Comment repenser le marché intérieur de l’électricité ?

Synthèse des échanges de la conférence du 5 avril 2023, organisée par Confrontations Europe en partenariat avec la Commission de régulation de l’énergie.

Autour de :

  • Emmanuelle Wargon, Présidente, CRE ;
  • Michel Derdevet, Président, Confrontations Europe ;
  • Mathilde Lallemand-Dupuy, Responsable de politiques au sein de l’unité en charge du marché intérieur de l’énergie, DG ENER ;
  • Yvan Hachez, Markets and Investment Committee Chair, Eurelectric ;
  • Valentine Lassalas, Vice-chair of the advocacy committee, SolarPower Europe;
  • Claude Desama, Ancien Député européen, rapporteur pour la première directive sur le marché de l’électricité

Cette conférence a été l’occasion d’échanger sur la proposition de réforme du marché de l’électricité soumise par la Commission européenne le 14 mars 2023. Les participants, ont pu expliquer leurs recommandations ainsi que leur positionnement vis-à-vis des mécanismes développés dans la proposition de la Commission.

En outre, cet événement a été l’occasion pour la Commission de régulation de l’énergie, par la voix de sa présidente Emmanuelle Wargon, d’exposer l’important travail de réflexion entamé par le régulateur français en amont de cette consultation.

1. Diagnostic partagé sur la réforme proposée par la Commission européenne

Introduisant cette table ronde et les raisons ayant conduit la Commission à se pencher sur le sujet d’une réforme du marché de l’électricité, les panélistes ont évoqué le cadre de crise dans lequel l’idée de cette réforme est apparue.

Ils ont ainsi d’abord souligné que l’augmentation drastique des prix de l’électricité lors de l’hiver 2022/2023 était d’abord due à une “crise physique”, c’est à dire à un choc d’offre sur le marché du gaz. L’arrêt soudain des importations de gaz russe en Europe a ainsi privé le marché européen de 40% de ses approvisionnements gaziers, dont une part significative est utilisée pour la production d’électricité dans les Etats membres. Cette disruption des approvisionnements sur le marché de l’électricité s’est aussi accompagnée d’une production d’énergie nucléaire au plus bas depuis 30 ans en 2022 selon le rapport annuel de RTE, avec une diminution de près de 10% de la consommation d’électricité issue du nucléaire cette année-là par rapport à 2021, soit 62,7% du mix électrique français. Ce faisant, la France, moins dépendante envers le gaz s’est elle aussi vu contrainte de s’approvisionner sur les marchés extérieurs, accroissant ainsi la pression sur les prix de l’électricité.

À l’occasion de cette discussion, plusieurs convergences sont apparues entre les différents panélistes s’agissant des propositions formulées par la Commission dans le cadre de cette réforme.

Tout d’abord, ceux-ci se sont accordés sur le fait que la solution souvent évoqué d’un découplage du marché européen de l’électricité de celui du gaz ne constituait pas une solution véritable contre la volatilité des prix du marché de l’électricité. Ainsi, c’est davantage entre le marché de gros et le marché de détail, lorsque se forme le prix de détail, que se créé cette distorsion qui a tant impacté les consommateurs en 2022. En outre, le problème de la volatilité se situe également dans la différence entre les marchés de court terme et de long terme, le marché de gros de court terme ayant tendance à influencer négativement le marché de gros de long terme et par conséquent le marché de détail.

Les panélistes ont également salué la diversité d’outils mis à disposition par la Commission dans le cadre de cette réforme en vue d’accompagner le déploiement des énergies renouvelables et décarbonées dans le cadre du Pacte vert européen. Il a notamment été mis en avant le recours plus fréquent à des contrats de gré à gré pour les technologies ayant atteint leur phase de maturité et de dispositifs soutenus par la puissance publique à l’image des contrats pour différence s’agissant de l’introduction de technologies encore en phase de maturation.

2. Premier pilier de la réforme : La protection des consommateurs

Le premier grand pilier de la réforme de la Commission est d’assurer une plus grande protection des consommateurs européens. Deux volets rassemblent différents types de mesures allant dans ce sens :

  • Le premier vise à offrir une plus grande diversité dans les offres, via notamment des contrats à prix stable. Une extension des tarifs réglementés de vente est également contenue dans le projet de réforme, y compris en-dessous des coûts subis en périodes de crise.
  • Le second volet se focalise quant à lui sur les fournisseurs vis-à-vis desquels l’enjeu est d’obliger ceux-ci à se couvrir face aux risques de choc d’offre en contrepartie d’un marché de long terme plus liquide

Les effets positifs de ces dispositions ont néanmoins été tempérés par certains panélistes, notamment s’agissant des contrats fixes qui peuvent poser problème dans certains pays où il n’existe pas de possibilité de résiliation, réduisant de fait la capacité de manœuvre des producteurs en période de crise

