Marie-France BAUD
Coordinatrice du bureau de Bruxelles, Confrontations Europe
Jean-Claude Juncker veut accélérer la mise en œuvre de l’Union des marchés de capitaux, une initiative phare de la Commission européenne. La sortie prochaine du Royaume-Uni, qui privera l’UE de la première place financière du vieux Continent, constitue-t-elle un obstacle ou, au contraire, une opportunité ?
Le résultat du référendum sur le Brexit a ouvert une période d’incertitude préjudiciable à l’Union, et qui durera tant que le Premier ministre, Theresa May, n’aura pas activé le désormais célèbre article 50 du Traité sur l’Union européenne. Il a déjà eu des impacts boursiers importants et a particulièrement touché les fonds de gestion britanniques qui affichent des décollectes impressionnantes, victimes du « Brexit blues ».
Les enjeux liés au secteur financier sont en effet considérables pour le Royaume-Uni comme pour l’UE. L’une des questions-clés est de savoir si le Royaume Uni continuera à bénéficier des facilités d’accès au marché unique pour les services financiers et si oui, à quelles conditions. En cause, le passeport européen, le sésame qui permet d’exercer une activité dans les 28 États membres. Le Brexit a déjà changé la donne du côté des fintechs londoniennes, ces start-up spécialisées dans les technologies financières. Une partie d’entre elles songent à traverser la Manche, craignant à la fois de ne plus bénéficier du passeport et les conséquences éventuelles de la libre circulation des travailleurs sur les jeunes talents qui devront obtenir permis de séjour et de travail.
« La City a perdu sa voix »
Un important lobbying en faveur de la préservation du passeport s’organise, outre-Manche, même si pour certains, l’« équivalence » suffira. Jusqu’à un certain point. Car dès l’entrée en vigueur du Brexit, le Royaume-Uni cessera de fait d’adopter les règles européennes dans leur intégralité. Tous les scénarios s’organisent pour maintenir l’accès au marché unique, mais il n’est qu’une certitude : la City ne continuera pas comme avant. « La City de Londres a perdu sa voix avec le Brexit », déclarait le commissaire Lord Hill au Financial Times au lendemain de sa démission.
Quelles conséquences sur l’avancée de l’Union de marché des capitaux ? Le plan d’action de l’initiative Capital Markets Union a pour ambition stratégique, à travers ses 20 mesures-clés, de repenser collectivement le fonctionnement des marchés de capitaux pour relancer le financement de l’économie en complément du canal bancaire qui continuera à jouer un rôle essentiel, bien que contraint. Elle vise à diversifier les sources de financement et la palette des instruments pour les entreprises et les projets à long terme.
À ce titre, cette initiative est liée au plan Juncker pour l’investissement en Europe dont le président de la Commission vient d’annoncer le doublement. Elle a aussi ouvert la porte à la révision du cadre réglementaire qui peut s’avérer contradictoire avec l’objectif général de financer la croissance. Ainsi, une de ses propositions est déjà opérationnelle pour réduire la charge de capital des assureurs : l’amendement apporté aux mesures d’exécution de Solvabilité II, entré en vigueur en mai de cette année, permettra d’améliorer le financement des investissements en infrastructures. Les enseignements tirés du call for evidence devraient se traduire par d’autres ajustements.
L’Europe a plus à gagner de la CMU que la City, déjà dotée d’un immense marché des services financiers. Elle doit structurer sa stratégie en identifiant les meilleures pratiques, en aidant les États membres les plus petits à organiser un marché des capitaux. Beaucoup a été fait dans la première étape : proposition de revitalisation de la titrisation, révision de la directive Prospectus, nouvelles règles pour stimuler les investissements dans le capital-risque. Mais ces propositions législatives avancent trop lentement, et les divergences nationales en termes de fiscalité, d’harmonisation du droit des faillites, de protection des investisseurs restent fortes.
Pour l’Europe à 27, l’objectif est maintenant d’activer l’intégration transfrontière, d’encourager le développement des marchés de capitaux nationaux et régionaux à l’échelle d’un continent et d’accélérer toutes les composantes pour consolider l’émergence d’un écosystème diversifié de financement de l’économie. Le temps presse car il ne faudrait pas que Londres s’engage dans une course au moins-disant réglementaire pour assurer sa compétitivité. Les places financières continentales doivent se mobiliser pour accélérer l’Europe financière et combattre la fragmentation nuisible au marché intérieur. Reste que recréer l’alchimie londonienne en termes d’infrastructures, de culture et d’environnement juridique prendra du temps.