Comment réaliser une transition juste et durable du système énergétique européen ?

Le 04 octobre 2023, Confrontations Europe organisait, dans le cadre de l’étude qu’elle a produit conjointement avec le cabinet de conseil CVA, une conférence à la fondation universitaire de Bruxelles s’interrogeant sur les moyens de transition justes et durables du système énergétique européen.

Le panel était composé de :

  • Michel Derdevet, Président de Confrontations Europe
  • Bernd Kuepker, Policy Officer Decarbonisation and Sustainability of Energy Sources, DG ENER
  • Piotr Kus, Secrétaire général, ENTSOG
  • Ben Lennon, Conseiller développement durable, énergie et changement climatique, ETUC
  • Dominique Ristori, Conseiller en Energie et ancien Directeur Général de la DG ENER
  • Claire Waysand, Directrice générale adjointe et secrétaire générale du groupe ENGIE

Les discussions se sont établies sur la base d’une étude réalisée conjointement par Confrontations Europe et le cabinet de conseil en stratégie CVA, traitant des bénéfices possibles d’un système énergétique basé sur les complémentarités des types d’énergie.

1/ INTRODUCTION

Pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, les politiques européennes reposent sur deux principaux leviers : la baisse des consommations énergétiques et une forte électrification des usages dans tous les secteurs. Le plan RePowerEU, même s’il confirme la nécessité d’un accroissement massif de toutes les énergies renouvelables, molécules comme électrons, réaffirme la volonté d’accélération de l’électrification des usages en remplacement des combustibles fossiles, pour la production de chaleur dans l’industrie, les bâtiments et le transport.

Pour l’ensemble de ces politiques publiques, l’optimisation du système énergétique, les risques économiques et sociaux liés à l’augmentation du prix des énergies, les questions d’emploi et de transition professionnelle, la minimisation des risques opérationnels, la vérification de la résilience du système ou encore les impacts environnementaux des choix opérés ne sont pas ou peu abordés. Choisir un mix énergétique pour l’Europe nécessite pourtant l’établissement d’un bilan de l’ensemble des impacts, en particulier sociaux, bilan indispensable pour que la transition demeure choisie, désirable et parvienne à son objectif.

Cette étude originale, à la maille de l’Union européenne, compare les mérites de deux scénarios de mix énergétique proposés par l’association des transporteurs énergétiques européens (scénarios du TYNDP 2022 rédigés par ENTSOE et ENTSOG). Le premier scenario propose une électrification poussée des usages (scénario « DE »), le second mise plus fortement sur la complémentarité des énergies, de l’électron et des molécules (scénario « GA »).

Sur la base de ces différents scénarios, confrontés à leurs expériences et analyses, les membres du panel ont discutés des éléments essentiels que sous-entend la transition écologique.

2/ LES BÉNÉFICES DES COMPLÉMENTARITÉS ÉNERGÉTIQUES DANS LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE EUROPÉENNE

Mme. Claire Waysand : “Nous n’y arriverons pas sans une alliance de l’électron et de la molécule”

Les bénéfices des complémentarités énergétiques sont de plusieurs ordres et illustrent, sur la base de l’étude produite, en quoi le scénario GA paraît plus à même de répondre aux défis de la transition énergétique.

Tout d’abord, il apparaît essentiel d’appréhender la question de la faisabilité de la transition comme limitée par les contraintes actuelles du mix énergétique européen.

Pour rappel, l’Europe s’est fixée comme objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Même si le plan RepowerEU met l’accent sur le développement massif des énergies renouvelables pour répondre aux besoins des populations européennes, les capacités productives de ces sources d’énergie ne devraient cependant pas être disponibles en quantité suffisante face à l’étendue de la demande dans un future proche.

De là, et quand bien même les peuples européens réalisent des efforts conséquents de sobriété, une transition sans utilisation du gaz semble impossible. Certains secteurs de l’industrie, désignés comme “hard to abate” ne peuvent en effet répondre aux besoins en énergie nécessaires à la réalisation de leurs activités sans créer une pression trop important sur le réseau électrique.

De plus, l‘étude montre que la performance économique d’un système énergétique qui mise sur la complémentarité entre électrons et molécules renouvelables et fait appel aux gaz décarbonés réduit le coût de l’énergie pour tous les utilisateurs finaux : pour l’ensemble des clients, il existe un intérêt économique au scénario le plus diversifié. Tous secteurs confondus, le surcoût sur la facture énergétique d’un scenario électrique a été évalué à +16% par MWh d’énergie consommée, là où un scenario de complémentarité permet de diviser par deux cette augmentation, la ramenant à +7% sur la facture énergétique annuelle moyenne.

En effet, la soutenabilité économique de la transition énergétique apparaît comme un facteur déterminant dans la mise en œuvre de nos objectifs environnementaux. Les efforts de décarbonation rejaillissent nécessairement sur les consommateurs et posent le problème de l‘accessibilité à l‘énergie, à la fois comme élément de nos modes de vie, mais aussi comme donnée de la compétitivité de nos entreprises.

Enfin, Il a été souligné que l‘utilisation des biogaz dans le mix énergétique contribue à optimiser à plusieurs égards le système énergétique européen dans son ensemble. Outre l‘économie que suppose la réutilisation d‘actifs existants, développer un système énergétique qui repose sur des vecteurs d‘énergie stockables à long terme permet de disposer d‘un système plus résilient.

