Compte-rendu « Changement climatique : quelles passerelles entre l’Europe et les territoires ? »

Organisée le 22 mai dernier, alors que les élections européennes se profilaient, la table-ronde a réuni trois intervenants : Michel Derdevet, président de Confrontations Europe et de la Maison de l’Europe de Paris ; Jean-Marc Ogier, président de l’Université de La Rochelle et de l’alliance européenne EU-Conexus, et Gérard Blanchard, Vice-président de la Communauté d’Agglomération de La Rochelle en charge du Projet La Rochelle Territoire Zéro Carbone et du développement durable, professeur des universités et élu régional, en charge de la recherche, de l’innovation et de l’enseignement supérieur. 

La modératrice, Alexiane Terrochaire – Barbançon, membre élu du Bureau des Jeunes Européens Fédéralistes – Europe et travaillant dans l’enseignement supérieur, rédactrice de ce compte-rendu, revient sur trois grands moments.

La transition verte est définie par l’Union européenne comme la réaction nécessaire au changement climatique et à la dégradation de l’environnement concomitante. Les institutions européennes ont voté un Pacte vert pour l’Europe en 2019, ayant pour but de « transformer l’UE en économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive » (Conseil Européen, 2021).

Le sujet du changement climatique a déjà été largement commenté par de nombreux chercheurs, politiques, acteurs de la société civile et citoyens. Il laisse entrevoir la puissance normative de l’Union européenne, décriée négativement, mais vectrice – rappelons-le – de nombreuses victoires. Ses réductions d’émissions de carbone sont constatées chaque année ; elle dispose d’un marché d’échange de carbone innovant, tandis que sa politique énergétique, bien que largement critiquée, permet à chaque citoyen européen de bénéficier d’énergie en quantité suffisante chaque saison. 

Pour garantir ces succès collectifs, cette table-ronde revient à une précondition majeure : le dialogue entre l’échelon décisionnel européen et les territoires, lieu d’application concrète du Pacte vert. Les intervenants ont accepté de s’interroger sur une manière originale de faire dialoguer tous les échelons décisionnels, comme l’échelle locale, nationale et européenne, pour autant s’adapter que lutter contre le changement climatique, en apportant un exemple concret, celui de la ville de La Rochelle (Charente-Maritime). 

  1. L’articulation entre changement climatique et Union européenne, sous trois prismes professionnels complémentaires : 

Michel Derdevet explique que Confrontations Europe observe l’actualité et propose des solutions innovantes aux défis à relever collectivement, tout en favorisant la pluralité des opinions politiques et la diversité des regards des experts, français ou européens. Il s’appuie notamment sur les perspectives européennes ayant éclairé ses principaux travaux, autour du marché de l’énergie français et de la politique énergétique européenne.  Afin d’illustrer sa contribution dans ces derniers domaines dans le cadre de la table-ronde, il a notamment cité un rapport, remis au Président F. Hollande en 2015. Il avait pour objectif de formuler des préconisations pour rendre la politique énergétique plus efficace et plus coordonnée à 28 Etats-membres. Le constat était ferme et tranché : la politique européenne n’avait aucun pilotage, entraînant une désindustrialisation du continent et entravant le développement des énergies renouvelables à grande échelle. La préconisation principale est bel et bien d’inciter les Etats européens à investir dans les réseaux électriques.

La question de l’énergie est au cœur du projet territorial coordonné par Gérard Blanchard, deuxième intervenant de cette table ronde. Nommé La Rochelle Territoire Zéro Carbone (LRTZC), il a remporté un appel à projet PIA 3, et fait partie des « territoires d’innovation ». Le territoire littoral expérimente des solutions réplicables ailleurs en France et en Europe, pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2040, notamment grâce au carbone bleu (puits de carbone des zones humides). Doté de financements couvrant 70 projets de différentes envergures déployés dans l’agglomération rochelaise, ce projet permet de formuler des apports techniques (comme les technologies testées), juridiques et démocratiques (participation des citoyens au projet). Gérard Blanchard coordonne donc un projet s’inscrivant dans le cadre réglementaire européen du Pacte vert, et travaille directement sur un projet européen financé par le plan de relance France 2030. A ce titre, il rappelle que l’Union européenne finance véritablement ses ambitions climatiques grâce à la disponibilité de fonds, notamment FEDER, FSE+ dédiés aux régions, en supplément.

