Compte rendu de la conférence du 10 octobre 2023 – Vers un transport routier neutre en carbone en 2050

Le 10 octobre, Confrontations Europe organisait une conférence à la Fondation Universitaire à Bruxelles intitulée « Vers un transport routier neutre en carbone en 2050 : Quelles perspectives pour une accélération des mobilités électriques en Europe ?», autour de : 

  • Dario Dubolino, Chargé des politiques transport innovant et durable, DG Move 
  • Michel Derdevet, Président de Confrontations Europe 
  • Jacques Galvani, Directeur général d’Atlante France 
  • Lucie Mattera, Secrétaire générale de ChargeUp Europe 
  • Tu-Tho Thai, Manager projets et partenariats chez ITxPT 

Introduction  

Cette conférence fut l’occasion d’échanger sur les transports routiers, un secteur qui, aujourd’hui, représente 23% des émissions de gaz à effet de serre/GES dans l’UE. Le calendrier de réduction des GES est extrêmement tendu. L’idée globale de cette réduction générale fait plutôt consensus, mais les discours divergent quant à ce que cela implique en termes d’implémentation dans l’industrie européenne, de coût pour les usagers, de dimension sociale. Il perdure un débat d’idées, d’analyses, que nous souhaitons sain et raisonné, et qu’il convient d’organiser et de faire connaître grâce aux différents experts issus du monde politique, industriel et régulatoire. 

Il faudrait, pour s’en tenir à une réduction de 55% des GES, par rapport aux niveaux de 1990, installer chaque semaine 14000 points de recharge publiques en Europe, contre un rythme actuel de 2000. Il subsiste encore un problème de passage à l’échelle entre attentes et réalisations

Dans tous les scénarii étudiés, aucun n’atteint la neutralité climatique en 2050 sans une réduction des émissions des transports (routiers, maritime, fluvial, aviation) de 90% au moins. Ce sont donc de véritables révolutions dans les modes de transports auxquelles nous devons nous attendre, mais aussi une révolution de l’efficacité du système global. Cela passe par des solutions multimodales, plus de transport public, plus de modes de transport durable. Chaque mode de transport doit contribuer à la réduction des émissions.  

À cet égard, il est nécessaire d’accélérer le remplacement des véhicules actuels, à combustion interne, par des véhicules sans émission (véhicules électriques à batterie, ou hydrogènes).

Caractéristiques importantes et données clés 

Pour ce qui est du transport ferroviaire, il est déjà largement électrifié. Nous devons seulement s’assurer que l’électricité que nous utilisons soit une électricité décarbonée.  

Pour ce qui est du maritime, du fluvial et de l’aviation, nous n’avons pas, à ce jour, de solution à 0 émission. Elles devraient voir le jour à horizon 2030 pour le maritime, 2035 pour l’aviation. Considérant le temps nécessaire à la maturation d’une technologie avant de l’appliquer à une industrie, et à la consommation finale, les flottes maritimes et aériennes, d’ici 2050, fonctionneront encore avec la technologie actuelle. La solution repose donc, au moins provisoirement, sur les carburants et pas sur le type de motorisation. Le potentiel de production des biocarburants, des e-fuels (les carburants de synthèse) est limité. Il faut donc prioriser l’emploi de ces carburants dans les transports où il n’y a pas d’autres alternatives et délaisser ces solutions pour le transport routier.  

La commission européenne essaye d’accélérer la transition grâce aux règlements sur les émissions de CO2 des véhicules légers, visant un objectif d’une réduction de 100% des émissions d’ici 2035 pour les nouvelles voitures.  

Le phénomène d’accélération de la mobilité électrique est déjà perceptible et irréversible. Chaque année, en France, la part des véhicules électriques dans les nouvelles immatriculations connait une hausse de 5%, et représente maintenant 20% des voitures vendues. 

