Par Anastasia Panopoulou,
Consultante dans l’administration française1
Si vous étiez fonctionnaire, accepteriez-vous une perte de salaire à hauteur de 15 % ou plus ? À tous les travailleurs, accepteriez-vous un gel des hausses de salaire jusqu’à ce que les indicateurs de l’économie, et notamment le chômage, passent à nouveau au vert ? Une baisse du SMIC et l’instauration d’un mini-SMIC jeunes ? Accepteriez-vous une hausse de la TVA à 24 %, de nouvelles taxes et prélèvements pour tous, et la revue à la baisse d’une série d’avantages fiscaux et sociaux, et ce, pour une durée indéfinie ? Ou encore une augmentation des heures de travail sans augmentation de salaire ?
Tels ont été les choix faits en Grèce au plus fort de la crise financière du pays.
Comme la Grèce, la France a vu son déficit budgétaire se creuser pendant plusieurs années consécutives. Ainsi, notre dette avoisine aujourd’hui 110 % du PIB et le déficit attendu risque d’atteindre 6 % pour 2024. Comme la Grèce par le passé, la France est en train de chercher des mesures pour contenir son déficit et réduire la dette. Les deux pays étant membres de l’UE, ils suivent les mêmes lois de gouvernance économique, qui stipulent que les pays membres doivent, en moyenne, avoir une dette maximale à hauteur de 60 % de leur PIB et un déficit annuel qui ne dépasse pas le 3 %. À défaut, des efforts pour atteindre ces objectifs doivent être entrepris par les gouvernements.
Mais les similitudes s’arrêtent là. Tout d’abord, les deux économies sont très différentes dans leur structure. L’économie française, au centre géographique de l’Europe, est très diversifiée ; cela permet notamment de mitiger les risques d’un choc dans un secteur ou une région. Concernant les dépenses publiques, elles représentaient en 2023 près de 1 600 milliards d’euros. La France dépense plus de 58 % de son PIB pour les salaires des fonctionnaires, le fonctionnement de l’administration et les prestations sociales. Elle se positionne ainsi en première place parmi les pays de l’OCDE.
Deuxièmement, avec un déficit de 5,5 % en 2022 – très loin du 15,4 % observé en Grèce en 2010 – la France doit, certes, prendre des mesures drastiques et rapides. Le service de la dette s’élève à 50 milliards par an, mais il n’y a pas de risque de défaut, malgré quelques inquiétudes des agences de notation. Sans plus tarder, mais sans se précipiter non plus, le gouvernement a la possibilité de mieux organiser sa réponse et éviter, par conséquent, les décisions hâtives décrites plus haut, qui ont coûté à la Grèce une bonne dizaine d’années de récession.
Je soutiens que les causes du dérapage sont très différentes aussi. En effet, à qualité de service constante, les dépenses du secteur public ont tendance à augmenter. Pensons par exemple à la hausse des salaires des fonctionnaires : elle ne dépend pas du service rendu mais d’autres facteurs, comme l’inflation et les décisions gouvernementales. Il en est de même pour les coûts de fonctionnement. En France, selon la Commission européenne, la performance du secteur public est au-dessus de la moyenne européenne. Les exigences des Français sont très élevées et elles sont en général prises en compte par les gouvernements dans leurs décisions de déploiement de services.
Or, il est très difficile d’augmenter la productivité dans l’administration. La dégradation constatée arrive à un moment où la hausse du coût est visible et où les recettes sont à la baisse, probablement à cause du ralentissement de l’économie.
La réponse de la Grèce, à savoir des mesures horizontales d’élimination de coûts par la baisse de salaires, la hausse significative des prélèvements et la fermeture d’organismes pour resserrer le périmètre du secteur public, quoique réussie d’un point de vue fiscal, a cependant conduit à une dégradation de la qualité de vie des citoyens et à une pénurie d’offres de service (hôpitaux, services sociaux) dont souffre encore le pays. En France, nous avons la possibilité de mieux organiser la réponse.