3/ UN SCENARIO D’ÉLECTRIFICATION INTENSE : UN DÉFI INDUSTRIEL SOURCE DE RISQUES SUPPLÉMENTAIRES

M. Dominique Ristori “En matière d’énergie comme ailleurs, il apparait risqué de mettre tous les œufs dans le même panier “

a transition énergétique constitue un défi industriel que l’Europe doit relever. Cependant, le besoin d’investissement colossal dans un scenario d’électrification intensive génère des risques supplémentaires.

Il semble en effet essentiel, pour l’ensemble des panelistes, de ne pas commettre l’écueil de sous-estimer les investissements dans la production d’électricité, mais aussi dans le réseau de transport et de distribution. Le virage apparaît certainement trop difficile à négocier, en ce que nous sortons de trois décennies de sous-investissements en la matière.

Cette problématique se pose en termes équivalents pour l’ensemble des moyens de production d’énergie bas carbone (nucléaire, énergies renouvelables et hydrogène).

De plus, le développement d’un système énergétique reposant majoritairement sur le vecteur électrique nécessite le déploiement de technologies actuellement non matures, que ce soit pour le développement des usages (électrification du transport lourd) ou pour les besoins de stockage et de flexibilité importants (vehicle-to-grid). La réussite de la transition énergétique repose donc sur des hypothèses fortes de développement de ces technologies, alors que le nombre des incertitudes, qu’elles soient techniques, économiques, environnementales ou sociétales, qui entourent toute période de transformation majeure, nécessiterait de se doter d’une conséquente marge de manœuvre.

Bern Kunker, représentant de la DG énergie durant la conférence, a particulièrement souligné le caractère incertain de l’usage de certaines technologies de rupture, pourtant décisive dans la réalisation de l’électrification du mix.

De là, les différents intervenants ont tous eu tendance à souligner la pertinence du scénario GA, qui mobilise le concept de complémentarité des types d’énergie.

La mise en œuvre d’un scenario de mix équilibré demeure, dans tous les cas, un défi industriel important. Cependant, un scenario de complémentarité des énergies, en réduisant le besoin total d’investissement, en misant sur une complémentarité des technologies et une diversité de filières industrielles existantes ou en développement, minimise ces risques.

3/ LA COMPLÉMENTARITÉ DES ÉNERGIE , L’EMPLOI ET LA COMPÉTITIVITÉ

M. Ben Lennon : “cette transition ne pourra se faire sans l’implication des travailleurs de l’ensemble des secteurs”

our rappel, 45% de l’énergie consommée en Europe doit provenir d’énergies renouvelables à l’horizon 2030. Cette transition va nécessiter la création de plus de 3.5 millions d’emplois qui équivaudrait à plus d’un doublement du personnel en 7 ans.

De là, l’UE doit permettre une transition massive des travailleurs du secteur de l’énergie vers les sources d’énergies renouvelables. Cette migration ne pourra se faire sans la mise en place d’un véritable plan de la formation et des compétences.

Ben Lennon, représentant de l’UTC, estime que l’Union réfléchit trop souvent de manière verticale dans l’établissement de ses stratégies. Elle ne se pose que trop rarement, et souvent trop tardivement, la question des problématiques de terrain qui pourraient enrayer la mise en place pratique de ses politiques. Si un tel schéma venait à se reproduire dans le secteur de l’énergie, les conséquences pourraient présenter une particulière gravité, en ce que la marge de manœuvre pour un besoin aussi essentiel pour nos sociétés est extrêmement réduite.

D’autre part, la question de la formation des travailleurs européens recouvrent aussi une question de compétitivité et de politique industrielle. En effet, si l’objectif de 42,5% d’énergie renouvelable a été entériné au niveau de l’Union, et nécessite donc l’établissement d’un parc éolien et solaire conséquent dans l’ensemble des pays européens, se pose désormais la question de la construction des infrastructures énergétiques au sein des Etats membres.

Il relève donc de la compétitivité des opérateurs européens d’énergies renouvelables, ainsi que des fabricants de ces technologies, de bénéficier d’une politique européenne de formation et d’investissement pour pouvoir rivaliser face aux géants du secteur, majoritairement asiatiques.

4/ LA COMPLÉMENTARITÉ DES ÉNERGIE , L’EMPLOI ET LA COMPÉTITIVITÉ

M. Piotr Kus “La question de la sécurité d’approvisionnement doit être traitée immédiatement, en dehors des volontés politiques surfaites, qui maquillent des réalités plus difficiles”

Les difficultés d’approvisionnement en gaz de cet hiver ont illustré avec une particulière prégnance les rapports de dépendance qu’entretenait l’Europe en matière d’énergie. La question de la sécurité d’approvisionnement et de la résilience du système énergétique européenne recouvre donc une importance cruciale dans la dynamique de transition.

Pour autant que l’indépendance énergétique constitue un crédo fortement relayé, que ce soit à l’échelle nationale ou européenne, il apparait important de préciser que cet objectif ne pourra être atteint que par le développement le plus poussé des interconnexions entre Etats membres.

De là, il a été souligné durant les échanges, que l’Union devrait poursuivre ses efforts dans l’établissement d’une collaboration entre Etats. Il apparaitrait en effet particulièrement intéressant d’établir, à l’échelle européenne, une réflexion sur les interconnexions au sein du réseau de transport de gaz, où des investissements plus conséquents pourraient permettre de renforcer la résilience des systèmes énergétiques.

Toutefois, les nouveaux paquets législatifs européens, qui portent notamment sur le gaz et l’hydrogène ne participeraient pas à l’établissement de cette coopération. En effet, se fondant sur la liberté des Etats membres en matière de mix énergétique comme mentionné à l‘Article 194 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ces dispositions ne feraient plus qu’entériner les divergences d’opinions entre Etats membres, plutôt encourager le développement de visions et stratégies communes.

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