En termes d’infrastructure, le règlement AFIR fixe, pour la première fois, des objectifs contraignants pour les infrastructures. Objectifs fondés sur la flotte et une puissance installée minimale. Désormais, pour les véhicules légers et d’ici 2025, des points de recharge seront situés au moins tous les 60 km sur les axes principaux, dans les aires de stationnements et les nœuds urbains. La même règle s’appliquera, d’ici 2030, pour les poids lourds. C’est donc un maillage conséquent du territoire à mettre en place, mais aussi une réelle montée en gamme avec des bornes de recharge rapides. En moyenne les bornes de recharge ultra rapides, au-dessus de 150 kilowatts de charge, vont permettre de recharger un véhicule en 30 minutes. Le maximum de puissance délivré est tributaire du véhicule lui-même, qui, bien souvent, n’est pas capable de monter aux 150 kilowatts fournis par le chargeur. 5 ou 6 systèmes de charge rapides représentent facilement la consommation électrique d’une petite agglomération. 

Le vrai challenge repose sur le fait d’avoir un système de smart charging basé sur des véhicules qui se rechargent la nuit pendant les heures creuses. Plus difficile à mettre en place, et plus coûteux, les infrastructures de recharge rapides et ultras rapides basées sur des réseaux électriques de haut voltage, nécessitant des investissements.  

Enjeux et tendances  

Du point de vue de l’opérateur, trois éléments de tendance sont à noter ; ainsi que quatre éléments plus sous-jacents, peut-être plus déterminants dans les évolutions futures. 

  • L’hétérogénéité : En Europe, sur la question de la mobilité électrique et des réseaux de systèmes de charge, nous n’avons pas une situation uniforme. La situation est différente entre les pays du nord, où la voiture électrique est déjà très présente, et les pays du sud pour lesquels la révolution est plus récente. Une des conditions clef du développement d’un système de charge est d’avoir de la puissance de réseau, or, les réseaux ne sont pas du tout de la même qualité dans les différents pays. Non seulement le réseau électrique est de qualité variable, mais l’organisation n’est pas la même.  

En France il existe deux opérateurs centraux, RTE, pour la très haute tension, et Enedis pour la moyenne et basse tension. En Espagne, un éclatement assez impressionnant est observable, une dizaine d’acteurs régionaux gèrent les systèmes de connexion en réseau. C’est donc extrêmement pénalisant pour la cohérence de la gestion du réseau. Dans ce pays, essayer de connecter une nouvelle centrale solaire ou éolienne, ou une station de charge électrique, entraine une attente d’un an en moyenne, 3 en Pologne, alors que quelques semaines sont nécessaires en France. La multiplicité des acteurs entraîne une lourdeur générale.  

  • Les ressources financières : le matériel d’un point de charge de véhicule électrique coûte 25 000euros, 50 000 en rajoutant les travaux d’aménagement. C’est donc 100 000 pour une borne avec deux points de charge. En France, nous avons actuellement 100 000 bornes de charge dont 6000 seulement sont des bornes de charge rapide. D’ici 3 ou 4 ans l’objectif est de 400 000, avec au moins 100 000 en bornes de charge rapide. C’est donc plus de 5 milliards d’euros d’investissement, uniquement pour la France et dans un scénario bas. Ces investissements reposent pour l’instant essentiellement sur des acteurs privés, avec des taux de retours plutôt bons. Le réel souci pour les acteurs du secteur est en termes de compétence humaines. Il est très difficile pour eux d’avoir le nombre suffisant de personnes pour suivre toutes ces évolutions, les former et réaliser ces transitions. Actuellement, deux secteurs primordiaux traversent des transformations capitales, l’énergie et la mobilité. Cela demande un effort considérable de formation et de mobilisation de ressources humaines. 
  • La structuration : Les acteurs privés sont les acteurs majeurs de cette transformation. Devant un marché en plein boom, énormément d’acteurs se bousculent. Tout d’abord, les historiques, les grands groupes de l’énergie, avec des ressources financières considérables et qui voient dans cette filière une manière de se racheter une image plus verte. Ces acteurs rachètent à tour de bras, sans prêter attention à la pertinence de leurs achats, créant une pyramide fragile.  

Il y aussi les acteurs historiques de la mobilité, qui tentent de survivre en prenant le virage de la transition.  

Enfin, des startups, des acteurs indépendants avec leurs technologies déjà développées…  

Cette multiplicité des acteurs finira par se tasser mais avec quels laissés-pour-compte ?   

