Edouard SIMON
Directeur du bureau de Bruxelles, Confrontations Europe
Depuis 2016, l’Union a changé de paradigme dans le domaine de la défense. Mais comment donner corps et vie à cette Union de la défense et de la sécurité ? La nouvelle mandature devra s’atteler au projet de la défense européenne qui seul permettra d’assurer la cohérence d’ensemble.
Après des décennies de surplace, avancées en demi-teintes, vraies reculades et autres pas de côté, les enjeux de défense européenne avancent enfin. Et, qu’on se rende bien compte du chemin parcouru en si peu de temps, celui d’une mandature : au jour où Jean-Claude Juncker prenait ses fonctions (en 2014), il aurait été impudent d’évoquer l’activation de la Coopération Structurée Permanente (CSP). Or, c’est en grande pompe que celle-ci a été lancée en décembre 2017 par 25 (!) États membres. Il aurait été imprudent de ne serait-ce qu’évoquer la possibilité que le budget européen puisse financer des activités de recherche ou de développement de défense. Or, 5 ans plus tard, c’est un fonds dédié qui est en passe d’être créé, auquel est promis un budget conséquent de 13 milliards d’euros pour la prochaine période de programmation annuelle (seul montant sur lequel la Commission a engagé sa responsabilité politique). Le monde a changé, le paradigme européen en matière de défense aussi… et, au pas de charge.
Mais, ces avancées ne doivent masquer ni le chemin qui reste à parcourir ni les questions, pourtant fondamentales, qui restent à trancher. En premier lieu, la question de la cohérence d’ensemble du dispositif sera la plus urgente et le premier test, décisif, pour cette Union de la défense et de la sécurité encore en gestation. Les outils ont été créés, mais la manière dont ils fonctionneront ensemble reste encore incertaine. Or, il est essentiel que ceux-ci fonctionnent en synergie et se renforcent entre eux. Au-delà du rôle central que la Commission devra jouer, celle-ci n’est ni en capacité ni légitime pour fixer la vision d’ensemble.
Offrir une perspective commune
Car, comme souvent, des outils ont été créés au niveau européen, mais le cap reste à définir. Et, celui-ci ne peut être que celui d’une défense européenne : A quoi sert la CSP si elle n’est qu’un cadre pour des coopérations interétatiques quelles qu’elles soient (au même titre que l’OTAN, l’OCCAr(1), etc.) ? Quelle est la valeur ajoutée européenne si ces instruments ne permettent pas l’émergence de biens communs, allant au-delà du seul périmètre géographique des coopérations concernées ? Il est aujourd’hui certain que nous devons sortir de l’ambiguïté constructive, qui prévaut depuis de nombreuses années. L’Autonomie stratégique européenne, élément pourtant majeur de la Stratégie globale de l’Union « accueillie » par le Conseil européen en 2016, n’est guère définie et peine à produire pleinement des effets. Sans cap, point de salut. En particulier dans le domaine de la défense. C’est le principal atout du projet d’armée européenne, porté notamment par la France, l’Allemagne et l’Espagne : offrir une perspective commune, tracer un chemin assurant la cohérence d’ensemble.
Car, l’enjeu est désormais celui-là. Passer d’une logique de réponse à des besoins purement nationaux, si possible agrégés, à celle d’un projet politique commun répondant à des besoins communs. Autrement dit de faire advenir l’unité dans la diversité.
❱ Adopter au plus vite, pour le Parlement et le Conseil, la proposition de Règlement créant le Fonds Européen de Défense et son budget de 13 milliards d’euros afin que celui-ci puisse entrer en fonction le 1er janvier 2021. Les règles du fonds doivent notamment assurer que celui-ci permette de délivrer les capacités militaires et industrielles dont l’Europe a besoin pour devenir autonome stratégiquement et non seulement celles dont les États membres ont besoin dans leurs approches nationales.
❱ Assurer les plus hauts niveaux 1) de cohérence entre les différentes initiatives lancées par l’UE depuis 2016 et 2) d’engagement des États membres et des industriels pour atteindre l’objectif d’autonomie stratégique de l’UE. Cela passera notamment par la création au sein de la Commission d’une Direction Générale regroupant les politiques ayant un impact pour la défense et les secteurs revêtant un caractère stratégique (spatial, aéronautique, cyber).
❱ Lancer un processus de planification de défense (« Livre Blanc ») afin de permettre le développement d’une approche commune de la défense européenne en termes d’ambitions, de méthodes et de moyens. Dans ce cadre, le projet politique de création d’une armée européenne offre un horizon logique, souhaitable et crédible.
1) L’OCCAr (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement) rassemble depuis 2011 six pays : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, la Belgique et l’Espagne.