3. Le second pilier de la réforme : La question de la stabilisation des coûts de l’énergie

Le second enjeu central contenu dans cette réforme du marché de l’électricité vise à stabiliser les coûts de l’énergie, soumis à une forte volatilité ces dernières années. Ce second volet de la réforme implique plusieurs dispositions clefs :

  • Le développement des contrats de gré à gré (power purchase agreements);
  • Le développement des contrats bilatéraux, notamment avec les producteurs d’énergie renouvelable et d’énergie bas carbone ;
  • Obligation des Etats membres à faciliter ces contrats et donner les outils afin de lever les obstacles à ces contrats, notamment le risque de crédit pesant sur les acheteurs ;
  • Mise en place de contrats pour différences (CfD) pour certains types de technologies (éolien, photovoltaïque, nucléaire, hydraulique sans réservoir) afin de redistribuer les revenus excessifs aux consommateurs et garantir un prix minimum
  • Mise en place de marchés forwards afin permettre aux fournisseurs de se couvrir sur des échéances plus longues
  • Création de prix de référence régionaux en vue de créer des “pools de liquidités” entre plusieurs zones de marché

Dans le cadre de l’annonce de ces dispositions, il a également été souligné par les panélistes que ces dispositions ne s’apparentent pas à des aides d’Etats en ce que la vocation des CfDs est davantage de soutenir la diversification et l’innovation dans la transition énergétique, tandis que les PPAs plus utilisés visent à stabiliser les prix de l’énergie et donner une plus grande visibilité aux investissements dans les infrastructures.

Plusieurs recommandations ont dans ce cadre été formulés par certains participants. Ainsi, en vue de résorber le marché de long terme déficient, plusieurs outils permettant des contractualisations à long-terme ont été proposés :

  • Mise en place de “teneurs de marchés” : acteur veillant à ce que l’échange d’électricité entre acheteurs et vendeurs soit constant et efficient
  • Proposition d’une contractualisation sur les interconnexions au-delà de trois ans afin de sécuriser les investissements nécessaires pour améliorer ces dernières

Concernant le marché de gros de court terme, l’inclusion d’un “merit order” dans le fonctionnement de celui-ci a notamment été discuté. Le développement des interconnexions et des règles favorisant les échanges transfrontaliers a en outre été souligné comme un levier de stabilisation.

4. Propositions complémentaires

En complément des perspectives dressées par la proposition de la Commission, plusieurs autres propositions ont été émises par les participants à cette table-ronde.

La première de ces suggestions entend assurer le fonctionnement du système “pour le marché” et non plus nécessairement “par le marché”. Ce système, développé dans un article publié par Claude Desama et Jacques Percebois dans la revue de l’énergie en 2020 se baserait sur le modèle de l’appel d’offre. Ces appels d’offres seraient mis en œuvre via la mise en concurrence de différents producteurs, permettant ainsi de bénéficier d’une capacité de production suffisante tout en faisant évoluer les prix à la baisse. Cet outil devrait en outre permettre de donner un signal de long terme aux producteurs afin de les inciter à investir plus significativement dans les infrastructures.

Cette approche, initialement prévue dans le cadre de la première directive sur le marché de l’énergie devait se déployer sous la forme du concept “d’acheteur unique”, permettant ce faisant d’agréger la demande et d’offrir aux consommateurs un poids plus conséquent pour négocier leurs contrats avec les producteurs sur le marché de détail.

Une seconde proposition clef formulée dans le cadre de cette table-ronde vise à établir un mécanisme de rémunération sur base d’actifs régulés, en complément des PPAs et des CfDs. Ce système de rémunération sur base d’actifs régulés a pour but de lier les producteurs à un régulateur qui définirait les prix de vente de détail en fonction des coûts intermédiaires. Ce système a notamment été réfléchi par la CRE s’agissant du parc nucléaire français pour lequel les arrêts temporaires des réacteurs rendent difficile une rémunération continue des producteurs sans recourir à ce type de mécanisme d’encadrement des prix.

La dernière proposition développée par les panélistes entend soulever la question de la planification énergétique en parallèle des logiques stricts de marché. Il convient ainsi, face aux perspectives plus court-termistes des producteurs, de renforcer la capacité décisionnelle de la puissance publique, au-delà de son simple rôle de guichet de financement pour les investissements dans la transition énergétique. Cette question de la planification est tout particulièrement pertinente en ce qu’il s’agit des mécanismes des interconnexions afin d’éviter que les investissements dans ces dernières soient orientés dans l’intérêt égoïste des Etats. Une telle coordination à l’échelle européenne permettrait ainsi de rationaliser les investissements tout en favorisant une approche intégrée qui donnerait à la grille européenne une plus forte robustesse face aux crises.


rapport de RTE

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