Par Alberto Toscano
Journaliste, politologue et écrivain italien
« Quand j’ai le plaisir de discuter avec Catherine Lalumière, je regrette parfois de ne pas enregistrer notre conversation, tellement ses récits et ses opinions sont intéressants, utiles et instructifs. Heureusement, certaines de ses phrases, comme celle qui suit, sont entrées dans ma mémoire sans besoin de magnétophone:
« Sur le terrain de la citoyenneté européenne nous devons faire beaucoup plus, parce que, jusqu’à aujourd’hui, nos progrès ont été lents et insuffisants ». Des mots simples pour exprimer un élément clé de son engagement éthique et politique: la nouvelle Europe ne doit pas se résoudre à un simple comité d’affaires. Elle a besoin d’un cœur: celui de ses citoyens.
L’ex-ministre de François Mitterrand, ex-secrétaire générale du Conseil de l’Europe et ex-vice-présidente du Parlement européen nous rappelle que la nouvelle Europe doit être consciente de ses racines en termes de valeurs, de convictions et même d’émotions. L’Europe, c’est nous, avec nos besoins et nos souvenirs, nos problèmes et nos désirs, nos espoirs et nos angoisses. Le cœur et l’âme de l’Europe dépendent de ses citoyens et de leurs perceptions quotidiennes.
Catherine Lalumière a tissé l’histoire à un moment précis où notre continent a changé de visage, en remplaçant les perceptions de la peur par celles de l’espoir. La peur de la « guerre froide» s’est évanouie pendant la nuit magique du 9 novembre 1989, quand un séisme européen a fait tomber un vieux mur, à Berlin. Cette année-là, on regardait vers Strasbourg et vers le Conseil de l’Europe comme vers une garantie de liberté. Une Étoile polaire.
Catherine Lalumière dirigeait une organisation internationale mal- heureusement peu connue, même dans l’Hexagone, où son siège a toujours été situé. Fondé en 1949 (dans le but de favoriser la protection des droits de l’Homme et le renforcement de la démocratie), le Conseil de l’Europe était limité en 1989 à l’Ouest du Vieux continent.
Le 6 juillet 1989, la rencontre, à Strasbourg, entre Catherine Lalumière et le leader soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, a été un révélateur des changements en cours. « Le premier personnage important que j’ai reçu dans mes nouvelles fonctions de secrétaire générale du Conseil de l’Europe a été Mikhaïl Gorbatchev, un homme qui a garanti la paix sur le sol de notre continent à une époque où la situation aurait pu dégénérer comme on l’avait déjà vu dans le passé. Ça a été une espérance gigantesque », dit Catherine Lalumière. Elle nous rappelle l’actualité des mots utilisés à cette occasion par M.Gorbatchev, pour qui nous avions la tâche de « bâtir notre maison commune européenne ». En cet été 1989, le Mur de Berlin n’était pas encore tombé, mais certaines personnes étaient déjà en train de préparer l’avenir. « J’avais une ligne de conduite: notre rôle au Conseil de l’Europe était de tendre la main de comprendre et d’aider », dit Catherine Lalumière en rappelant ces jours.
En exerçant ses fonctions à la tête du Conseil de l’Europe, elle a eu des relations étroites avec les personnalités qui ont incarné les aspirations démocratiques des pays de la vieille sphère d’influence de Moscou. Ce fût le cas du polonais Bronislaw Geremek, et du Tchèque, Vaclav Havel. En 2008, en tant que Présidente de la Maison de l’Europe de Paris et du jury du Prix de l’initiative européenne, Catherine Lalumière a invité son ami polonais, qui avait été entre temps, ministre des Affaires étrangères dans son pays, à débattre avec Edgar Morin sur le sens du projet européen. Cette conversation – animée par Catherine Lalumière le 26 juin 2008 à la Maison de l’Europe – a été l’une des toutes dernières interventions publiques de B.Geremek, décédé quelques jours plus tard. Le passionnant débat Geremek-Morin sur le sens de l’intégration communautaire n’est qu’une des innombrables initiatives que Catherine Lalumière a imaginé, organisé et animé pendant la très longue et très fertile période qu’elle a passée à la Présidence de la Maison de l’Europe de Paris et de la Fédération Française des Maisons de l’Europe. Une période qui se poursuit dans son nouveau rôle, à la tête de la présidence du Prix de l’Initiative européenne, prix qui bénéficie du soutien du Parlement européen, dont Catherine Lalumière a fait partie pendant deux législatures, de 1994 à 2004, et dont elle a été vice-présidente de 2001 à 2004. En exerçant tou- tes ses différentes fonctions, Catherine Lalumière n’a jamais renoncé à exprimer ses opinions, ni ses cri- tiques. Elle n’a jamais la langue dans sa poche quand les choses en Europe ne marchent pas comme elles devraient. Mais elle tient toujours à préciser qu’il y a une différence fondamentale entre les critiques, même très dures, et l’attitude systématiquement négative de ceux qui veulent seulement profiter des difficultés pour essayer de briser les réalisations du passé et les rêves de l’avenir. Nous souhaitons que le sien soit radieux et riche de nouveaux projets, pour elle et pour l’Europe. »