Comment lutter contre la précarité énergétique à l’échelle européenne ?

Le 11 avril 2023, Confrontations Europe et la Fondation Abbé Pierre organisaient une conférence à Bruxelles intitulée « Comment lutter contre la précarité énergétique à l’échelle européenne ? », autour de : 

  • Christophe Béguinet, Conseiller Energie, Confrontations Europe ;
  • Michel Derdevet, Président, Confrontations Europe ; 
  • Sarah Coupechoux, Responsable Europe, Fondation Abbé-Pierre 
  • Monique Goyens, Directrice générale, BEUC 
  • Alain Taccoen, Président du Comité des clients et des services, Eurelectric 
  • Marie Toussaint, Députée européenne (Les Verts/ALE, FR) 
  • Adela Tesarova, Cheffe d’Unité en charge des consommateurs, des initiatives locales et de la transition juste 
  1. INTRODUCTION

La crise du Covid-19 et le contexte géopolitique ont mené à une hausse importante des prix de l’énergie conjuguée à une inflation généralisée. En conséquence, de plus en plus de personnes rencontrent des difficultés à payer leurs factures d’énergie et d’électricité et se retrouvent en situation de précarité énergétique. Ainsi, en 2021, près de 7% des ménages européens se trouvaient en retard de paiement sur leurs factures d’électricité. En 2022, 27 % des foyers français interrogés par l’Observatoire National de la Précarité Énergétique déclaraient avoir rencontré des difficultés pour payer certaines factures d’énergie. Cette précarité énergétique est très souvent accompagnée d’exclusion sociale et entraine une situation de précarité dans d’autres domaines (alimentaire, hydrique, soins de santé, transports, etc.).  

Selon la Commission européenne, les prix de l’énergie vont demeurer élevés pendant plusieurs années encore. En outre, les ménages seront confrontés à une augmentation de leurs besoins en énergie et électricité pour faire face aux changements causés par le dérèglement climatique (canicules, vagues de chaleur et de grand froid, etc.). Par conséquent, le nombre de personnes en situation de précarité énergétique risque d’encore sensiblement augmenter ces prochaines années. Ainsi, la précarité énergétique doit se voir accorder davantage d’importance au sein des politiques européennes et des mesures ambitieuses doivent être adoptées pour la résoudre. 

2. UNE NECESSITE A COURT-TERME : UNE DEFINITION D’ENJEUX CLAIRS

Tout d’abord, une première nécessité à court-terme est de mieux définir la problématique. En effet, la précarité énergétique ne peut être résolue sans connaissances objectives et détaillées permettant de circonscrire avec exactitude le phénomène. Une définition commune européenne doit être donnée aux termes de « précarité énergétique » et de « consommateur vulnérable », et celle-ci doit être suffisamment souple pour pouvoir être adaptée au niveau local afin de coller à la réalité de chaque État membre. L’accord interinstitutionnel sur la révision de la Directive sur l’efficacité énergétique contient la première définition européenne de la « pauvreté énergétique », constituant une première avancée. En outre, le manque de statistiques précises et concrètes sur le sujet doit être comblé.  

Ensuite, il est urgent de mettre fin à la stigmatisation qui entoure les personnes en situation de précarité énergétique. En France, une proposition de loi du député Guillaume Kasbarian prévoit l’introduction obligatoire d’une clause de résiliation du bail en cas d’impayé de loyer et réduit les délais de procédure et ceux que le juge peut accorder au locataire pour régler sa dette, risquant d’encore davantage exclure et stigmatiser les consommateurs vulnérables. 

De plus, il faut dès à présent interdire les coupures d’électricité par les fournisseurs en cas de non-paiement de la facture par le consommateur. Dans la proposition de réforme du marché européen de l’électricité qu’elle a présentée en mars 2023, la Commission européenne a inclut l’obligation pour les États membres de protéger les consommateurs vulnérables des coupures. Celles-ci constituent une punition sociale dont les conséquences sont extrêmement graves pour les personnes qui les subissent (risques pour la santé, la sécurité, la vie familiale et professionnelle, l’éducation, etc.). La coupure peut être remplacée par une réduction de puissance permettant de répondre aux besoins vitaux et sociaux élémentaires, comme c’est déjà le cas dans certains États membres. Le niveau minimum de puissance doit être déterminé de façon personnalisée, en fonction des caractéristiques de chaque habitation (présence de panneaux solaires ou de pompes à chaleur, niveau d’isolation, etc.), et il doit permettre, au-delà de la survie, le maintien d’un niveau minimal de dignité.  

