Sandrino Graceffa
président de SMart, société mutuelle d’artistes, de créatifs et de travailleurs autonomes (www.smartbe.be).
L’emploi salarié classique, qui conférait à l’employé un contrat stable et indéterminé, n’est plus le modèle prédominant. Le numérique a favorisé l’émergence d’un nouveau type de travailleurs : plus indépendants, plus polyvalents, « hybrides », mais qu’il faut savoir accompagner par un vrai système de protection sociale.
Le monde du travail connaît une profonde mutation. Un élément déterminant de la centralité de l’entreprise, y compris dans ses formes coopératives, était la détention d’un outil, d’un instrument de production. C’est parce que l’on possédait la machine que l’on pouvait produire. Or aujourd’hui, l’outil de travail devient de plus en plus immatériel. Ce qui est central dans la production, dans l’entreprise contemporaine, est totalement dématérialisé et plutôt lié à la capacité créatrice, relevant de la matière grise et de la conception intellectuelle.
Le développement du numérique a des conséquences à la fois sur les modes de développement de l’activité économique et les modalités de relations et de lien social, dans la sphère privée comme dans la sphère publique. Nous sommes de plus en plus insérés dans une économie de manipulation de symboles. Et le processus est loin d’être terminé.
Des métiers appelés à disparaître
Un des effets les plus manifestes à l’ère des applications du Web 2.0, est la remise en cause d’un grand nombre d’intermédiaires dans tous les domaines. Dans le champ de l’organisation économique et du travail, il est probable que des métiers, longtemps jugés indispensables, le deviennent un peu ou beaucoup moins. De fait, le numérique favorise les relations directes entre un producteur et un consommateur. On se retrouve dès lors dans un circuit court.
On peut s’installer au sommet d’une montagne, y produire des objets très particuliers et trouver quand même partout à travers le monde un public susceptible de les acheter. Pour vivre de son savoir-faire, il faut élargir le champ de ses compétences parce qu’on ne peut pas se contenter d’être seulement producteur, on doit également devenir un peu commerçant, administratif, comptable…
Le fait d’être un producteur autonome contraint le travailleur à développer une série de compétences périphériques, même si, parallèlement, le numérique lui permet de diminuer ses besoins en la matière : nombre de tâches commerciales ou administratives peuvent en effet être automatisées grâce à des interfaces simplificatrices.
Le Web 2.0 place sur un pied d’égalité énormément de micro-producteurs. Désormais, avec les réseaux sociaux et toutes les formes de plateformes collaboratives, on se trouve en présence d’une situation inconnue auparavant, puisqu’on a affaire à quasiment autant d’émetteurs que de récepteurs. Cela crée des perspectives tout à fait nouvelles par rapport à l’évolution du travail et de la production économique.
Un des risques d’une telle évolution est la généralisation d’un régime hyperconcurrentiel et une atomisation, des travailleurs retranchés chacun dans la bulle de leur micro-entreprise.
Le dernier rapport de l’Organisation internationale du Travail, « Perspectives pour l’emploi et le social dans le monde. Tendances pour 2015 », démontre que l’emploi salarié classique avec un contrat de travail stable recule au profit des nouvelles formes d’emplois et surtout du travail indépendant. Les chiffres sont édifiants : l’emploi salarié ne représente que la moitié des emplois dans le monde et parmi ces emplois salariés seuls 45 % des personnes détiennent un poste permanent à temps plein.
Construire un nouveau modèle de rapport salarial
Les artistes et les professionnels de la création ont été aux avant-postes de cette évolution. Le modèle de l’intermittence n’est plus réservé à un type de productions spécifiques, comme celle des biens immatériels, des produits artistiques, culturels, intellectuels, mais est appelé à s’imposer dans tous les secteurs d’activité. De plus en plus de travailleurs « hybrides » (autonomes sans qu’ils s’inscrivent sous le statut d’indépendant) partagent les mêmes conditions socioprofessionnelles que les artistes et autres agents du secteur créatif.
Il importe dès lors d’œuvrer à la construction d’un nouveau modèle de rapport salarial capable de tenir compte de la réalité de ce système d’emploi flexible et occasionnel, tout en assurant une protection sociale complète.
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