Jean-Marc Ogier, président de l’Université de La Rochelle, a rappelé le rôle de formation d’une université, et le devoir de développer l’esprit critique des jeunes, et leur capacité d’adaptation. Il est également président de l’alliance européenne EU-CONEXUS, réunissant neuf universités présentes sur les littoraux. Les alliances européennes ont fait suite au premier discours de la Sorbonne du Président de la République Emmanuel Macron en 2017. Composée de huit à neuf pays, l’ambition est de notamment mutualiser leurs forces pour inventer l’université du futur en créant des cours interdisciplinaires, en mutualisant les bonnes pratiques pédagogiques. Le thème commun d’EU-Conexus est le Littoral Urbain Durable Intelligent (LUDI). Elle illustre le dialogue européen universitaire permettant une intense circulation d’idées entre les différentes communautés, grâce à des financements européens importants. L’alliance, par le décloisonnement des matières enseignées, est la clé pour que les futures générations trouvent les solutions innovantes d’adaptation et de lutte contre le changement climatique selon Jean-Marc Ogier.  

  1. Territorialiser les politiques de lutte et d’adaptation au changement climatique pour en favoriser leur plus grande acceptabilité et appropriation par les citoyens

Pour Gérard Blanchard, les citoyens français sont d’accord pour lutter contre le changement climatique, pour continuer à pouvoir vivre sur Terre. Or, les injonctions politiques de réduire la consommation et l’accroissement des tarifs énergétiques importants créent des situations de refus des normes imposant une décroissance des émissions de carbone à marche forcée, surtout si cela implique une réduction du pouvoir d’achat des ménages. 

Michel Derdevet abonde et indique que la politique énergétique française, liée au marché européen de l’énergie est très critiquée politiquement, notamment par les extrêmes décriant un manque de souveraineté nationale à ce sujet. Pourtant, l’énergie est la clé d’une adaptation au changement climatique, notamment en maîtrisant la production d’énergies dites vertes ou nucléaire. Il ajoute que la France s’efforce de concilier production et consommation de l’énergie nécessaire à nos activités actuelles, tout en protégeant l’environnement. Pour atteindre cet objectif, elle prône la diversification du mix énergétique européen, permettant d’éviter les dépendances envers les pays, qui leur confèrent un avantage géostratégique majeur. La France s’efforce ainsi de partager ses recherches en matière de nucléaire, pour rendre la proposition d’augmenter la part du nucléaire dans le mix énergétique européen plus acceptable. La France expérimente donc des projets de recherche pour développer les SMR, ou pour trouver des moyens de recycler les déchets nucléaires. Le sujet du marché de l’énergie amène également à la question de la ré-industrialisation des territoires, au développement de la formation et oriente les choix européens en matière de politiques d’emploi. La France met un point d’honneur à dialoguer avec d’autres pays européens, pour s’inspirer mutuellement des bonnes pratiques dans ces domaines. 

« Le cadre européen réglementant l’énergie se doit d’être compréhensible », affirme Gérard Blanchard. Sa démarche d’élu local est donc de territorialiser ces cadres, c’est-à-dire de les adapter au territoire, aux attentes des habitants, et par le dialogue avec ces derniers, imaginer des politiques locales acceptables. Territorialiser le cadre national et européen réglementaire est l’essence-même du projet La Rochelle Territoire Zéro Carbone. C’est une volonté d’opérationnaliser le plan climat air-énergie territoire français. Mené par la municipalité, le projet a été précédé d’une consultation avec de nombreuses parties prenantes, y compris les citoyens, se sentant donc acteurs dans ce projet. Le projet finance 70 expérimentations, pour éduquer les plus jeunes habitants de La Rochelle, sensibiliser tous les habitants aux bons gestes quotidiens pour réduire la consommation d’électricité et d’eau au quotidien, et aménager de manière innovante et moins consommatrice d’énergie le territoire. Fait marquant, la municipalité dialogue avec tous les acteurs du territoire, citoyens, administrations, élus départementaux et régionaux, universitaires, jeunes, société civile, pour mettre en place un projet concret d’adaptation et de lutte contre le changement climatique. 