Enfin, l’UE doit améliorer la prévention par la formation des travailleurs sociaux et l’éducation des consommateurs, et l’accroissement de la transparence. Le marché de l’énergie et de l’électricité est d’une complexité (décentralisation du réseaux, nombre de concurrents, offres multiples et difficilement compréhensibles, etc.) à laquelle les consommateurs les plus vulnérables ne peuvent  faire face. Ainsi, l’organisation de sessions d’information sur la gamme d’offres contractuelles existante et sur la compréhension d’une facture d’électricité, l’obligation d’une information précontractuelle plus approfondie et transparente, l’accompagnement par un travailleur social ou une association, la publicité mensuelle des prix fixes par les fournisseurs, les relevés de compteurs plus réguliers, entre autres, permettraient de remédier à cela. 

3. DES MESURES CURATIVES A LONG TERME

Les solutions de court-terme susmentionnées permettent de soulager les « symptômes » de la précarité énergétique, mais ne permettent cependant pas de lutter contre  ses causes profondes. Ainsi, d’autres mesures curatives à plus long-terme doivent être adoptées afin de s’attaquer à la racine même du problème. 

Premièrement, nombre de logements en Europe présentent une performance énergétique médiocre, alourdissant la facture énergétique des locataires. La rénovation des bâtiments pour améliorer leur efficacité énergétique (meilleure isolation, électrification du chauffage, installation de dispositifs d’énergie solaire, etc.) s’avère donc une mesure essentielle pour lutter contre la précarité énergétique. Dans le cadre de la révision de la Directive sur l’efficacité énergétique et de la Directive sur la performance énergétique des bâtiments, le Parlement européen a appelé à accorder une plus grande place à ce sujet dans les textes européens. 

Deuxièmement, le marché de l’électricité doit être réformé afin de davantage protéger les consommateurs. La proposition de réforme du marché européen de l’électricité de la Commission européenne comprend des mesures qui vont dans ce sens : les fournisseurs sont tenus d’informer les ménages sur les avantages et les risques liés aux différents types de contrats ; les consommateurs peuvent, s’ils le souhaitent, combiner des prix fixes et flexibles pour l’électricité auprès de plusieurs fournisseurs ; les consommateurs peuvent investir dans des parcs éoliens ou solaires et vendre l’excédent d’électricité produit à leurs voisins et non pas seulement à leur fournisseur ; les États membres de l’UE peuvent intervenir en période de crise et fixer les prix de détail pour les ménages et les petites entreprises ; et les consommateurs bénéficient d’une meilleure protection en cas de faillite des fournisseurs d’énergie. En outre, la réforme prévoit de faciliter le recours à des contrats à plus long terme (Power Purchase Agreements ou PPA), permettant de davantage stabiliser les prix pour les consommateurs. 

Enfin, un droit européen à l’énergie doit être consacré. Le Socle européen des droits sociaux garantit déjà que « toute personne a le droit d’accéder à des services essentiels de qualité́, y compris l’eau, les services d’assainissement, l’énergie, les transports », mais ce texte n’a qu’une valeur symbolique. Il faudrait aller plus loin, et consacrer un véritable droit à l’énergie qui échappe aux spéculations et soit durable et respectueux de l’environnement et de notre santé. Ce droit à l’énergie devrait être constitué de trois éléments : (1) la mobilisation systématique de juges pour veiller au respect de ce droit ; (2) la garantie d’un minimum énergétique pour satisfaire aux besoins réels et permettre de vivre dans la dignité ; et (3) l’interdiction générale des coupures d’énergie et d’électricité.  

Cependant, certaines questions et difficultés pour concrètement mettre en œuvre ces solutions demeurent, notamment en ce qui concerne le financement de la rénovation énergétique des bâtiments et le remboursement de la dette résultant des factures d’énergie et d’électricité impayées. Le Parlement européen a estimé que 75 milliards d’euros par an, rien que sous la forme d’incitations financières, étaient nécessaires pour la rénovation énergétique des bâtiments européens d’ici à 2050. Certains proposent que le financement provienne des revenus tirés de la tarification du carbone, qui s’élevaient à 31 milliards d’euros au sein de l’Union européenne en 2019, et la taxation des superprofits des fournisseurs d’énergie et d’électricité.  

4. CONCLUSION

En conclusion, la précarité est un sujet prégnant qui ne cessera de prendre de l’ampleur et de s’aggraver avec le dérèglement climatique et la situation d’inflation généralisée qui risque de perdurer encore longtemps. Les politiques, tant au niveau national qu’au niveau européen, doivent s’emparer du sujet et y apporter des réponses concrètes et transversales, dès maintenant. Des solutions ont été présentées dans cette synthèse et ont été détaillées dans de nombreux rapports et conférences consacrés à ce sujet. Il s’agit maintenant d’avoir la volonté politique de les concrétiser. 

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