Organisé en partenariat entre le think-tank Confrontations Europe, François Kalfon, député européen et le Groupe des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D), le colloque « Nouvelle guerre froide, guerre commerciale : quel avenir pour l’Europe ? » ayant eu lieu le 27 mai 2025 au Sénat, a réuni experts, décideurs publics et représentants du monde économique autour de trois tables rondes consacrées aux grands défis contemporains de l’Union européenne.
Les échanges ont porté sur la recherche d’un équilibre entre transition écologique, à travers le Pacte vert européen, et maintien de la compétitivité industrielle dans un contexte économique mondial instable. Ils ont également permis d’analyser les tensions géoéconomiques actuelles et d’explorer les voies possibles vers une autonomie stratégique, industrielle et commerciale renforcée de l’UE. Enfin, les discussions ont abordé les nouveaux enjeux de défense, la lutte contre les ingérences étrangères, ainsi que l’importance d’investir dans la recherche au service de la sécurité européenne.
Introduction par Michel Derdevet, Président de Confrontations Europe
Le colloque a été ouvert par Michel Derdevet, Président de Confrontations Europe, qui a rappelé le sens de cette initiative conjointe : proposer un temps d’échange et de réflexion sur l’avenir de l’Europe face aux défis actuels. Citant Jacques Delors « C’est en partageant nos souverainetés nationales que nous pouvons mieux protéger nos intérêts communs », Michel Derdevet a souligné que l’Europe traverse aujourd’hui un moment critique, marqué par une accumulation de crises systémiques et interdépendantes : la guerre en Ukraine, les tensions persistantes au Proche-Orient, ainsi qu’un basculement des rapports de force mondiaux, illustré par les conséquences de la nouvelle présidence de Donald Trump. À cela s’ajoute une dépendance énergétique toujours élevée et une fragmentation industrielle préoccupante : aucune entreprise européenne ne figure aujourd’hui parmi les dix premières mondiales du secteur.
Ces constats ont conduit à structurer le colloque autour de trois grands enjeux. D’abord, la décarbonation, avec l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 inscrit dans le Pacte vert, qui suppose un effort massif d’investissement et une articulation fine entre transition écologique, compétitivité industrielle et acceptabilité sociale. Ensuite, les tensions commerciales, marquées par un retour brutal du protectionnisme – comme en témoignent les menaces de droits de douane de 50 % des États-Unis – et la nécessité pour l’Europe de protéger ses intérêts sans renier ses alliances. Enfin, la fragmentation des industries de défense, qui limite notre capacité stratégique, dans un contexte de désengagement américain. Michel Derdevet a également cité Mario Draghi : « l’Europe est aujourd’hui la région du monde la plus exposée aux bouleversements géopolitiques. Si elle ne se transforme pas, elle sera transformée par les autres ». Il a conclu en appelant à identifier les leviers d’action pour que l’Europe, en conjuguant solidarité, innovation et vision à long terme, redevienne un acteur central dans l’équilibre mondial, avant de passer la parole au grand témoin de la session, l’ancien Commissaire européen Nicolas Schmit.
Grand témoin : Nicolas Schmit, ancien Commissaire européen à l’Emploi et aux Droits sociaux
Nicolas Schmit a ouvert son intervention en insistant sur l’importance de réfléchir collectivement aux solutions permettant à l’Europe et à ses citoyens de sortir des crises actuelles avec le moins de dommages possibles.
Il a dressé un constat lucide et préoccupé de la situation mondiale et européenne. Depuis une quinzaine d’années, l’Europe subit une mondialisation largement dérégulée, marquée par des politiques libérales et illibérales qui ont sapé les fondements économiques et sociaux de nombreux pays. Selon lui, nous sommes loin de l’idée « idyllique » de la fin de l’Histoire ; c’est plutôt le « retour du tragique » dans l’Histoire, comme l’évoquait Raymond Aron.
