoigne d’une véritable crise de conscience en Europe, comme n’a cessé de l’affirmer avec force Philippe Herzog, président fondateur de Confrontations Europe. Nous peinons à nous projeter ensemble car nous ne comprenons pas toujours les raisons, qu’elles aient des fondements historiques, sociaux ou culturels, qui motivent les actions ou prises de parole des autres Européens. Le problème vient en partie d’un manque de connaissance, et révèle la nécessité d’un effort massif pour remédier à nos carences éducatives. Mais en partie seulement.
De fait, le principal problème ne vient pas de l’ignorance. Mais d’une distance croissante entre les dirigeants et le peuple, d’une crise profonde de la démocratie représentative. L’Europe est perçue comme un projet d’élites pour les élites, celles qui « circulent », « commercent », avec peu de considération pour les citoyens. L’amalgame est alors facile entre projet européen et mondialisation mal-aimée.
Dans un tel contexte, comment rebondir ? Pour l’heure, les dirigeants politiques nationaux choisissent le déni, voire le silence, quand ils ne stigmatisent pas l’Europe en bouc émissaire. Or, les Européens ne sont pas simplement en demande de droiture (comme en témoigne le scandale des “Panama Papers”) et de vision de long terme. Mais d’échanges aussi, de débats et d’interactions. Ils souhaitent que les décisions soient prises vite, qu’elles soient simples malgré la complexité des problèmes à résoudre, incarnées et efficaces. Ceci s’accorde mal avec le fonctionnement traditionnel des démocraties et avec des solutions qui dépassent le cadre national et exigent de se mettre d’accord entre voisins.
Chercher à faire progresser la démocratie dans un cadre qui dépasse les nations n’est pas une mince affaire. « La démocratie ne se juge pas aux seules institutions, qui existent formellement, mais à l’ampleur des possibilités réelles qu’ont de se faire entendre des voix différentes, issues des différentes composantes de la population », rappelle Amartya Sen dans L’Idée de justice.
Quel « récit européen » offrir à des citoyens alors que seuls les partis populistes sont audibles ? Il nous faut changer d’approche : reconstruire l’Europe avec les acteurs économiques, sociaux, territoriaux et les citoyens, plutôt que de la laisser être un projet porté d’en haut.
C’est d’abord à la jeunesse qu’il faut s’adresser, elle qui se sent oubliée en Europe. Il s’agit de massifier et démocratiser Erasmus (c’est l’objectif d’Erasmus+), développer l’éducation transfrontière mais aussi massivement l’Erasmus de l’apprentissage, y compris auprès des jeunes moins diplômés. L’enjeu est aussi de créer les conditions d’une prise de conscience, par tous, des défis communs, qu’il s’agisse de menaces ou d’opportunités communes auxquelles nous, Européens, sommes confrontés, pour mieux déconstruire les récits nationaux, les seuls en vogue aujourd’hui. Enfin, nos démocraties demandent à être réinventées sur un mode plus délibératif afin que les grands choix communs à prendre en Europe puissent impliquer beaucoup plus largement les acteurs et les citoyens les plus en prises avec les réalités économiques et sociales sur les territoires. L’efficacité et la légitimité de la décision européenne n’en sortiraient que renforcées.