Catherine WIHTOL DE WENDEN
politologue (CERI), Directrice de recherche au CNRS, spécialiste des questions de migrations
Comment faire face à la crise migratoire alors qu’au sein des opinions publiques en Europe, les positions nationalistes, voire de rejet de l’autre, semblent prévaloir ? N’est-il pas temps que chaque État membre accepte de prendre sa part de responsabilité notamment en accueillant sur son sol une partie de ces migrants ?
Durant cet été 2015 et, plus largement tout au long de ces derniers mois, l’Europe a été confrontée à une crise migratoire sans précédent : 625 000 demandes d’asile en 2014, selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR), 2 000 morts en Méditerranée en cette année 2015 selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) sur les 200 000 migrants ayant traversé la Méditerranée vers l’Europe. Et comment passer sous silence d’autres drames : les nombreux morts, cet été, toujours en Méditerranée ; Calais, où des demandeurs d’asile et des candidats à la migration vers le Royaume-Uni croupissent dans un no man’s land bidonvillisé depuis plusieurs années ; les 71 cadavres découverts dans un camion en Autriche, nouvelles victimes des passeurs ou encore la traversée des frontières de la Macédoine dans le plus grand dénuement de Syriens fin août. La crise de l’asile se poursuit aux portes de l’Europe : que les demandeurs d’asile viennent de Libye (ancien filtre des migrants sub-sahariens vers l’Union européenne), de Syrie (près de 6 millions de déplacés dont plus de 4 millions hors de leurs frontières), d’Irak, d’Afghanistan, où les départs se poursuivent, y compris parmi ceux qui y ont été reconduits, ou encore de la Corne de l’Afrique où la guerre civile est endémique. À cette situation d’exception, on pourrait s’attendre en Europe à une réponse d’exception.
Refus par principe des quotas
Or, la plupart des pays européens sont empreints, depuis près de 25 ans, d’une frilosité, pour ne pas dire d’un rejet, vis-à-vis des migrants : l’extrême droite progresse un peu partout en Europe et les politiques migratoires nationales sont le plus souvent soucieuses de répondre aux craintes exprimées dans les sondages et à la peur née d’un contexte de chômage. Elles ne proposent aucune démarche sur les questions d’immigration et d’asile respectueuse des Droits de l’Homme, ou répondant aux besoins du marché du travail, voire à l’enjeu du vieillissement de la population. Les propositions innovantes de la Commission européenne de mai 2015, qui avaient été jusqu’alors longtemps marquées pourtant par une dominante sécuritaire et de détermination de quotas par pays pour l’accueil des demandeurs d’asile, ont été refusées par beaucoup d’États : au nom de l’exercice de leur souveraineté, au titre d’un refus, par principe, des quotas et surtout par crainte des réactions de leurs opinions publiques. Il est grand temps, au regard des drames survenus, que l’Europe s’affirme fidèle aux principes qui l’ont construite : le respect des Droits de l’Homme, et notamment du droit d’asile (qui fait partie de l’acquis communautaire et que tous les pays de l’Union européenne devraient mettre en oeuvre), de la dignité de l’individu, de la liberté de pensée, de la sécularisation, et de l’accès aux droits. La stratégie militarisée de dissuasion et de répression consistant à faire la guerre aux immigrés et aux réfugiés s’est révélée à la fois coûteuse et inefficace. Car les déplacés sont prêts à aller jusqu’au bout, et les politiques publiques censées les en empêcher ne les effraient pas. On est très loin aujourd’hui de l’accueil fait, dans le consensus, aux Vietnamiens et aux Chiliens dans les années 1970, pourtant de tendances politiques opposées, et plus encore aux flux de réfugiés liés à l’après Seconde Guerre mondiale et ensuite à la décolonisation.
Renouer avec les valeurs de l’Europe
Petite lueur d’espoir dans ce contexte bien sombre : la toute récente déclaration d’Angela Merkel affirmant la disposition de l’Allemagne à assumer sa part dans l’accueil des réfugiés. Sa voix semble ainsi renouer avec les valeurs fondamentales de l’Europe et de l’Allemagne fédérale depuis sa création. Lentement, quelques autres pays européens semblent lui emboîter le pas, comme l’Italie ou la France. La démarche est timide car l’immigration a été si longtemps amalgamée à l’insécurité et au terrorisme qu’il leur faut opérer un virage à 180°. Des pays comme la Turquie, la Jordanie ou le Liban, pourtant peu armés pour accueillir un tel flux de personnes ont déjà ouvert leurs frontières avec pragmatisme. Les associations se sont déployées, ici et là, pour se substituer parfois aux pouvoirs publics. L’Europe est en crise et s’installe dans la peur de l’Autre. Pour en sortir, pour renouer avec ses valeurs, il est temps que se dessine un nouvel élan de solidarité.
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