La crise financière de 2008 a frôlé une catastrophe comparable à celle de 1929, laissant l’Europe profondément fragilisée. La crise du Covid a démontré les limites du marché comme seule réponse aux défis collectifs, en mettant en lumière l’importance vitale des investissements dans les services publics et les politiques sociales. La guerre en Ukraine a balayé l’illusion d’une paix garantie sur le continent, soulignant que, ni la paix, ni la sécurité ne sont acquises. Les « dividendes de la paix » engrangés ces dernières décennies s’avèrent largement illusoires.
Il a également alerté sur l’impact du « choc Trump », qui dépasse les frontières américaines en sapant l’ordre multilatéral. Vladimir Poutine, a-t-il affirmé, cherche à détruire l’ordre international post-Seconde Guerre mondiale, avec la complicité indirecte du président américain. Face à ces bouleversements, l’Europe est confrontée à une question quasi existentielle : saura-t-elle préserver son modèle démocratique et social, tout en se réaffirmant comme puissance ?
Nicolas Schmit a rappelé les enjeux économiques à la lumière du rapport Draghi sur la compétitivité, qui insiste sur le retard européen dans les domaines stratégiques comme l’intelligence artificielle. Un réveil semble en cours, mais des freins subsistent, notamment liés à une perception de surrèglementation. Il a toutefois tenu à souligner que la précédente Commission n’a pas empêché l’émergence de l’innovation, malgré les critiques sur l’excès de normes.
Il a regretté que l’Europe ait trop longtemps méprisé le concept de politique industrielle, alors même que les États-Unis ne fonctionnent qu’avec cela. Le marché intérieur, centré sur le consommateur, a oublié qu’il s’insérait dans une économie mondiale féroce et compétitive. D’où la nécessité de repenser nos approches et de réduire les dépendances critiques.
Concernant le Green Deal, Nicolas Schmit a rappelé qu’il s’agit du projet phare de la précédente Commission et que sa mise en œuvre doit se poursuivre. Gagner en souveraineté signifie aussi se libérer des énergies fossiles et donc investir massivement dans les énergies renouvelables et la décarbonation. Il a néanmoins mis en garde contre une approche trop descendante : une transition réussie ne se fera qu’avec l’engagement de toutes les parties prenantes, y compris les entreprises et les syndicats.
La politique sociale européenne, longtemps reléguée au second plan, est essentielle. Il a estimé que la crise de l’Union est également une crise sociale. Il ne faut pas faire de la compétitivité l’unique boussole. Des avancées notables ont été réalisées, comme la directive sur le salaire minimum, le droit à la formation tout au long de la vie ou encore, l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
Mais sans un projet européen porteur de justice sociale, l’UE risque de perdre sa légitimité démocratique. Dans un monde dominé par les logiques de puissance, l’Europe doit devenir une puissance économique, technologique, militaire, mais aussi sociale.
Il a plaidé pour une véritable souveraineté européenne, adossée à des actes, des ressources et une politique commune claire. Le principe de subsidiarité doit être utilisé à bon escient. Si l’Europe repose sur un marché concurrentiel, il est désormais indispensable d’y injecter une nouvelle logique de puissance.
En matière commerciale, il ne faut plus se reposer uniquement sur le commerce extérieur, mais activer nos propres moteurs de croissance, en achevant enfin l’union du marché intérieur. Les relations commerciales doivent être redéfinies selon des critères sociaux et environnementaux, y compris l’application effective des clauses miroir. Il a insisté sur la nécessité de nouveaux partenariats stratégiques avec le Sud, notamment l’Afrique, partenaire naturel de l’Europe.
Il a dénoncé l’achat massif d’armements aux États-Unis, qu’il a jugé économiquement irrationnel. Il a rappelé que les traités européens contiennent une clause de défense collective plus robuste que celle de l’OTAN.
Enfin, il a plaidé pour une adaptation de la gouvernance européenne, en contournant les blocages liés à l’unanimité, qui freinent l’intégration. « Ceux qui ne veulent pas avancer ne doivent pas empêcher les autres de le faire. » L’Europe doit se donner les moyens de son ambition.
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