Pour que le réseau ait une cohérence, qui ne soit pas décidé par des emplacements où les flux sont les plus prometteurs, et donc rentables, il faudra que les pouvoir publics régulent et incitent. 

Les problèmes sous-jacents : 

  • Changement de paradigme : Nous sommes devant une réelle transformation sociétale, la mobilité change totalement. La façon de conduire est différente, on n’alimente plus nos véhicules de la même manière. Nous passons, ces dernières années, d’un public de passionnés, attirés par l’électrique, à une généralisation globale de son utilisation. C’est une transformation totale et très rapide, il faut donc faire de la pédagogie.  
  • Décentralisation de l’énergie : Depuis 15/20 ans un mouvement de fond se produit. Nous avions des systèmes énergétiques centralisés, avec des centres de production centralisés et des consommateurs passifs d’énergie. Avec la multiplication des centrales solaires et éoliennes, les centres de production sont de plus en plus décentralisés et les consommateurs deviennent aussi producteurs. Le véhicule électrique pousse encore plus loin cette transformation de consommateur passif à consommateur actif (capable de recharger n’importe où, n’importe quand) et producteur, notamment grâce au V2G 1. On mêle donc désormais les lieux de consommation et de production/stockage, rendant soutenable le réseau, l’optimisant, rendant possible un réseau basé en grande partie sur de l’intermittent. La technologie simple, ancienne, qu’est la batterie, est désormais massifié.   
  • L’aspect psychologique : Non pas au niveau de l’utilisateur, mais au niveau global. Il existe de vrais blocages quant à ce changement de paradigme, un conservatisme, une résistance au changement qui conditionne le 4ème aspect.  
  • La politique industrielle : La mutation phénoménale que nous avons, en tant que sociétés, à réaliser va de la production des véhicules, aux batteries en passant par le stockage ou encore l’aspect digital… Il faut une prise de conscience réelle de ces transformations et ne pas scléroser le système afin de l’harmoniser et l’accompagner 

Objectifs et points d’améliorations 

Plusieurs textes réglementaires se penchent sur ces enjeux. AFIR, pour le réseau public, et EPBD pour le réseau privé. La réforme du marché de l’électricité en cours se penche elle sur la question des connexions.  

En 2022, en Europe, la flotte totale de véhicule électriques se situait à 5 millions de voitures (2% de la flotte totale). En 2030, ce sera autour de 55 millions (22% de la flotte totale) d’après les prévisions.  

Du côté des camions, le démarrage est plus lent. À la fin de cette année 2023 nous serons à 11000 camions sur les routes européennes. À la fin de la décennie, ce chiffre se situera autour du demi-million, représentant 8% de la flotte totale. Cette dynamique s’enclenchera, débutera, par les camions qui font de courts trajets, ceux qui font les livraisons en ville… petit à petit ce type de véhicule se démocratisera pour les longs trajets.  

Concernant les points de recharge, entre 2015 et 2022, dans l’UE, nous sommes en moyenne à +39% de croissance annuelle ; 61% entre 2020 et 2022. La capacité de recharge publique installée devrait être multipliée par neuf au cours des huit prochaines années, mais avec une multiplication par dix, la croissance des véhicules électriques est plus forte. Alors qu’en 2022, 351 VE se partagent 1 MW de capacité de charge installée, 381 VE se partageront 1 MW de capacité de charge publique d’ici 2030. 

La plupart des opérations de recharge ont lieu, et de loin, dans le cadre privé. Le parc total d’infrastructures de recharge dans les 27 pays de l’UE passera à près de 35 millions de points de recharge d’ici à 2030. La recharge résidentielle continuera à représenter la majorité de l’infrastructure de recharge disponible (79 %), suivie par la recharge sur le lieu de travail (15 %). Le nombre de points de recharge publics en courant alternatif fera plus que quadrupler. Toutefois, leur part diminuera de 8 % à 4 % d’ici à 2030. La recharge rapide augmentera considérablement pour atteindre environ 500 000 points de charge d’ici à 2030, mais cela ne représentera que 1,4 % du marché global. Aujourd’hui, la demande annuelle d’électricité des véhicules électriques dans l’UE s’élève à 14 TWh, soit environ 0,49 % de la demande globale. Cette part se situera à 4 % de la demande annuelle d’ici 2030, pour atteindre 142 TWh. Cette demande globale sera maîtrisée par une gestion de la charge, les mécanismes de réponse à la demande et la charge en fonction de l’heure d’utilisation, qui contribuent tous à la bonne santé du réseau. 