Jean-Marc Ogier rappelle que c’est également au cœur de la démarche de l’Université de La Rochelle, et de l’Alliance européenne. Pour EU-CONEXUS, le concept de « Littoral Urbain Durable Intelligent » (ou SmUCS en anglais : Smart Urban Coastal Sustainability) allie l’éducation, la recherche, l’innovation et le partage des connaissances. L’objectif est ainsi de mieux comprendre et résoudre les défis auxquels font face les communautés des zones côtières urbaines et semi-urbaines (affectant cours d’eau, mers et océans). LUDI permet d’aborder la façon dont les sociétés et les environnements côtiers urbains s’adaptent au changement climatique, et à la pression humaine sur les côtes. Jean-Marc Ogier met en avant que LRTZC et l’Université développent des thèses et des chaires communes. C’est donc un exemple parfait de l’articulation entre science et pouvoir public. En octobre 2023, 6 doctorantes et doctorants ont démarré une thèse dans le cadre du projet. 12 jeunes chercheurs explorent actuellement les thématiques de participation citoyenne et de carbone bleu. Les recherches produites dans ce cadre-là ont pour objectif d’informer les citoyens, d’alimenter le débat sur la notion de carbone bleu, et la transition écologique de l’agglomération de La Rochelle. 

Jean-Marc Ogier souligne que pour territorialiser les politiques nationales, la formation des élus s’avère nécessaire. L’Université travaille notamment avec l’ANEL, l’Association nationale des élus du littoral. Le programme ENABLES, forme les élus à l’interdisciplinarité pour consolider leurs connaissances scientifiques des littoraux, par exemple, et leur permettre d’être force de propositions, basées sur un esprit critique rigoureux. L’université propose donc aux élus locaux une formation basée sur la recherche et alimentée en partie par les expérimentations et découvertes scientifiques de l’alliance européenne.  

Pour conclure, les intervenants s’accordent à dire que la territorialisation permet également de favoriser l’acceptabilité des citoyens des politiques européennes ou nationales, tout en constituant une étape de co-construction de projets locaux cruciale. La territorialisation revient finalement à un des grands points forts du projet européen, à savoir l’application du principe de subsidiarité. Inclus dans les traités, ce principe implique que l’action publique soit exercée par l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action. En l’espèce, les territoires sont considérés comme l’échelon le plus pertinent pour conduire des actions innovantes et expérimentales aux fins d’identifier des solutions. Il permet également de reconnaître les forces principales de l’Union européenne, à savoir, celles stratégique et économique, permettant de financer à hauteur de 200 milliards d’euros les infrastructures industrielles et de production d’énergie. Quel Etat membre peut en faire autant, seul, sans l’appui du programme de relance européen France 2030 ? En somme, la territorialisation permet de rendre explicable les décisions nationales et européennes. Les porte-paroles de cette territorialisation sont autant les élus locaux, que les think tanks comme Confrontations Europe, car le débat suscité permet d’esquisser plusieurs pistes de solutions et en mesurer les avantages, comme les inconvénients, et le potentiel de l’acceptabilité.

  1. Favoriser le dialogue citoyen pour les associer au changement, à la recherche de solutions innovantes à l’échelle d’un territoire, pays et continent, en stimulant leur citoyenneté européenne 

Gérard Blanchard a indiqué l’importance d’associer les citoyens aux projets soutenus par LRTZC. L’enjeu global est avant tout, surtout dans le contexte des élections européennes, de défendre l’existence même des accords de Paris et du Pacte vert. Cela passe notamment par la pédagogie politique et la lutte contre les fausses informations. 

