Compte-rendu de la conférence : « 20 ans de chaos devant nous : sommes-nous prêts ? » par Michel Yakovleff

L’Union des Consuls Honoraires en France (UCHF) et Confrontations Europe ont organisé une conférence le 19 juin dernier durant laquelle le Général Michel Yakovleff s’est penché sur le thème des guerres actuelles et des changements de paradigmes qu’elles impliquent pour les relations internationales. 

Cette intervention s’inscrit dans un contexte d’urgence provoqué par les conflits contemporains. Le Général Yakovleff souhaite rappeler l’importance des guerres actuelles pour pouvoir commencer à réagir en conséquence et ainsi mieux appréhender l’avenir. Selon lui, nous quittons une certaine forme d’ordre pour nous diriger vers 20 ans de chaos dans les relations internationales. 

La « mort » du système international hérité de 1945 

Pour le Général Yakovleff les structures comme l’ONU, l’Union européenne ou l’OSCE, donnant l’impression d’une gouvernance mondiale, sont basées sur une théorie de droit international : l’égalité de droits entre les nations. Pour autant, les nations ne sont, en réalité, par sur le pied d’égalité entre elles. En effet la France n’est pas aussi puissante que les États-Unis, bien que le droit international les place au même niveau.

S’il existait des privilèges pour les grandes nations au sein de ces organisations dès leur création, tels que des sièges permanents au conseil de sécurité de l’ONU, ils ne servaient que de condition pour leur participation au fonctionnement de ces institutions. La gouvernance mondiale était alors fragile et reposait sur le jeu de moyen de pression entre États. 

Le Général explique que les pays occidentaux sont, dans une certaine mesure, biaisés. En effet, pour eux, l’ordre international repose uniquement sur cette théorie de l’égalité des nations en droits. Mentionnant l’exposé d’un chercheur membre de l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou (MGIMO), il montre qu’à l’inverse en Russie, l’idée dominante est celle de la hiérarchisation des Etats. Les Russes ne sont pas les seuls à partager cette théorie, qui remet en question l’ordre international actuel. D’autres pays frustrés dans l’état actuel des choses la partagent. 

« Le bal des frustrés »

Cette métaphore, utilisée par le Général Yakovleff, permet d’identifier les acteurs insatisfaits de la situation internationale actuelle et souhaitant la faire évoluer en leur faveur. La Russie se place dans cette liste, visant davantage une hiérarchie entre les États, tout comme la Chine qui possède une vision similaire. La différence réside seulement dans le fait que la Chine se considère comme le centre de toute action internationale. 

Les Pays « frustrés » peuvent aussi désigner des États occidentaux. Le Général aborde à ce titre, la question des États-Unis qui éprouvent également une défiance vis-à-vis de l’ordre international actuel. L’égalité des États en droit est la base du système démocratique américain s’appliquant entre les États fédérés américains. Pour autant, ne la partageant pas pleinement, un rapprochement est fait avec la crise de la démocratie que connaissent les États-Unis et la montée du trumpisme. Le charcutage électoral aux États-Unis pose un vrai problème démocratique. En choisissant stratégiquement les circonscriptions, une même majorité d’homme politique reste accrochée au pouvoir. La justice américaine est aussi un problème car une asymétrie existe entre les procureurs et les accusés poussant la plupart des accusés à plaider coupables. En plus d’appliquer par défaut le concept d’égalité au niveau du droit international, les États-Unis l’appliquent aussi selon leur bon vouloir. Ils n’ont, par exemple, pas ratifié la convention sur le droit de la mer, mais considèrent tout de même que les autres États doivent y être soumis. 

Les États-Unis, au même titre que la Russie, la Chine, l’Iran, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et le Rwanda, font donc partie de ces États « frustrés ». Ces derniers considèrent communément que la gouvernance mondiale est vide de sens et qu’elle ne s’applique pas. L’absence de principe les transcendant aura pour conséquence un retour de la force comme seul moyen de limitation entre les États. 

Que faire face à ces transformations de l’ordre international ? 

Le Général Yakovleff aborde, par la suite, le sujet de la guerre en Ukraine et celle du Moyen-Orient. Il appelle à se rendre compte qu’il ne s’agit pas seulement d’une guerre mais d’une « déconstruction » de notre tentative de gouvernance. Déplorant l’appel de E. Macron à une « économie de guerre », il rappelle que parmi les entreprises spécialisées dans la défense, toutes n’ont pas la taille de Thales, MBDA ou Airbus. La plupart ne peuvent, en effet, pas augmenter leur capacité de production à cause de financements limités. En France, les investissements dans la défense chez les grands groupes financiers privés n’existent pas. Par exemple, en 2021, une levée de fond dédiée à la défense avait réuni 450 millions d’euros provenant uniquement de l’Etat.

Un autre problème face à la gestion des conflits se trouve dans la réglementation européenne. L’UE souhaite, par exemple, interdire tout usage du mercure. Or le fulminate de mercure sert aux détonations, créant ainsi un conflit entre cette réglementation et la Défense qui reste dépendante de ce matériau et doit donc chercher un substitut. Exemple parmi d’autres (en plus du transport de chars français et du retard de l’industrie du drone), il prouve qu’il y a un décalage entre les interventions politiques loquaces et la réglementation restrictive datant d’un « monde d’avant ». 

En conclusion, le Général souhaite réinterroger notre modèle sociétal et pense que nous avons trop évité la question d’un retour à la conscription. Déjà présente en Suède, dans les pays Baltes et dans le contexte de la guerre d’invasion en Ukraine, il en va de peut-être revenir à ce système en France. Bien que la guerre en Ukraine ne soit pas un conflit éternel, s’y préparer devient déterminant car nous entrons dans une nouvelle ère de potentiel « 20 ans de chaos ». Le Général Yakovleff termine alors son intervention avec cet adage : « Si tu ne t’intéresses pas à la guerre, alors la guerre s’intéressera à toi ».

CR-UCHF-General

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