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, il convient de mieux harmoniser et représenter les transports. Qu’est-ce qu’un transport multimodal et une mobilité intelligente ? En 2008, c’était déjà une question que la DG move imposait.  

Tout ce qui a été investi par la DG move dans la transformation numérique de la mobilité des transports publics, de la mobilité partagée, doit servir à la mobilité privée. Mais que peut faire la révolution numérique pour l’usager du VE ? Le standard développé par le CEN (Comité Européen de Normalisation) permet de savoir où sont les arrêts des transports en commun et les minutages de ces différents transports. C’est aussi ce standard qui a été utilisé en 2008 pour représenter de manière numérique l’ensemble des points de charge d’un réseau. Cette cartographie a été faite pour le bus et le tram mais il n’est pas difficile de l’intégrer dans un autre standard européen, NETEX. Ce standard est déjà utilisé par la plupart des applications de mobilité qu’on utilise au quotidien. L’intégration des points de charge dans ces cartes mis en place par des opérateurs comme Atlante et soutenus par des fédérations comme ChargeUp Europe, serait une grande plus-value pour l’usager.  

Il faut une gestion harmonisée, standardisée de la télématique, des points de charge, des rotations de véhicules. Toutes ces solutions sont déjà construites, existantes, il faut désormais les étendre au fret, aux véhicules particuliers, aux autocars qui font des longues distances. 

La deuxième leçon que les transports publics nous ont enseignée réside dans la façon d’organiser la filière : comment faire pour que les constructeurs de véhicules, de batteries et l’ensemble des personnes responsables des composants d’intégration électronique dans les véhicules, discutent ensemble. Une multimodalité réelle reste à mettre en place. Une personne se retrouvant dans un nœud bien desservi, doit utiliser son véhicule électrique seulement pour ce qui est essentiel, ne remplaçant pas la pertinence de l’utilisation d’un vélo ou d’un bus. C’est avec ces plans de mobilité durables et soutenables, avec l’appui de la DG move, que l’on peut décider de plans de mobilité urbaine, où l’ensemble des acteurs doit se réunir autour de la table et discutent de ce qu’il reste à harmoniser.  

Au niveau des standards et des permis, du fait que nous soyons dans une situation avec une industrie encore jeune, la situation est encore confuse. Cela entraîne des problèmes d’interopérabilité, résultats prévisibles de technologies qui ne fonctionnent pas bien entre elles, et une expérience négative pour l’usager. 

Des standards obligatoires pour les bornes de recharge ont été mis en place. La commission a un rôle crucial à jouer sur le financement des projets tels que le CEF (Connecting Europe Facility) où les opérateurs installent des stations sur des corridors définis par la commission, ce qui est extrêmement incitatif. C’est important qu’il y ait toujours des accompagnements qui soient faits tant que le secteur n’est pas suffisamment développé et solide.  

Deux pistes à poursuivre pour la commission : 

  • L’expérience utilisateur : « Plug and charge ». Il faudrait pouvoir brancher la prise sur le véhicule sans avoir besoin d’utiliser une carte. Techniquement, la technologie est au point, mais les fabricants ne sont pas au même niveau de développement et n’ont pas la volonté de mettre en place ce type de standard. La commission pourrait prendre des initiatives et réglementer 
  • Structuration du marché autour du système de référencement des stations : Actuellement nous sommes dans la jungle du capitalisme, avec beaucoup d’acteurs. L’utilisateur n’est pas assuré d’avoir tout l’information dont il pourrait disposer, une carte sûre disposant de toute les offres des opérateurs disponibles. Il ne faut plus une application par opérateur mais bien un système intégré avec un processus de référencement plus simple et plus transparent.   

Ce concept technique repose sur l’idée d’utiliser les batteries des voitures électriques en stationnement dans les deux sens et avec souplesse pour absorber et stocker l’électricité produite en excès sur le réseau et constituer une réserve d’électricité pour alimenter le grand réseau ou un réseau domestique en cas de besoin. 

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