Michel Derdevet et Jean-Marc Ogier ont – quant à eux – mis l’accent sur l’importance de la participation citoyenne au débat public. Michel Derdevet a notamment rappelé un des rôles fondamentaux des think tanks, à savoir, contribuer à la stimulation du débat avec des informations de qualité, pour notamment lutter contre la propagation des fake news. Afin de véritablement impliquer les citoyens dans le débat public, Confrontations Europe cherche notamment à proposer des textes analysant les conditions d’une transition écologique socialement juste et acceptable, en s’inspirant de regards citoyens et d’experts européens. La Commission européenne a notamment mis en place un mécanisme pour financer l’élaboration de leurs plans territoriaux. Finalement, l’objectif des acteurs sensibilisés à l’importance de l’Union européenne, et connaissant tous les impacts qu’elle produit, est de déconstruire l’image d’une entité qui ne produit que des normes. L’exemple est la disponibilité de financements, en volumes importants, pour accompagner les universités, les pouvoirs publics nationaux et locaux, et les acteurs de la société civile impliqués dans la transition écologique, porteurs d’actions innovantes, voire d’expérimentations locales. 

En conclusion, cet échange a permis d’identifier cinq passerelles complémentaires. 

La première concerne la circulation de constats objectifs, précis et clairs, en matière d’impacts du changement climatique entre professionnels, citoyens, pouvoirs publics locaux, français et européens. Par exemple, la recherche et la formation peuvent tout autant éclairer les élus, que ceux-ci, partager le quotidien des administrés et proposer leur retour d’expérience pour guider la conception de politique publique répondant aux problèmes posés par le changement climatique. 

Ainsi, la seconde passerelle est incarnée par le nécessaire, et parfois insuffisant, dialogue que l’échelon national et européen ont avec le local, fruit du processus réfléchi et conscient de territorialiser un cadre réglementation national, pour l’appliquer aux spécificités d’un territoire. LRTZC est un projet avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone, en associant universitaires, étudiants, experts, pouvoirs publics locaux et nationaux, pour appliquer le plan Air climat énergie, les engagements pris dans l’Accord de Paris et le pacte vert. 

La troisième passerelle est celle de l’expérimentation. Les territoires expérimentent des solutions conçues grâce à des cadres nationaux et européens, et font remonter à ces derniers les résultats des projets pilotes. LRTZC finance 70 projets innovants, expérimentaux ou confirmés : ce sont 70 façons d’obtenir des données, de tester des technologies, et donc, d’influencer les futures politiques européennes et nationales ! 

La quatrième passerelle est celle rendant matériellement et opérationnellement possible les expérimentations : les financements. A cet effet, les fonds européens sont nombreux, comme le FEDER, FSE, Horizons Europe, Erasmus+. 

Enfin, la dernière passerelle consiste en la dissémination des résultats de projets de recherche, comme les thèses ou chaires partagées entre LRTZC et l’Université, des expérimentations locales, à transmettre aux pouvoirs publics français et européens. C’est illustré par le rôle des alliances universitaires, partageant leurs bonnes pratiques permises par les alliances européennes, ou par l’importance de l’implication des populations de chaque territoire. 

« Le pacte vert pour l’Europe vise à rendre l’Europe neutre pour le climat d’ici à 2050, à stimuler l’économie grâce aux technologies vertes, à créer une industrie et des transports durables et à réduire la pollution. Il s’agit de transformer les défis climatiques et environnementaux en chances à saisir pour rendre la transition juste et inclusive pour tous. » (Commission Européenne, 2021).   

Croatie, Irlande, Espagne, Danemark, Lituanie, Roumanie, Grèce, Chypre et France.  

« Le Plan climat-air-énergie territorial (PCAET) est un outil de planification territoriale, issu de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) de 2015. Il vise à définir et coordonner des actions au niveau local pour lutter contre le changement climatique et adapter nos territoires à ses effets. » (Agir pour la transition écologique)  

Principe de subsidiarité : « Dans les domaines qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’Union, le principe de subsidiarité entend protéger la capacité de décision et d’action des États membres, et il légitime l’intervention de l’Union si les objectifs d’une action ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres, mais peuvent mieux l’être au niveau de l’Union, « en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée » (Parlement Européen)  

CR-La-Rochelle

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