Cette année le gouvernement mise sur la recherche de gains rapides en matière d’économies. Les prélèvements extraordinaires et autres mesures, comme le retard de l’indexation des retraites sur l’inflation, visent à obtenir un premier redressement des finances publiques.
Mais à moyen terme, il faudra engager une réflexion sur des sujets plus difficiles : le périmètre des services publics et leur efficience, la subsidiarité, les fusions d’organismes, les économies d’échelle et les complémentarités. Des solutions qui ne ralentissent pas l’économie de la France, assurent la transition écologique juste et permettent au pays de continuer à jouer un rôle moteur dans l’UE et au-delà. Il n’y a pas de solution magique ; le pari reste difficile dans le contexte actuel de restrictions budgétaires, incertitudes géopolitiques et intensification de la concurrence.
Impossible de ne pas mentionner les règles européennes. Les sanctions financières qui sont prévues en cas de non-respect des règles du nouveau Pacte de Stabilité et de Croissance (coordination, prévention, mesures d’ajustement …) n’ont jamais été appliquées jusqu’à aujourd’hui. Dans le cas de la Grèce, de nouveaux dispositifs comme le mécanisme de stabilité ont été créés pour répondre à une crise inédite. L’UE, après beaucoup de débats il est vrai, n’a pas voulu lâcher l’un de ses membres et a soutenu la Grèce dans des moments politiquement très tendus.
Au-delà de la solidarité évidente, le signal politique qu’aurait émis l’UE en abandonnant la Grèce aurait dépassé, a-t-on jugé, les effets immédiats probablement maîtrisables d’une faillite d’un pays membre de la zone Euro. Ensuite, par une pirouette sans précédent, on a assuré la viabilité de la dette souveraine de la Grèce pour soixante ans !
Pour le moment, le Conseil se limite à des recommandations envers les États qui sont en déséquilibre. L’incertitude géopolitique qui caractérise notre région ne permet pas d’engager des mesures qui donneraient un signal négatif d’existence de problèmes entre les pays membres. Il est clair que le sujet est éminemment politique, malgré son caractère technique. Toutefois, si la France ne fait pas l’effort de redressement de ses finances, elle risque non seulement une dégradation nouvelle par les agences de notation, mais surtout de perdre sa crédibilité et son rôle moteur dans l’UE.
Le 21 septembre 2010, au Parlement d’Athènes, et alors que la crise économique et financière bat déjà son plein, le député Théodore Pangalos déclare, sceptique : « Ensemble, nous avons gaspillé l’argent ». Cette petite phrase hantera la vie politique grecque pendant des années – on en a même tiré un film ! Plus tard, Pangalos précisera : « L’expression – nous l’avons tous gaspillé ensemble – signifie qu’une grande partie d’entre nous, le peuple grec, a participé, d’une manière ou d’une autre, à des pratiques et des comportements irrationnels, au fil du temps, en matière de dépenses et de revenus de l’État.
Ce que nous appelons une “crise fiscale” est aussi notre propre création… Les citoyens, soit par leurs actions, soit par leur inaction motivée par la culpabilité, ou simplement en élisant des personnalités politiques inappropriées pour gérer les biens communs, participent de manière collective à la démocratie et ont la responsabilité de leurs choix… Bien sûr, tout le monde n’a pas la même part de responsabilité, la responsabilité va du haut vers le bas ».
Quatorze ans plus tard, le 21 septembre 2024, un nouveau gouvernement est formé en France, dans un contexte politique inédit. Comme dans le cas de la Grèce, les choix seront difficiles. Attendons-nous à un coût social et à de nouvelles surprises dans les urnes.
- Haute fonctionnaire en Grèce, Anastasia Panopoulou est actuellement consultante dans l’administration française. Elle est diplômée d’Etudes européennes du Collège d’Europe et détient un diplôme d’Administration publique de l’Institut National du Service Public. Les opinions exprimées ici sont personnelles. ↩︎