Clotilde WARIN
Rédactrice en chef de la Revue, en charge des questions de migrations, Confrontations Europe
Selon le dernier Eurobaromètre, la question migratoire demeure le sujet préoccupant le plus grand nombre de citoyens en Europe. Il est aussi celui sur lequel les avancées au sein de l’UE restent les plus faibles tant les dissensions entre États membres sont fortes.
Enjeu central, la question migratoire est tout d’abord un dossier sensible qui clive, et crispe les États membres. Depuis la crise dite des réfugiés de l’été 2015, l’Union européenne a défini un agenda européen en matière de migration autour de quatre axes : combler les manques persistants de moyens touchant le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes ; améliorer les retours ; stimuler les réinstallations ; et mieux protéger les migrants le long des routes migratoires.
Dans les faits, la politique migratoire européenne est restée principalement centrée sur une approche sécuritaire et, au fil des Conseils européens, ce sont les chiffres de baisse des arrivées de migrants en Europe qui ont été mis en avant. Le choix de financer les garde-côtes libyens pose question sur le plan humanitaire, tout comme, tout récemment, la suspension des patrouilles navales de l’opération SOPHIA en mer Méditerranée qui avaient pourtant permis le sauvetage de 45 000 migrants(1)…
L’approche choisie reste juridico-institutionnelle, et devrait davantage s’appuyer sur les enjeux culturels et économiques liés aux migrations. Le Règlement de Dublin crée des situations ubuesques tels les migrants « dublinés » sans statut, en attente des mois, de voir leur demande d’asile examinée dans un État membre qui n’est pas le pays de première entrée. Il conviendrait d’adopter une démarche politique intégrant la complexité et l’hétérogénéité des situations afin de parvenir à dépasser l’objectif de la seule réduction des arrivées. Ne pas en rester aux chiffres, mais décrypter des tendances et poser la question de la mobilité de façon positive et lucide.
Enjeux d’accueil et d’intégration
Les États membres doivent aussi se saisir des enjeux d’accueil et d’intégration. Il n’est aucunement question de nier les coûts initiaux liés à l’accueil et à l’intégration des demandeurs d’asile. Après l’ouverture de ses frontières à plus de 800 000 demandeurs d’asile, l’Allemagne a mis en place une politique d’État dont le coût s’est élevé à 15 milliards d’euros. Peu d’États européens ont fait de même. Et, la question de l’asile ne peut se mettre en place sans une politique migratoire prenant en compte les « migrants économiques » et rendant ainsi possible une approche globale de la migration. Confrontations Europe s’interrogera cette année sur ces enjeux d’asile et les relations entre États membres et pays de transit et d’origine des migrants dans une logique de codéveloppement.
❱ Rechercher les voies de coopérations possibles avec les pays de première entrée afin que de rendre la répartition des demandeurs d’asile entre États membres plus équitable alors que le Règlement de Dublin a démontré son échec et, pour cela, supprimer la clause exigeant l’examen de la demande d’asile dans le pays de première entrée. Confier à une instance gérée par plusieurs États membres par le biais des coopérations renforcées des « centres d’instruction des dossiers » qui pourraient être mis en place dès l’arrivée en Europe au sein des « ports sûrs » ou dans les principales villes de l’UE accueillant les demandeurs d’asile. Accélérer la mise en place d’une Agence européenne de l’Asile offrant à la fois expertise et agents aux États membres.
❱ Garantir le fait que les projets financés dans le cadre du Fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique (EUTF), devenu le principal instrument de la politique migratoire européenne qui demeure principalement axé sur le contrôle aux frontières et la lutte contre les migrations irrégulières, intègrent des critères prenant en compte les droits humains et les mobilités circulaires.
❱ Prendre en compte les migrations comme un enjeu partagé et mettre en place un modèle européen de coopération nord-sud en matière de migration de travail et de mobilité (convention de caractère multilatéral ouverte aux pays d’origine et de transit), en vue notamment de résoudre le problème des migrants résidant en Europe et actuellement sans titre légal de séjour.
1) La vice-présidente de la Commission européenne, Federica Mogherini, l’a rappelé à la fin de la réunion des ministres des Affaires étrangères du 8 avril à Luxembourg.