Philippe HERZOG
Président fondateur de Confrontations Europe
Le mouvement des gilets jaunes a fait surgir des réalités sociales que les dirigeants du pays ne voyaient pas et une exigence populaire de participation. Emmanuel Macron a reconnu que la révolte était juste et le débat national qui s’engage s’annonce ouvert… mais le Président ne veut pas revenir sur certaines mesures ni changer le cap de son programme. Pourtant le débat devrait aboutir à des corrections et ouvrir d’autres options.
On ne peut pas durablement défendre le pouvoir d’achat et atténuer les inégalités par la dépense sociale dans un pays qui ne crée pas assez d’emplois et de ressources disponibles. L’examen critique de la politique économique doit donc s’inviter dans le débat. Les réformes pour libéraliser le marché du travail et faciliter l’accès à la formation professionnelle et continue sont justifiées mais leurs impacts seront limités par les énormes carences de l’offre de formation. La faiblesse des investissements publics, humains et productifs et de la compétitivité de la France sont des handicaps qu’un pouvoir central prenant appui sur une hyper-administration ne pourra pas lever. Il est crucial de donner pouvoir aux collectivités et aux acteurs territoriaux pour mobiliser les porteurs de projets.
La fiscalité est dans le débat mais cette question est indissociable d’une autre, populaire, « où va l’argent ? ». Le président a préféré miser sur l’entrée des capitaux extérieurs et la confiance des plus fortunés pour financer l’économie française. Il justifie ainsi la suppression de l’impôt sur la fortune, il faudrait au contraire rendre cet impôt incitatif. D’autre part, une compression massive des dépenses administratives improductives permettrait une réallocation des ressources budgétaires, et l’abondante épargne des Français devrait être orientée vers des investissements de long terme dont les coûts et les risques seraient réduits par la mutualisation des ressources. Il est grand temps de faire rentrer la finance en société.
La question démocratique est irrépressible, il faut s’attaquer au clivage profond qui s’est creusé entre les « élites » et le « peuple ». La légitimité électorale du pouvoir est réelle mais sa représentativité sociale est faible. La suppression du monopole de l’ENA pour l’accès aux fonctions publiques dirigeantes est donc une revendication juste. L’expérimentation d’un référendum d’initiative citoyenne sera utile si elle ne s’inscrit pas dans l’exercice d’une démocratie directe conçue comme un contre-pouvoir. Coconstruire implique de s’attaquer à l’élitisme républicain dès l’école, susciter une rotation des rôles dirigeants, assurer l’accès de la société civile aux institutions…
Le rapport de la France à l’Europe ne saurait être absent du débat national et renvoyé aux joutes électorales à suivre. Emmanuel Macron a raison de prôner une « souveraineté européenne » mais nos États nations sont rivaux et non coopératifs et le grand marché est dominé par les puissances financières. Ce sont eux qui font obstacle aux politiques communes. Or, pour créer une volonté d’appartenance à l’Union, elles devraient pouvoir toucher directement les gens dans leur vie quotidienne. Des priorités absolues sont aujourd’hui négligées alors qu’elles toucheraient directement les gens dans leur vie quotidienne : l’accès à un marché européen du travail et de la formation, une éducation européenne, la rénovation de l’habitat et des transports, une division intracommunautaire du travail… Il faut impérativement faire appel aux acteurs de terrain pour qu’ils puissent multiplier les projets en coopérations transfrontières qui créeront les solidarités dont l’Union a besoin.
L’Union devra aussi se doter d’attributs de puissance publique pour être capable d’initier un nouveau régime de croissance en Europe et de devenir un véritable acteur géopolitique : un budget européen, une Union de financement, une stratégie de compétitivité industrielle. Ceci n’est possible que si on entreprend une grande transformation du capitalisme en Europe, car les inégalités de puissance entre les États européens, entre le capital et le travail, sont sources de déséquilibres fondamentaux. Des luttes sociales convergentes doivent s’emparer de ces défis. Elles doivent aussi ouvrir les portes de l’immigration dans une perspective hardie de codéveloppement.
Depuis le traité de Maastricht, les campagnes pour les élections européennes ont été conduites en surjouant un choix entre « pour ou contre l’Europe », alors que nous aspirons tous à l’Europe autrement. Sur le continent tous les peuples européens veulent massivement rester dans l’Union mais tous sont insatisfaits de sa politique. Pour la première fois essayons d’avoir un débat sur les mandats que nous voulons voir assumer demain par les dirigeants des institutions communautaires. Françaises, Français, encore un effort pour devenir Européens !